Dans le Discours de la servitude volontaire, il est expliqué que les aides les plus proches du tyran sont aisément sacrifiables et sacrifiés :
« Qu’on parcoure toutes les anciennes histoires, que l’on considère et l’on verra parfaitement combien est grand le nombre de ceux qui, étant arrivés par d’indignes moyens jusqu’à l’oreille des princes, soit en flattant leurs mauvais penchants, soit en abusant de leur simplicité, ont fini par être écrasés par ces mêmes princes qui avaient mis autant de facilité à les élever qu’ils ont eu d’inconstance à les conserver. »
Cela tient à la nature même du tyran, qui par définition pratique la terreur permanente pour s’imposer toujours de nouveau, cherchant à apparaître comme incontournable :
« Les tyrans bêtes, sont toujours bêtes quand il s’agit de faire le bien, mais je ne sais comment, à la fin, pour si peu qu’ils aient d’esprit, il se réveille en eux pour user de cruauté, même envers ceux qui leur tiennent de près. »
Ce qui fait qu’il n’est guère intéressant d’être tyran. Ici, le Discours de la servitude volontaire propose à celui qui dirige de prendre une autre forme, car le pouvoir total est nécessairement instable, intenable :
« Certainement le tyran n’aime jamais et jamais n’est aimé.
L’amitié, c’est un nom sacré, c’est une chose sainte : elle ne peut exister qu’entre gens de bien, elle naît d’une mutuelle estime, et s’entretient non tant par les bienfaits que par bonne vie et mœurs.
Ce qui rend un ami assuré de l’autre, c’est la connaissance de son intégrité. Il a, pour garants, son bon naturel, sa foi, sa constance ; il ne peut y avoir d’amitié où se trouvent la cruauté, la déloyauté, l’injustice. Entre méchants, lorsqu’ils s’assemblent, c’est un complot et non une société.
Ils ne s’entretiennent pas, mais s’entrecraignent. Ils ne sont pas amis, mais complices. »
Quelle solution se pose alors comme nécessaire, selon le Discours de la servitude volontaire ? S’il ne le dit pas tel quel, on a la solution très simplement, en regardant du côté des monarchomaques. En effet, le Discours de la servitude volontaire donne trois définitions du tyran, selon la source du pouvoir.
Quand on la lit, il est alors évident que ce qui est nécessaire, c’est d’avoir un roi élu par ses pairs, ce qui est précisément la conception monarchomaque.
On lit ainsi :
« Il y a trois sortes de tyrans. Je parle des mauvais Princes. Les uns possèdent le Royaume par l’élection du peuple, les autres par la force des armes, et les autres par succession de race.
Ceux qui l’ont acquis par le droit de la guerre, s’y comportent, on le sait trop bien et on le dit avec raison, comme en pays conquis.
Ceux qui naissent rois, ne sont pas ordinairement meilleurs ; nés et nourris au sein de la tyrannie, ils sucent avec le lait naturel du tyran, ils regardent les peuples qui leur sont soumis comme leurs serfs héréditaires ; et, selon le penchant auquel ils sont le plus enclins, avares ou prodigues, ils usent du Royaume comme de leur propre héritage.
Quant à celui qui tient son pouvoir du peuple, il semble qu’il devrait être plus supportable, et il serait, je crois, si dès qu’il se voit élevé en si haut lieu, au-dessus de tous les autres, flatté par je ne sais quoi, qu’on appelle grandeur, il ne prenait la ferme résolution de n’en plus descendre.
Il considère presque toujours la puissance qui lui a été confiée par le peuple comme devant être transmise à ses enfants.
Or, dès qu’eux et lui ont conçu cette funeste idée, il est vraiment étrange de voir de combien ils surpassent en toutes sortes de vices, et même en cruautés, tous les autres tyrans.
Ils ne trouvent pas de meilleur moyen pour consolider leur nouvelle tyrannie que d’accroître la servitude et d’écarter tellement les idées de liberté de l’esprit de leurs sujets, que, pour si récent qu’en soit le souvenir, bientôt il s’efface entièrement de leur mémoire.
Ainsi, pour dire vrai, je vois bien entre ces tyrans quelque différence, mais pas un choix à faire : car s’ils arrivent au trône par des routes diverses, leur manière de régner est toujours à peu près la même.
Les élus du peuple, le traitent comme un taureau à dompter : les conquérants, comme une proie sur laquelle ils ont tous les droits : les successeurs, comme tout naturellement. »
Ce que l’auteur du Discours de la servitude volontaire dénonce ici, c’est ce qui a été considéré en France comme du machiavélisme.
La conquête du pouvoir porterait selon ce machiavélisme forcément la stabilité et l’ordre : l’auteur du Discours de la servitude volontaire considère que cela est faux, que cela ne prend pas en compte ni l’opinion publique ni les intérêts de la société prise comme un ensemble.
L’arbitraire n’apporte jamais rien de bon, car il ne reflète pas la base.