Successeur de Henri III, Henri de Navarre procède par étapes. Tout d’abord, il lui faut trouver un terrain d’entente avec le pape et les catholiques, tout en contournant la faction catholique française alliée au roi d’Espagne. C’est la seule possibilité de rétablir une stabilité politique et économique relative, et par là relancer le processus de monarchie absolue.
Cela passe par l’écrasement immédiat des forces royalistes partisanes d’une option catholique, commandées par Anne de Joyeuse (1560-1587) et battues à la bataille de Coutras, en octobre 1587.
Pour montrer les rapports étroits entre toutes ces figures, une anecdote est ici assez exemplaire. Il s’avère que Henri III avait confisqué une bague avec un diamant et un rubis rouge à Marguerite de Valois, la future femme d’Henri IV. La raison en fut que celle-ci accusait Anne de Joyeuse d’interférence dans la politique royale. La bague fut remis Anne de Joyeuse, le plus important des « mignons ».
Ce terme désigne des personnes extrêmement proches du roi, des « favoris », qui ont le droit de s’habiller comme lui, voire de coucher dans la même chambre ou encore le même lit. On a là un « raffinement » en fait décadent : les courtisans autour du roi se poudrent, se frisent les cheveux, portent des boucles d’oreille, de la dentelle, de grandes fraises.
Le peintre romantique Charles Durupt les présente, de manière provocatrice, en les montrant regarder dédaigneusement le cadavre du duc de Guise, chef des catholiques, assassiné.
On a ici des mœurs décadentes – rejetées tant par les factions catholique que protestante – qui montrent bien à quel point la monarchie était à un tournant.
Avec ce statut de « mignon », Anne de Joyeuse était le gardien des chambres royales : il avait le droit de porter les couleurs royales. Lui-même était marié avec Marguerite de Lorraine, une demi-soeur de la reine, le couple recevant à l’occasion du mariage 300 000 écus et Anne de Joyeuse la seigneurie de Limours, alors que le vicomté de Joyeuse fut érigé en duché-pairie avec préséance sur tous les autres ducs et pairs excepté les princes du sang.
Par la suite – il n’a alors que 21 ans – il devient grand-amiral de France. Partisan acharné de la cause catholique – il est ainsi notamment à l’origine du « massacre de Saint-Eloi » coûtant la vie à 800 protestants en 1587 à La Mothe-Saint-Héray – il représentait un tendance monarchiste catholique relativement légitimiste.
Tentant de renforcer la faction catholique ainsi que la faction catholique royale, il se lance dans la bataille anti-protestante. Capturé lors de la bataille de Coutras, il est exécuté en punition du massacre de Saint-Eloi, malgré sa proposition d’une rançon de 100 000 écus.
Politiquement, c’était une figure importante qui était éliminée. Sa défaite était capitale pour Henri IV, sa disparition un avantage indéniable.
Cela forçait le camp catholique à se présenter comme tel, hors continuité monarchique directe, et cela donnait de l’espace à ceux qui furent alors appelés les « politiques ».
Il s’agissait d’une fraction catholique légitimiste, maintenant l’accent sur le pouvoir royal et la stabilité étatique, portée notamment le duc d’Alençon, le prince de Condé, le maréchal de Montmorency, avec comme principal théoricien Jean Bodin, auteur en 1576 des Six livres de la République.
Elle profitait d’un large courant d’idée appelant à se focaliser sur l’État plus que sur la religion. Telle était la démarche du chancelier Michel de L’Hospital, l’avocat au Parlement de Paris Étienne Pasquier auteur en 1561 de l’Exhortation aux princes (1561), le juriste Guy Coquille, l’avocat général au Parlement de Toulouse Pierre de Belloy, les protestants François de La Noue et Guillaume du Bartas.
Une œuvre représentative de ce courant fut celle signée d’un collectif de bons citoyens « demeurés français en politique et gallicans en religion », la Satyre Ménippée : de la Vertu du Catholicon d’Espaigne et de la tenuë des estats de Paris, en 1583.
Le courant catholique légitimiste représentait donc pour Henri IV un souci, mais nullement une priorité. Il fallait battre surtout la Ligue catholique, commandée par le duc de Mayenne qui avait succédé aux Guise assassinés. Celui-ci mène immédiatement une campagne militaire pour écraser Henri IV, mais ce dernier parvient à lui échapper, puis à obtenir une première victoire à Arques en septembre 1589.
Il tente alors de prendre Paris, mais échoue : des troupes espagnoles aident les villes de Paris et de Rouen (qui est à ce moment le premier port français) à faire face aux sièges menés par Henri IV.
C’est là un moment clef, le tournant. Henri IV va profiter de la base formée par la monarchie absolue pour réaliser sa propre mise en valeur en tant que dirigeant de la bataille anti-espagnole, forçant de larges courants catholiques à basculer dans son camp, à faire de l’unité française une priorité, au-delà de la question religieuse.