Quelle est la différence entre les Croix de Feu et le Parti Social Français? Elle est très simple à comprendre.
Les Croix de Feu étaient une structure anti-marxiste : le P.S.F. se voulait la structure anti-marxiste par excellence. Toute sa forme tendait à ce but.
En janvier 1938, il devint une « union interfédérale », avec chaque fédération existant de manière officiellement autonome. Le comité exécutif, de son côté, se centralisait davantage, se réunissant quatre fois par ans seulement, alors qu’une commission administrative permanente s’occupait des activités au jour le jour.
Celle-ci était composée de François de La Rocque, des vice-présidents Jean Ybarnégaray, Noël Ottavi et, à partir de décembre 1938, Charles Vallin, ainsi que d’un secrétaire général et de cinq commissaires choisis dans le comité exécutif. Un groupe restreint de ce groupe, sorte de bureau politique, s’occupait de la transmission aux fédérations des tâches financières et administratives.
C’était un simple décalque de la structure de la SFIO et une manière se de parer de toute accusation d’organisation hiérarchisée et paramilitaire. Ce n’était évidemment qu’une façade.
Dans les faits, le P.S.F. devait fonctionner de manière très efficace, telle une grande entreprise : François de La Rocque avait demandé de l’aide à Robert Désobliaux, petit-fils de Henri Fayol qui fut ingénieur civil des mines et théoricien du « management », auteur de L’administration industrielle et générale publié en 1916.
Le but était d’engloutir la société, suivant le modèle fasciste italien repris par les franquistes. C’était là le but de François de La Rocque.
En pratique, il y avait un peu plus de 2 millions de personnes citées par l’Armée, le nombre de décorés étant d’environ 1,2 million. Les possibilités des Croix de Feu étaient restreintes, ne pouvant former qu’une fraction nationaliste des anciens combattants décorés.
Le P.S.F. avait une possibilité de croissance bien plus étendue et de fait, en 1937, le P.S.F. revendique 2,5 millions de personnes. Il s’agissait de happer toujours plus de structures, afin de composer une base organique qui formerait le noyau du nouvel Etat.
Cela ne veut nullement dire que la dimension militaire avait disparu : une organisation parallèle existait bien entendu. Contrairement au P.S.F. qui était une formation de masse dont les statuts et la forme étaient empruntés à la SFIO ainsi qu’au Parti radical, existait également une organisation interne dépendant directement du Comité directeur et consistant en les Groupes mobiles de propagande, qui prirent par la suite le nom d’Équipes volantes de propagande.
Toutefois, cette structure militaire devait épauler l’orientation « sociale » du P.S.F., permettre son succès.
Non seulement en son sein le P.S.F. faisait en sorte de pratiquer un clientélisme massif, notamment vis-à-vis des ouvriers et employés isolés ou non organisés, surtout dans les petites entreprises donc, devant se soumettre au parti pour trouver un emploi lorsque leur patron en était membre, mais il fut mis en place des Syndicats Professionnels Français, organisés en « confédération ».
Ces « syndicats » œuvraient à la « réconciliation nationale » prônée par le P.S.F. : il s’agissait non pas de réclamer de manière unilatérale l’écrasement de la gauche, mais en quelque sorte son dépassement, sa liquidation dans le système de la « profession organisée ».
Dans le Cahier du militant de ces « syndicats », on lit en 1939 :
« Le libéralisme a compromis la dignité du travailleur, rétribué ses services sous l’emprise de la loi de l’offre et de la demande, n’a tenu que peu compte de sa valeur professionnelle et aucunement de ses charges de famille (…). Le libéralisme mène à la lutte des classes. »
La ligne de François de La Rocque était qu’il ne fallait pas nier la lutte des classes, mais la dépasser. Aristocrate catholique et donc considérant inévitablement le communisme comme absurde, François de La Rocque pense de manière « sincère » que les rapports employeurs-employés peuvent être pacifiés, à condition de valoriser les employés individuels de valeurs, d’organiser un système de participation économique à l’entreprise des employés, de se préoccuper de la vie quotidienne de ceux-ci.
Ce dernier point profite de la critique idéaliste de la société, très puissante dans les années 1930 en France. On sait à quel point le fascisme a fait toute une critique de la technique, de la machine, au nom d’un être humain devant être en quelque sorte « sauvage ». C’est Pierre Drieu La Rochelle et Jacques Doriot qui, en France, ont largement diffusé cette conception. On la retrouve cependant aussi au P.S.F., comme ici :
« Le développement sans frein du machinisme engendre un odieux servage, un écrasement barbare de la personnalité. Discipliné, orienté, le machinisme peut conduire à la limitation, à l’adoucissement de la besogne humaine. »
Toutes ces préoccupations du « haut » pour le « bas », c’est là ni plus ni moins que les principes du catholicisme social, qui ont comme objectif la neutralisation idéologique, culturelle et organisationnelle de la lutte des classes.
Au niveau de l’emploi, le P.S.F. propose donc non seulement des congés payés, mais également, « l’association, pour l’ouvrier fidèle, à la vie de son entreprise », ainsi que « la mise en application, pour les ouvriers fidèles, d’un système équitable de participation aux bénéfices de l’exploitation ».
On lisait déjà dans le Flambeau, en octobre 1932 :
« Le concours du travailleur, dès qu’il cesse d’être occasionnel, est assimilable à celui des actionnaires. »
C’est là une logique corporatiste, qui va jusqu’au bout de sa logique, puisque est exigé également un « droit au travail ». Car, s’il n’y a pas de « travail pour tout le monde », cela est dû à « l’imprévoyance des hommes ». On retrouve là une dimension qui n’est réellement « planiste », comme chez les néo-socialistes de Marcel Déat, mais catholique sociale.
L’économie serait… ce qu’elle est et son équilibre naturel, à condition non pas que tout le monde s’en mêle, mais justement personne. Le P.S.F. ne veut pas d’intervention du syndicat ouvrier ni du syndicat patronal, ni même de l’État, seulement de la « Profession organisée ».
C’est l’absence de cela – donc, du corporatisme – qui aurait amené le mouvement du Front populaire a réussir à s’implanter et à triompher : le P.S.F. se veut une réponse en quelque sorte moderne, non rétrograde, au service de la bourgeoisie.
Le résultat est clairement un succès : en 1938, l’élection des délégués d’entreprises place ces « syndicats » à 41 %, face à la CGT qui est 51 %. Il n’y a en fait pratiquement pas d’ouvriers au P.S.F., mais sa démarche de socialisation « par en haut » était efficace pour attirer le patronat et l’Église, tout à fait heureuse de cette démarche de pacification œuvrant comme marche à travers les institutions.
Même si les « syndicats » revendiquèrent rapidement 1,7 million de personne, les succès étaient très inégaux. Les succès étaient surtout réels en région parisienne, où les réunions étaient six fois plus nombreuses que dans le reste du pays. Une forte activité existait dans le Nord et en Algérie, ainsi qu’à Blois, Clermont-Ferrand, Chateauroux, Dijon, Lyon.
Il est frappant qu’à Paris, le magasin La Samaritaine en devienne le bastion, à Alger les dockers musulmans, à Tourcoing le secteur de l’hôtellerie, du commerce et des banques, à Lyon les banques, les petites entreprises métallurgiques, les travaux publics.
Le clientélisme et le népotisme, le patriarcat patronal, la « familiarité » catholique, tout cela jouait en faveur du P.S.F., qui se permit même de former un Centres d’Information et de Propagande P.S.F. dans les milieux patronaux, intellectuels et bourgeois, avant de renforcer cette tendance « sociale » dans la bourgeoisie.
Il est significatif sur ce plan qu’en ce qui concerne la classe ouvrière, François de La Rocque a pu dire que :
« L’ouvrier français aime à cultiver son jardin ; c’est, de tradition, le délassement le plus conforme à ses goûts. »
L’objectif était de détruire tout le terreau idéologique, culturel, organisationnel de la classe ouvrière, la base même du communisme.
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