La question du KAPD au troisième congrès de l’Internationale Communiste

La question du Parti de masses était à l’arrière-plan de l’acceptation du KAPD comme observateur au troisième congrès, ou plus précisément comme organisation « sympathisante ». Le Parti Communiste Ouvrier d’Allemagne avait déjà saboté sa participation au deuxième congrès, mais le Comité Exécutif considérait que toute organisation un tant soit peu active et volontaire méritait qu’on s’y attarde pour chercher à ce qu’elle rejoigne le Parti Communiste, afin de contribuer à atteindre la dimension d’un Parti de masse.

Cela n’était pas du tout apprécié du KPD qui voyaient là une perte du temps avec des gauchistes et les délégués du KAPD ne cessèrent d’ailleurs de réagir alors du congrès comme de vraies caricatures sur ce point, allant régulièrement à l’affrontement, dénonçant tout le monde sauf les gauchistes comme eux, etc.

Le programme du KAPD en 1920

C’est que le KAPD est la principale organisation gauchiste de la période. Il rejette la primauté du Parti et a une démarche « conseilliste » : l’avant-garde n’est là que pour préparer le terrain à la prise du pouvoir à court terme par les conseils. Il est à ce titre totalement anti-parlementaire, anti-syndical, contre le rôle avant-gardiste du Parti, contre la notion de démocratie en général, considérée comme par définition bourgeoise.

On a ici une approche « conseilliste » qui sera définie par la suite également comme gauche « germano-hollandaise », les principaux théoriciens gauchistes du KAPD étant alors en fait néerlandais : Anton Pannekoek et Herman Gorter.

Voici une intervention de Max Hempel (en fait Jan Appel) au nom du KAPD lors du troisième congrès de l’Internationale Communiste, reflétant bien sa démarche urgentiste n’hésitant pas à aller au conflit, y compris avec Lénine :

« Il manque aux camarades russes une compréhension des choses telles qu’elles se passent en Europe occidentale. Les camarades russes comptent avec une population telle que celle qu’ils ont en Russie.

Les russes ont vécu une longue domination tsariste, ils sont durs et solides, tandis que chez nous le prolétariat est pénétré par le parlementarisme et en est complètement infesté.

En Europe il s’agit de faire quelque chose d’autre. Il s’agit de barrer la route à l’opportunisme (cris: théorie Scheidemannienne)… Absurdité ! ce n’est pas une théorie Scheidemanienne ! Depuis quand Scheidemann veut-il barrer la route à l’opportunisme ?

Il s’agit [pour lui] de barrer [la route] aux combattants prolétariens, aux partis communistes, qui doivent lutter en première ligne, l’échappatoire de l’opportunisme, et l’opportunisme chez nous, c’est l’utilisation des institutions bourgeoises dans le domaine économique; même chose pour la tentative d’utiliser les coopératives de consommation comme moyen de lutte pour aider la Russie, non avec des moyens révolutionnaires, mais avec les moyens du capitalisme, dans la mesure où le prolétariat en dispose.

Oui, camarades, qu’est-ce que cela signifie ? On agit sur le prolétariat international ? Quand vous proposez à vos coopératives de consommation d’entrer en relations commerciales avec la Russie, faites-vous alors quelque chose pour la Russie ? Non, rien.

Les coopératives de consommation doivent, exactement comme tut autre entrepreneur, compter en capitaux. Avec elles ça reviendra même plus cher. Cela détournera du droit chemin. C’est le point central.

La 3ème Internationale doit veiller à ce que la Russie ne soit pas soutenue de l’extérieur par des moyens capitalistes, mais par le prolétariat, avec des moyens révolutionnaires. Là est le point central.

Et cela ne se produira pas en adoptant la tactique que se donne la 3ème Internationale. Nous réclamons une ligne plus dure. (Hilarité).

Les camarades peuvent bien rire. Le camarade Lénine rit aussi, nous ne pouvons pas dire mieux. Telle est notre honnête conviction. (Interruption: le camarade Boukharine dira pourquoi nous rions).

Chacun peut rire. Je veux encore une fois indiquer ce point qu’en Allemagne, dans tous les pays du monde, à la suite du développement prolongé de la démocratie, démocratie qui n’est pas révolutionnaire, la classe ouvrière et avec elle le grand parti communiste de masse, dans lequel se trouvent beaucoup d’éléments opportunistes, va prendre sans autre façon la voie qui consiste à ne pas utiliser le moyen difficile, et il va utiliser pour aider la Russie le parlementarisme, les syndicats et autres moyens. Mais cela n’est pas une aide; c’est une déviation de la lutte. »

Les conflits furent récurrents lors du troisième congrès. Il y eut notamment une salutation à Max Hölz de la part du congrès, ainsi qu’une petite réunion de soutien. Ce militant allemand venait d’être condamné à la prison à vie en Allemagne pour des actions armées. Or, le KAPD rua dans les brancards, car c’était l’un de ses membres. Le KAPD voyait donc une tentative de récupération de la part de l’Internationale Communiste… Qu’elle était censée pourtant vouloir rejoindre.

A cela s’ajoute que pour l’Internationale Communiste Max Hölz est simplement un « rebelle contre la société capitaliste », tandis que pour le KAPD il était un activiste armé assumant l’actualité de la guerre civile, de manière volontariste.

Cette situation était considérée comme délirante par le Comité Exécutif et Karl Radek résume bien sa position en disant :

« Nous allons demander aujourd’hui aux éléments italiens oscillant : avec qui voulez-vous aller, avec l’Internationale Communiste ou bien les réformistes ? Et nous posons en même temps la question aux ouvriers du KAPD : avec qui voulez-vous aller, avec quelques revues mal écrites d’une prétendue école hollandaise et la petite poignée qui portent ces idées, ou bien avec les millions de prolétaires qui sont derrière l’Internationale Communiste et qui règlent leurs luttes communes telle une armée, qui mènent la lutte contre le capitalisme.

Camarades, nous ne renonçons pas aisément au moindre groupe de travailleurs conscients, de travailleurs voulant lutter. »

Les délégués du KAPD refusèrent même de prendre la parole le jour du congrès où un représentant du KAPD et un du KPD devaient prendre la parole pendant une demi-heure, pour clore le débat. La position du Comité Exécutif fut acceptée alors à l’unanimité moins les deux délégués mexicains. Le KAPD devait capituler ou rester étranger à l’Internationale Communiste.

De fait, s’il avait 80 000 adhérents environ en 1920, il n’en avait déjà plus que la moitié en 1921. Il fonda en 1922 une Internationale Communiste Ouvrière qui provoqua une scission, alors qu’une partie était déjà allée dans une dynamique syndicaliste-révolutionnaire autour d’Otto Rühle (AAUE).

Le « conseillisme » dans sa version allemande disparut alors pratiquement de la scène, une partie significative de ses cadres rejoignant les socialistes puis, après 1945, même les institutions de l’Allemagne de l’Ouest.

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de l’Internationale Communiste