Les sensibilités des délégués au troisième congrès de l’Internationale Communiste étaient à la fois différentes et à fleur de peau. Les cadres du KPD étaient outrés que le KAPD soit invité, alors que les militants de cette organisation gauchiste étaient justement en train de les rejoindre, un flot tari par l’invitation.
Les tenants du gauchisme tiraient d’ailleurs à boulets rouges sur le Comité Exécutif et prônaient une ligne « dure », amenant les débats à se perdre dans des récriminations, des reproches, des querelles de détails, etc.
Le fait que le Parti Communiste d’Italie soit né dans une rupture non organisée passait également pour certains pour quelque chose de forcé, alors que cela aurait pu être anticipé ou mené différemment.
Une partie de la direction du KPD notamment prit cela comme prétexte, devint l’ennemi de l’Internationale Communiste et fut exclue. Paul Levi en faisait partie, il avait été le quatrième dirigeant du KPD (après Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg, suivi de Leo Jogiches, tous les trois assassinés) mais avait notamment dénoncé la révolte armée de mars 1921 dans une optique de droite l’amenant finalement à rejoindre les socialistes.
A ce panorama s’ajoute que des délégués d’un même pays ne sont pas nécessairement sur la même ligne, ce qui provoque là-aussi des conflits ajoutant à la confusion. Les uns reprochent au Comité Exécutif de chercher indirectement à rétrécir les partis de chaque pays à des sectes en les mettant trop sous pression, d’autres au contraire qu’il faut aller plus loin, etc.
A l’arrière-plan, mais sans qu’au congrès on en soit conscient en tant que tel, il y a toute la problématique de savoir comment faire pour avoir un Parti Communiste de masse, tout en conservant une vraie qualité sur le plan des cadres. L’Internationale Communiste ne parviendra jamais à concrètement résoudre ce qui lui apparaît comme un dilemme, seuls les communistes chinois, au moyen de la pensée guide, sortiront de ce problème fondamental dans la construction et l’identité des partis communistes à la suite de la révolution d’Octobre 1917.
Cependant, lors du troisième congrès, il n’y a encore aucun recul par rapport à tout cela. On est dans l’urgence et la considération du Parti de masse va de pair avec la question de la crise à venir. Il faut faire vite, car la vague de la révolution mondiale n’est pas terminée, elle va connaître une nouvelle phase.
Voici comment Karl Radek, qui présente la question de la tactique pour le Comité Exécutif au congrès, résume le sens de l’exposé initial et de l’évaluation de la situation :
« L’Internationale Communiste doit se fonder sur l’analyse concrète de l’époque dans la définition de sa tactique.
C’est pourquoi nous avons essayé, avec l’exposé au début du congrès du camarade Trotsky [et en fait de Varga] de donner une présentation la plus objective possible des forces agissantes en ce moment, une présentation qui permette de dire si la révolution mondiale se trouve de manière générale en phase ascendante ou descendante.
Car il est tout à fait clair que l’Internationale Communiste existerait et agirait également dans le cas d’une défaite de la révolution mondiale.
Dans le cas d’un long répit pour la société capitaliste, elle a d’autres tâches que dans une situation que nous voyons en général comme la tendance à la phase ascendante de la révolution.
Elle n’aurait pas alors comme tâche d’organiser directement les prolétaires pour toutes les possibilités de la guerre civile. Elle aurait en premier lieu comme devoir l’organisation et l’agitation, la formation d’une armée pour les batailles à venir.
Maintenant, camarades, l’exposé du camarade Trotsky a montré que nous sommes d’avis qu’il n’y a pas pour l’instant de forces apparentes nous amenant à considérer que le développement de la révolution mondiale serait interrompu par les forces en construction et en consolidation du capitalisme.
Dans l’exposé de Trotsky et dans la discussion [qui s’en est suivie], il a été indiqué que lorsque nous prenons la ligne, le cours vers la révolution mondiale, cela ne signifie aucunement que de manière doctrinaire nous nous fermions à la possibilité qu’il puisse y avoir des intervalles, que la crise de l’économie mondiale puisse connaître une amélioration passagère.
Mais comme ligne fondamentale, comme cours général, ce que nous prenons s’appuie sur le fait constaté que les forces de la révolution mondiale continuent de s’étendre et nous ne sommes pas devant un déclin de la révolution mondiale, mais nous sommes devant le rassemblement des forces révolutionnaires pour de nouvelles luttes. »
Il n’est pas possible de comprendre le sens des débats et la nature des conflits sans saisir ce sens profond de l’urgence. Il y avait trois sensibilités prédominantes : les gauchistes voulant une avant-garde « pure » et directement combative, les centristes désireux de gagner au maximum une forte base avant d’assumer la bataille révolutionnaire, les communistes russes exigeant un Parti de masse mais ayant rompu clairement avec les réformistes.
Cela se cristallise au troisième congrès avec les questions allemande (le KAPD gauchiste) et italienne (le Parti Socialiste Italien centriste).
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de l’Internationale Communiste