Dans son ouvrage publié en 1934, Service public, François de La Rocque formulait sa théorie corporatiste sous le nom de « profession organisée ». Cela donnait la définition suivante, tout à fait contradictoire par ailleurs :
« Organiser la profession, explique-t-il ailleurs, c’est, dans le plan local, régional, national, réunir entre elles les différentes catégories de travailleurs, depuis l’ouvrier manuel jusqu’au patron, pour une même branche de production.
C’est associer entre elles les catégories de productions similaires et complémentaires. C’est juxtaposer, combiner sur l’initiative concertée des intéressés eux-mêmes, les différents éléments humains, techniques, industriels de cette production.
C’est provoquer, protéger leur rencontre suivant des modalités une fois établies.
Et, au sommet, c’est doter le pays, l’État, leurs gouvernements d’un organe de conseil économique dont les avis seront à la fois obligatoires et librement émis. »
Que signifie « obligatoire et librement émis », comme il est dit dans la dernière phrase? C’est que le style de François de La Rocque, outre qu’il s’appuie sur la démagogie du catholicisme social, est à la fois efficace au sens où il formule un fascisme à la française, mais également souvent totalement cryptique.
François de La Rocque tente, en fait, de ne pas s’assimiler au fascisme, alors qu’il sait pertinemment que c’est son but. Voici comment il tente de se dédouaner, avec lyrisme :
« L’hérédité raisonnable des Latins, la prudence innée des Gaulois immunisent la grande majorité française contre ce virus éclos sous les brumes de Germanie, cultivé dans les steppes asiatiques. »
« Le fascisme pourrait difficilement exercer sur l’esprit du Français ses puissances de vertige. »
« Quant au corporatisme, nous ne le concevons pas comme la corporation d’autrefois, ni comme celui de M. Mussolini. Nous avons adopté le terme de “profession organisée” auquel nous ajoutons le sens et de la corporation et du régionalisme et de la coopération. »
Cette dernière citation révèle tout : ce que veut François de La Rocque, c’est un corporatisme adapté à la France, et non pas une copie de la version italienne, ce qui serait à la fois non faisable et non souhaitable car aidant le nationalisme italien et non la France.
Voici la perspective national-républicaine de François de La Rocque, tout à fait bien résumée par lui en quatre phrases :
« Les caractéristiques majeures du génie français sont l’intelligence et la bonne foi. »
« Le tempérament français est un tempérament de cadres et non de masses. »
« Nous formons une collectivité-cadre. »
« Voyez net. Pensez simple. Soyez des réalisateurs, non des rhéteurs. »
C’est cette approche technique qu’il entend lorsqu’il dit de lui que :
« Je me suis obstiné à ouvrir une seule porte, celle de la mystique française. »
Voici ce que cela donne concrètement, en langage de François de La Rocque :
« Les institutions sont choisies d’après un certain nombre de principes généraux. Elles sont assignées au peuple comme règle et comme sauvegarde. Simultanément, elles lui sont ajustées. Le tissu est choisi d’après une série de règles morales. Le modelé est flexible, seyant, façonné, consistant, à la mesure du corps social qu’il doit revêtir. »
« L’automatisme de nos gestes a pour explication l’homogénéité de notre ensemble groupant des citoyens de toute appartenance, associant leurs apports complémentaires en une mystique indivise, spontanée. »
Voici un exemple de ce langage nationaliste mystique pétri de logique technocratique. En janvier 1938, François de La Rocque donne son avis sur la « Crise sociale », dans Le Petit Journal, le quotidien devenu une composante du P.S.F. (avec comme sous-titre « Travail, Famille, Patrie ») : on y retrouve la formulation du corporatisme qui est souhaité et qui a ici le nom de « profession organisée ».
« L’arbitrage apporté par M. Chautemps dans l’affaire des établissements Goodrich n’a pas suffi. La crise continue. Mais elle dépasse de beaucoup le cadre de ces usines.
Le président du Conseil l’a compris.Il appelle à l’hôtel Matignon les représentants des différentes catégories du travail afin de rechercher, dans un échange courtois et objectif, les éléments d’un apaisement général.
Partisans da la coopération, nous ne pouvons qu’adhérer au principe. Mais pour la mise en oeuvre, des conditions préalables s’imposent ; hélas ! elles sont loin d’être réunies.
Tout d’abord, la « Confédération générale du Patronat », la C.G.T., la « Confédération des Classes moyennes », les syndicats chrétiens semblent seuls invités.
En ce qui concerne la C. G. T., nos ré-serves sont connues si un grand nombre de ses membres, do ses dirigeants peuvent être considérés comme des syndicalistes sincères, l’infiltration par les communistes y est devenue telle que l’influence prédominante appartient à Moscou. Son intervention, dans l’état présent des choses, sera, finalement, révolutionnaire.
La « Confédération générale du Patronat » nous est assez peu connue ; ses dirigeants ne paraissent pas intéressés par le P.S.F. ; il ne nous est jamais revenu que, dans ses conseils, elle ait manifesté le souci d’appuyer, sous quelque forme que ce soit, l’action sociale, réconciliatrice de notre Mouvement.
J’écris cela très objectivement ; je me borne à constater sans malveillance. Mais la Confédération générale du Patronat recommencera-t-elle l’erreur commise sous le gouvernement Blum ?
Au cas où ses représentants appartiendraient exclusivement, comme en 1936, aux plus puissantes firmes, ces nouvelles conférences Matignon seraient frappées de stérilité. La grande industrie, compétente pour défendre légitimement ses propres intérêts, ne peut valablement engager la petite industrie dont les conditions d’existence sont si particulières.
Quant aux classes moyennes, je leur souhaite d’être valablement, impartialement défendues par le Confédération du même nom, dont, à franchement parler, j’ignore le rayonnement pratique à travers le pays.
Au bref, je crains que la réunion des personnages mandatés par ces trois organismes privés n’apporte pas à la discussion l’ampleur, l’autorité, la sagesse qu’elle devrait revêtir. La protestation des Syndicats professionnels français, évincés malgré leurs centaines de milliers d’adhérents, malgré le différence considérable entre le nombre de leurs inscrits, de leurs délégués élus et ceux des syndicats chrétiens s’explique donc pleinement.
Tant que chaque facteur de la vie nationale ne sera pas remisa sa place politique, économique, sociale, tant que les données régionales ne seront pas introduites dans le débat, celui-ci limitera ses oracles à des communiqués alternés de bataille et de parlote.
Le véritable remède est la profession organisée. Elle sera l’aboutissement d’une besogne, d’expériences patiemment échelonnées : j’ai pris soin d’y insister lors de noire Congrès de Lyon.
C’est eu sein des Chambres de commerce, d’agriculture, des syndicats locaux que, à l’abri do toute intrusion politiquez on pourrait trouve, dès aujourd’hui, les premiers artisans d’une construction utile.
La juxtaposition de ces derniers par catégories de la production formera, seule, une base raisonnable et solide.
Enfin, et là est le point crucial, rien ne sera obtenu si le Gouvernement n’a pas l’énergie d’appliquer la loi, si l’état d’esprit des ouvriers, des patrons, ne finit point par évoluer.
Les occupations d’usines, les attentats à la liberté ne sauraient demeurer impunis ; mieux vaudrait le mutisme des autorités officielles plutôt que leurs menaces non suivies d’effet. Les travailleurs manuels marquent une lassitude croissante à l’égard de la dictature dont ils sont l’objet de la part dos extrémistes; tant que cette lassitude ne les aura pas décidés à secouer le joug des « fonctionnaires de leur mécontentement », aucun accord, aucun engagement ne sauraient valoir.
Quant aux patrons, il en est trop encore pour qui toute trêve est ure occasion de revenir à l’antique sommeil ; il on est trop encore aux yeux de qui l’ouvrier patriote est, par essence, un agent, sinon un indicateur de la direction ; il en est trop encore pour qui le personnel non révolutionnaire peut s’accommoder de traitements de ménagements inférieurs à ceux dont on use, par prudence, vis-à-vis des « rouges ».
Ce grave avertissement devait être donné. S’il n’en est pas tenu compte, ou la subversion triomphera et les mauvais riches seront balayés avec les autres, ou le P.S.F. triomphera et sanctionnera lui-même leurs fautes impardonnables.
Va pour les nouvelles conférences Matignon. Mais que chacun, gouvernement, travailleur, patron, retrouve, d’abord, le sentiment de sa responsabilité, de sa fonction, de son devoir national et humain. »
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