DHKP/C – Le fascisme en Turquie

Devrimci Halk Kurtulus Cephesi (Front Révolutionnaire de Libération du Peuple)

Le fascisme en Turquie

Lorsqu’on parle du fascisme, la première chose qui vient à l’esprit, ce sont des images de massacres, de tortures, de sang et de larmes.

Mais le fascisme n’est pas que cela.

Nous rencontrons parfois cette réalité sous la forme de pays impérialistes comme les Etats-Unis, l’Allemagne, l’Italie, la France et, parfois, sous la forme de l’Etat susurluk1.

Parfois, nous la croisons dans la silhouette d’Hitler, Catli, Cakici (chefs de la mafia fasciste), parfois, dans celle de Pinochet, Zia-ul Haq ou Evren, le responsable du coup d’Etat militaire de 1980, le Pinochet turc, en quelque sorte.

Parfois, elle devient mafia, police, armée, MIT (Agence nationale de renseignement), Jitem (Renseignements antiterroristes de la gendarmerie), parfois, elle s’appelle Ford, ITT, Sabanci et Koc, les principaux monopoles collaborationnistes de Turquie.

Chaque fois, nous sommes témoins de ce que la tyrannie du fascisme et le régime exploiteur sont liés entre eux comme par un cordon ombilical.

Aujourd’hui, dans notre pays, le fascisme porte les visages de tous les Catli et Cakici, c’est-à-dire la forme de l’Etat susurluk. Il s’agit d’un problème auquel notre peuple est confronté depuis des années. Mais ce n’est pas la fatalité. C’est une réalité qui continue d’exister.

Si nous voulons venir à bout du fascisme, nous devons savoir ce qu’il est, tout en tenant compte des conditions dans lesquelles il se développe.

Le fascisme classique et le fascisme de type colonial

Le fascisme classique

Dans les pays capitalistes développés, où le capitalisme se développe selon sa propre dynamique, le fascisme s’organise lui-même, de la base au sommet.

Les partis fascistes sont organisés en créant leur propre base de masse et, recourant à la tromperie et à la démagogie, ils conquièrent le pouvoir en s’appuyant sur cette base.

Par exemple, en Allemagne, la conquête du pouvoir par les nazis a été présentée comme une ‘révolution’. Le parti fasciste allemand s’appelait le ‘parti national-socialiste allemand des travailleurs’, de façon à pouvoir exploiter l’aspiration au socialisme des masses, puisque le socialisme était devenu l’espoir des peuples.

Avec une telle hypocrisie, on trompait le peuple en proclamant que la misère, la pauvreté et le chômage seraient éliminés et que tous les problèmes économiques seraient résolus.

De la sorte, le fascisme trompait ceux qui croyaient en lui et terrorisait ceux qui n’y croyaient pas.

« Le fascisme a besoin de démagogie (racisme, nationalisme libéral, antisémitisme, anticommunisme) et de propagande de masse.

Alors que, d’une part, il recourt à la violence contre le peuple, il tente, d’autre part, de montrer un visage souriant afin de le gagner à sa cause.

Il concentre tous ses efforts à gagner les bonnes grâces du peuple et le force même à s’affilier aux diverses organisations fascistes. » (Notes sur le fascisme, Togliatti)

En quelque endroit que ce soit, la principale arme du fascisme est la tromperie et la démagogie étayées par la force.

Le fascisme de type colonial

Dans des pays comme la Turquie, la bourgeoisie monopoliste se développe en état de dépendance vis-à-vis de l’impérialisme. De ce fait, elle est faible et difforme.

Elle est contrainte de s’allier avec des éléments pré-monopolistes et, sur les plans technologique et économique, elle dépend du capital étranger, autrement dit, des pays impérialistes.

Cette dépendance vis-à-vis du capital étranger se traduit par une crise économique, sociale et politique permanente.

Cette situation a reçu un nom: ‘la crise nationale’.

A cause de cette ‘crise’, l’oligarchie ne peut exploiter le peuple en recourant aux méthodes démocratiques bourgeoises traditionnelles.

Notre pays en est un exemple typique.

Les gouvernements ne peuvent demeurer très longtemps en place et il règne en permanence une atmosphère d’élections, de coalitions et de référendums.

Presque tous les dix ans, a lieu un coup d’Etat militaire.

Ceux qui s’emparent du pouvoir essaient de s’accrocher à leurs positions par la force et la répression, ainsi que par toutes sortes d’entreprises nauséabondes, comme la corruption, les malversations, les mafias, les gangs et autres maux représentatifs de cette situation de ‘crise nationale’.

En bref, l’oligarchie n’a d’autre choix que de recourir à la tyrannie, la répression, la terreur et les hausses de prix.

Dans des conditions d’instabilité permanente, elle ne peut survivre qu’en instaurant le fascisme.

Celui-ci diffère du fascisme classique tant dans son application que dans la manière dont il s’est constitué. En ce qui concerne le fascisme de type colonial, sa constitution en tant que forme d’Etat découle de la formation du capital monopoliste.

Celui-ci dépend à tous niveaux de l’impérialisme et c’est ainsi que se produit la fascisation.

Elle ne repose ni sur les masses ni sur leurs organisations, comme ce fut le cas en Italie.

Progressivement, la bourgeoisie soumet l’Etat à une réorganisation de type fasciste.

La bourgeoisie monopoliste, qui contrôle le pouvoir politique, installe le fascisme en faisant alliance avec des éléments pré-monopolistes.

Alors que, dans les pays capitalistes, la base de classe du fascisme réside dans les éléments les plus réactionnaires et chauvins du capital monopoliste, dans des pays comme le nôtre, cette base est représentée par toute l’oligarchie qui n’est autre que l’alliance entre la bourgeoisie monopoliste collaborationniste, les commerçants usuriers et les gros propriétaires.

Le fascisme de type colonial s’applique de deux manières.

Le fascisme latent: les droits démocratiques bourgeois existent en partie et de manière formelle mais leur unique fonction est de servir de couverture au fascisme.

Le fascisme ouvert: lorsque le capital monopoliste ne peut maîtriser la situation, on supprime les éléments de couverture du fascisme. Répression et violence s’exercent ouvertement.

Nous donnerons plus loin des explications plus détaillées sur le fascisme de type colonial, tant larvé qu’ouvert, en prenant certains exemples pratiques que l’on rencontre dans notre pays.

L’institutionnalisation du fascisme en Turquie

A sa création, la république de Turquie n’était pas un Etat fasciste. Mustafa Kemal lui-même n’était pas un fasciste. Durant les premières années de la république, les kémalistes, des nationalistes petits-bourgeois, occupaient les niveaux supérieurs de l’administration, mais ils n’y étaient pas les seuls.

L’Etat était un Etat transitoire aux rênes duquel, outre les kémalistes, se trouvaient d’autres sections de la petite bourgeoisie.

Puisque, durant cette période, les kémalistes détenaient l’hégémonie, nous en parlons comme de la ‘dictature kémaliste’, ou dictature petite-bourgeoise. Mustafa Kemal lui-même disait : « Nous allons essayer de créer de nombreux millionnaires, et même des milliardaires, dans notre pays ».

Y sont-ils arrivés?

Ils sont effectivement parvenus à fabriquer nombre de nouveaux riches, mais pas à créer une bourgeoisie nationale. Jusqu’à cette époque, la bourgeoisie n’était constituée que de marchands et ceux-ci évitaient les investissements et les prises de risque.

Ils manquaient d’expérience, étaient faibles et, de ce fait, poltrons.

Dans de telles circonstances, l’impérialisme n’a eu aucune difficulté à enfoncer progressivement ses griffes et, tout en appliquant sa politique coloniale, il a entrepris l’instauration de son propre système fasciste.

L’impérialisme a commencé par créer une classe collaborationniste

L’impérialisme ne pouvait instaurer un système destiné à protéger ses propres intérêts sans établir en même temps une classe partageant les mêmes intérêts.

Par conséquent, en 1948, il consolida la bourgeoisie nationale moyennant les prêts et crédits de ce qu’on a appelé le ‘plan Marshall’.

Allié à d’autres sections de la bourgeoisie, ce groupe fut élu au pouvoir dans les années 50.

A l’époque, les élections n’étaient pas monnaie courante comme elles le sont aujourd’hui. Elles eurent pour résultat la baisse d’influence des kémalistes et, en fin de compte, l’oligarchie put s’assurer l’hégémonie.

En peu de temps, de nouvelles sections des monopoles collaborationnistes se constituèrent les unes après les autres.

Au cours de cette période, les familles Koc et Sabanci occupèrent de plus en plus l’avant-scène.

Lorsque le DP (Parti Démocratique) accéda au pouvoir en 1950, l’institutionnalisation du fascisme s’accéléra, particulièrement au sein de la bureaucratie gouvernementale et de l’armée. Les kémalistes furent d’abord évincés des grades supérieurs des forces armées.

En entrant dans l’Otan, la Turquie mit son armée à la disposition de l’Organisation. Et on créa des troupes antiguérilla en réorganisant le MIT de façon à le placer sous contrôle de la CIA.

Pendant ce temps, des groupes fascistes civils encourageaient les gens à s’organiser sous la bannière d’une idéologie réactionnaire se servant de la religion.

Certains obstacles entravèrent toutefois l’institutionnalisation du fascisme.

En réaction à cette évolution et à la politique de collaboration du DP, les kémalistes évincés des hautes sphères de l’armée allaient mener à bien, le 27 mai 1960, une révolution politique qui s’appuyait sur le mécontentement populaire.

Les kémalistes de l’armée s’emparèrent du pouvoir. L’administration du ‘27 Mai’ parvint à imposer certains changements, tels la ‘Constitution’ de 1961, une semi-autonomie pour les universités, la liberté de participation aux organisations démocratiques, bref, tout un ensemble de choses qu’il ne faut pas sous-estimer.

Ainsi donc, nous pouvons dire que le ‘27 Mai’ fut une révolution politique.

Mais cette révolution du ‘27 Mai’ eut beau interrompre le processus d’institutionnalisation du fascisme, elle ne put maintenir cette interruption en permanence, parce que ses forces étaient trop faibles.

Par exemple, elles furent incapables de mettre un terme aux relations avec les impérialistes.

Dès leur accession au pouvoir, effrayées par l’éventualité d’une intervention américaine, elles déclarèrent qu’elles seraient loyales envers les accords bilatéraux et les institutions impérialistes telles l’Otan et la Cento.

Au bout d’un certain temps, du fait de leur incapacité à modifier leurs relations avec les impérialistes, elles durent laisser l’initiative à la bourgeoisie collaborationniste.

L’AP (Parti de la Justice) remplaça le DP et l’institutionnalisation du fascisme put se poursuivre.

Mais des obstacles subsistaient. Tout particulièrement, depuis les années 60, il régnait une atmosphère de liberté et de conscience anti-impérialiste, si bien que la lutte associée à ce courant ne tarda pas à prendre de l’ampleur.

Lorsqu’il fut impossible à l’oligarchie d’encore gouverner à l’ancienne, elle n’hésita pas à recourir au fascisme ouvert.

Les périodes de junte militaire qui débutèrent le 12 mars 1971 et le 12 septembre 1980 furent des périodes où le fascisme révéla son existence par toutes sortes de massacres, de tortures et d’incarcérations.

Des centaines de milliers de personnes furent tirées du lit au beau milieu de la nuit et emmenées vers des destinations inconnues. Les infos véhiculaient d’innombrables histoires de tortures et de morts suite aux échauffourées.

Des véhicules militaires, des chars et autres véhicules blindés occupaient les places des villes et tous les coins de rues.

Des centaines de personnes furent contraintes de se coucher à plat ventre sur les trottoirs tandis que policiers et militaires se tenaient en faction sur leurs corps.

Les prisons regorgeaient de révolutionnaires, démocrates, intellectuels, écrivains, syndicalistes. Associations, syndicats et partis politiques durent fermer leurs portes. Grèves et manifestations furent interdites, de même que toute forme d’opposition.

Les conditions les plus favorables furent créées afin de faciliter le maintien au pouvoir de l’oligarchie.

Ce furent les deux périodes où l’institutionnalisation du fascisme se fit au rythme le plus rapide.

Le 12 mars 1971, par exemple, les kémalistes furent presque complètement évincés de l’armée et, le 12 septembre 1980, on alla jusqu’à expulser de l’armée ceux qui saluaient les officiers révolutionnaires ou démocrates et, cette fois, les éléments kémalistes furent complètement éliminés.

Le coup du ‘12 Mars’ modifia une nouvelle fois la Constitution de 1961 au point qu’elle en devint méconnaissable. Le coup du ‘12 Septembre’ l’abolit complètement et la remplaça par la Constitution de 1982.

A d’autres époques, l’institutionnalisation du fascisme se poursuivit à un rythme beaucoup plus lent que durant la période de la junte.

Durant ces périodes, que nous qualifions de fascisme latent, les fascistes civils remplacèrent les militaires.

Comme ils le reconnurent ouvertement, ils tentèrent de anéantir la lutte révolutionnaire en agissant en tant qu’auxiliaires de l’Etat.

Toutes les institutions de l’Etat, spécialement les institutions d’enseignement, furent truffées de fascistes et le système éducatif fut remodelé selon les besoins du fascisme.

Ceux qui bénéficiaient d’une recommandation émanant d’une quelconque organisation fasciste civile étaient admis dans les rangs de la police.

Après le coup du 12 septembre, le fascisme s’installa ouvertement.

Le processus d’institutionnalisation était accompli. Aujourd’hui, la Turquie est un pays ouvertement fasciste.

L’institutionnalisation du fascisme

Lorsqu’on parle du fascisme dans notre pays, la fin des années 70 s’impose tout de suite à notre esprit.

Durant ces années, la terreur fasciste civile s’est intensifiée.

Elle ne s’exerçait plus à coups de chaînes, de couteaux, de barres de fer, mais en recourant aux armes automatiques et aux explosifs. A l’époque, le Premier ministre n’était autre que l’actuel président Demirel.

Hypocritement, celui-ci déclara un jour: « Vous ne me ferez pas dire que les gens de droite commettent des crimes. »

A la même époque, les fascistes assassinaient brutalement et transformaient le pays en une mer de sang.

Sans la moindre discrimination, ils criblaient de balles maisons, cafés, arrêts de bus, etc.

Les massacres et agressions fascistes se répandaient à travers tout le pays.

Le 16 mars 1978, les fascistes commirent leur premier massacre massif.

Sept étudiants furent tués au cours d’un attentat à la bombe en face de l’Université d’Istanbul, et des douzaines d’autres furent blessés.

Ensuite, ce fut le massacre de Balgat (Ankara), avec cinq tués et quatorze blessés par balles.

Puis, la tuerie de Bahcelievler (Ankara), où sept autres étudiants furent assassinés.

Et la liste est loin d’être exhaustive.

Le tribut quotidien ne descendait jamais en dessous de 20 ou 30 morts violentes.

Et il augmentait de jour en jour.

Le 24 décembre 1978, les révolutionnaires et les progressistes, mais aussi toute une génération d’être humains, furent outrés par le massacre de Maras, où les assassins fascistes massacrèrent de pauvres gens à l’arme automatique, sans distinction d’âge ni de sexe: ils abattirent aussi bien les gosses que les femmes et les vieillards.

Des filles furent violées sous les yeux de leurs familles, on fit exploser des femmes après leur avoir enfoncé des bâtons de dynamite dans les organes sexuels, à d’autres on coupa les seins, d’autres personnes encore furent brûlées vives ou enclouées sur des murs et des arbres.

Les maisons furent pillées, puis incendiées.

Par la suite, les hôpitaux furent pris d’assaut afin d’achever les blessés.

L’horreur était sans limite.

Ce jour-là, à Maras, il y eut 111 morts, selon les chiffres officiels, et des milliers de blessés.

Onze autres personnes furent abattues durant les manifestations de protestation suivirent.

Après Maras, il y eut un nouveau massacre à Corum.

Ces agressions répugnantes visaient tout le monde, sauf les partisans du fascisme, et leur brutalité s’exerçait partout. Ainsi, l’on se souviendra de ces années comme d’années de fascisme pur, dont la sauvagerie fut atrocement ressentie.

Mais ce serait une erreur de ne comprendre le fascisme qu’à partir de ces exemples.

A certains moments, comme à la fin des années 70, il recourait à des violentes attaques, menées par des fascistes civils et des militaires.

Parfois, il ne se servait que des militaires. Massacres et tortures étaient alors perpétrés par l’armée même. A d’autres moments, comme c’est le cas de nos jours, il recourt à la ‘disparition’, à la torture, à l’assassinat par des ‘tueurs inconnus’.

Aujourd’hui, le nombre de personnes disparues ou mortes sous la torture et dans les massacres n’a pas diminué par rapport à naguère.

Le point commun de toutes ces attaques fascistes, quelle que soit leur forme, est qu’elles s’opposent à la lutte du peuple et à ses revendications en faveur de la liberté.

Comme nous l’avons écrit plus haut, le fascisme est une forme de gouvernement et nous pouvons dire que le fascisme appliqué dans notre pays est du type colonial.

Ce qui signifie que le régime existant est fasciste et que, quel que soit le parti au pouvoir, la réalité ne change pas.

Les caractéristiques de l’Etat actuel

Aujourd’hui, dans notre pays, aucun parti ne se réclame du fascisme. Il ne pourrait en être ainsi.

Même le MHP (parti du mouvement nationaliste des ‘Loups gris’) ne se qualifie pas de fasciste, pour la simple raison que le fascisme a été condamné par les peuples du monde entier.

Il n’empêche que dans des milliers d’années, ces mêmes peuples du monde n’auront toujours pas oublié les désolations qu’il a provoquées et provoque encore un peu partout.

En réalité, le fascisme n’est pas l’ennemi d’une certaine nation ou pays, mais l’ennemi de tous les peuples.

Il est insidieux, il poignarde dans le dos, parce qu’il gouverne toujours par la tromperie et la démagogie.

C’est pour cette raison qu’il est un ennemi des plus dangereux.

Quand on voit ce qui se passe dans notre pays, on s’en rend compte clairement.

Par exemple, les discours des hommes d’Etat sont truffés de mensonges et de manipulation.

Quoi qu’ils disent un jour, ils peuvent très bien l’oublier le lendemain et, tout aussi honteusement, nier avoir tenu pareils propos.

Tout particulièrement durant les élections, ils font des promesses qu’ils ne tiennent pas.

Ils se prétendent les représentants du peuple mais, sans la permission du Tusiad (la puissante confédération turque des employeurs et hommes d’affaires) ou des Etats-Unis, ils ne remuent pas le petit doigt.

Tous les Premiers ministres sans exception ont visité au moins une fois les Etats-Unis peu après leur nomination.

L’exemple le plus récent est la visite du Premier ministre Bulent Ecevit.

Lorsque Clinton l’a traité comme un domestique, les médias turcs ont essayé de présenter l’affaire comme une chose dont il y avait lieu d’être fier. Les exemples de ce genre ne manquent pas.

Mais leur pire mensonge, c’est lorsqu’ils prétendent que la Turquie est un Etat démocratique.

Bien sûr, il existe une Constitution, un parlement, des partis politiques et des tribunaux pour intervenir en cas de délits.

Pour l’instant, les militaires se tiennent dans leurs casernes et il y a de nombreuses élections. Tout le monde peut voter comme il l’entend.

Même la presse peut exprimer des critiques.

Il y a aussi des livres et des magazines à foison.

Ils disent: « Comment pourrait-on être plus démocratique que nous ne le sommes? »

Quelle est donc la réalité du fascisme dans notre pays?

Pour répondre à cette question, il convient d’analyser les institutions qui composent l’Etat.

Parce que ce qui fait qu’un Etat est fasciste, c’est le fait que ses institutions sont fascistes.

Et partout, dans notre pays, le fascisme a été institutionnalisé.

Quelles sont ces institutions? Le pouvoir législatif, autrement dit le parlement.

Ensuite, l’administration, le gouvernement, composé des ministères et de la bureaucratie qui s’y rattache.

Le système judiciaire, également, c’est-à-dire les tribunaux.

Et l’armée, qui veille sur la sécurité du pays et garde les frontières.

Telles sont toutes les institutions qui composent l’Etat et dont les devoirs sont définis par la Constitution.

Bien sûr, il ne nous faut pas oublier les fascistes civils, parce qu’ils constituent toujours une force auxiliaire de l’Etat fasciste en même temps que la masse de base du fascisme.

C’est également sous cet angle qu’ils se perçoivent eux-mêmes.

Par exemple, ils participent toujours aux cérémonies funéraires honorant militaires et policiers.

Lorsque la police abat des révolutionnaires, les fascistes civils sont toujours là pour applaudir.

Lorsque l’Etat cherche de nouvelles recrues pour les équipes antiguérilla – des recrues dont les tâches impliquent des actes d’une barbarie atroce telle que couper les oreilles et les nez ou trancher des gorges – il peut les trouver dans les rangs du MHP et des Foyers Idéalistes (ou Ulku Ocaklari – en Turquie, les fascistes s’auto-qualifient souvent ‘d’idéalistes’).

Les caractéristiques des appareils législatif, judiciaire et administratif

Dans les pays démocratiques, les appareils législatif, judiciaire et administratif sont indépendants les uns des autres.

Ils ne peuvent s’influencer mutuellement.

Par contre, dans les régimes fascistes, l’administration est tout.

Lorsque Hitler et son parti ont accédé au pouvoir, toutes les institutions de l’Etat se sont retrouvées sous leur contrôle.

Il en est allé de même pour Mussolini et son parti.

Dans notre pays, le pouvoir prétend que les trois institutions sont séparées.

Mais ce ne sont que des mots.

En réalité, toutes sont sous le contrôle et à la disposition du MGK (Conseil national de sécurité).

Cette réalité a été clairement mise en évidence, particulièrement après Susurluk. En 1997, par exemple, les fameuses ‘décisions du 28 février’ ont été prises par le MGK.

De même, l’application de ces décisions est également soumise au contrôle du MGK. Celui-ci est composé de l’Etat-major général et de tous les hauts commandants militaires, du Premier ministre et de quelques ministres.

Ils se rencontrent une fois par mois et prennent des décisions en tout genre concernant la direction du pays. Ces réunions sont présidées par le président de la Turquie en personne.

Aujourd’hui, pas une seule réglementation ou loi adoptée par le parlement ou le conseil des ministres ne peut être mise en œuvre sans l’aval du MGK.

Le MGK représente l’instance suprême et le corps même des appareils législatif, judiciaire et administratif.

Dans la structure du MGK, les militaires sont dominants.

Cela signifie, en fait, que les décisions du MGK sont celles de l’armée. En d’autres termes, c’est par le biais du MGK que l’armée impose ses directives à ces trois institutions.

Qu’advient-il au cas où elles ne sont pas d’accord avec cette façon de faire?

C’est totalement hors de question, parce que le MGK est sous la protection de la Constitution.

Ses devoirs sont d’ailleurs définis dans cette même Constitution, qui stipule que « le MGK fait des recommandations qu’il convient d’observer ».

C’est on ne peut plus clair.

Les recommandations du MGK doivent être appliquées par le gouvernement. S’il arrivait, en raison de rivalités internes, que ces décisions ne soient pas appliquées ou que des réticences apparaissent, on risquerait de voir se répéter ce qui est arrivé au Parti Refah (Parti du Bien-être, un parti islamique, dissous par le MGK en 1997, bien qu’il fût le parti le plus populaire de la Turquie, électoralement parlant).

Rappelons que, lorsque la frange islamique de la société représentée par le Refah entra en conflit avec le programme du MGK, le Parti Refah fut interdit séance tenante et dissous.

On interdit à ses dirigeants d’encore prendre part à la moindre activité politique et, en lieu et place, on créa une version ‘soft’ du Refah, le Parti Fazilet (Vertu).

Nous avons dit plus haut que toutes les institutions composant l’Etat étaient fascistes.

Ceci signifie que le parlement est fasciste également. Comment cela se fait-il?

En fait, cette question constitue la partie la plus complexe des débats visant à établir si, oui ou non, le fascisme est installé dans notre pays.

Il existe de nombreux partis, il y a un grand nombre de parlementaires, et, outre les fascistes du BBP (Grand Parti de l’Unité) et du MHP, il y a également des parlementaires qui, heureusement, ne sont pas fascistes.

Parfois, ils s’opposent à la torture et soutiennent même la lutte des Mères des Disparus.

Dans ce cas, pourquoi déclarons-nous que le parlement est une institution fasciste?

Dans les pays démocratiques, le parlement est la plus haute instance de l’Etat.

On y fabrique ou modifie les lois et la législation, on y accepte ou rejette les décisions et les programmes gouvernementaux.

Mais nous avons déjà dit que dans notre pays, l’institution suprême était le MGK.

Ensuite, à quoi sert une institution suprême si elle ne dispose pas de forces armées?

A rien.

Sans forces armées, il n’est pas possible de contraindre autrui à accepter des décisions. Dans notre pays, le pouvoir d’utiliser les forces armées et, plus particulièrement, le pouvoir du parlement de recourir aux forces armées, a été supprimé par la Constitution.

Cette autorité appartient au président, ce qui signifie que le président peut déclarer la guerre ou prendre des décisions similaires sans même demander l’avis du parlement.

Une telle situation prouve à suffisance que le parlement n’est qu’une institution fantoche.

Par ailleurs, puisqu’un régime fasciste comme celui de notre pays se prétend démocratique, il tolère certaines institutions propres aux régimes parlementaires (démocratiques). Il donne au peuple le droit de vote, mais les partis politiques et les lois électorales sont réglementés de façon telle que le fascisme ne laisse aucune chance à quelque parti que ce soit d’égratigner un tant soit peu le système.

Nos concitoyens ont une expression pour définir ce genre de situation: « On vote pour le moins mauvais. » Lors des élections, les gens ne votent pas pour choisir le parti ou le parlementaire souhaité, mais pour choisir le parti ou le parlementaire le moins indésirable.

Le fascisme ne permet absolument rien en dehors des choix qu’il propose.

Par conséquent, tous les partis en vogue veillent à appliquer le fascisme tout en le masquant sous un vernis démocratique.

Les partis ne diffèrent pas les uns des autres

En réalité, ces partis ne diffèrent pas les uns des autres. En principe, tous sont les porte-parole de l’oligarchie et de l’impérialisme. C’est pourquoi nous qualifions tous ces partis de bourgeois.

Ils se critiquent violemment les uns les autres, comme s’il pouvait exister la moindre différence entre eux, mais, une fois qu’ils sont en place, on ne peut y déceler aucune différence.

Tous les gouvernements, y compris l’actuel, ont été constitués avec le soutien du Tusiad et de l’impérialisme. Cette collaboration s’opère ouvertement.

Même le chef du Parti Refah, Rebakan, qui se prétend le représentant de la frange islamique de la société et qui appelait les Etats-Unis le ‘grand Satan’, a dû se soumettre à l’approbation des mêmes Etats-Unis lorsqu’il est devenu Premier ministre, en 1996.

Il lui a même fallu modifier son image de marque afin de pouvoir obtenir cette approbation.

L’oligarchie et l’impérialisme ne soutiennent jamais un seul parti à la fois.

Selon les conditions du moment, ils soutiendront tout parti susceptible de défendre au mieux leurs intérêts. C’était le cas, naguère, pour l’ANAP (Parti de la Patrie) ou pour le DSP (Parti Démocratique de Gauche) et c’est encore le cas aujourd’hui pour la coalition entre l’ANAP et le DSP. L’ANAP est ce qu’on appelle un parti de centre-droite, le DSP se situe au centre-gauche, mais tous deux ne peuvent se maintenir au pouvoir que s’ils protègent les intérêts de l’impérialisme et de l’oligarchie.

Lorsqu’ils sont à bout de ressources et qu’ils se trouvent dans une situation où ils ne peuvent plus appliquer leur politique, on les remplace par d’autres partis de l’oligarchie.

Aujourd’hui, le MHP en est un exemple.

Il ne suffit pas d’affirmer que le parlement est une institution inefficace, dénuée de pouvoir et fantoche. Le parlement est une institution au service du fascisme.

Il veille à l’application de la politique fasciste.

L’administration gouvernementale

C’est le parlement qui nomme l’administration.

Cela s’opère par le biais d’un vote de confiance, ce qui veut dire que le gouvernement fait son travail sous la surveillance étroite du parlement.

La désignation du gouvernement dans notre pays s’opère de la même façon.

Mais ici, son travail ne s’effectue pas sous le contrôle du parlement. Un exemple: rappelez-vous Bulent Ecevit durant les années 70. Lorsqu’il était dans l’opposition, il parlait de l’existence des troupes antiguérilla, les contras, et prétendait que, lorsqu’il serait au pouvoir, il se chargerait du problème. Lorsqu’il accéda au pouvoir, non seulement, il ne s’occupa pas du problème des contras, mais il oublia même leur existence, allant d’ailleurs jusqu’à nier la nier.

Le sens de tout ceci est bien simple: les gouvernements sont supervisés par les contras, et non par le parlement.

Cette situation apparaît beaucoup plus clairement aujourd’hui. Si l’on pose la question de savoir « s’il existe une seule institution à laquelle le gouvernement doit rendre des comptes », la réponse ne sera jamais ‘le parlement’, mais ‘aucune’ ou ‘le MGK’.

Quel que soit le gouvernement au pouvoir, durant les réunions du MGK, le ‘Document de la Sécurité nationale’ ou, comme on l’appelle aussi, la ‘Constitution secrète’ ou le ‘Livre rouge’, est placé sous les yeux des représentants du gouvernement. Le message est simple: « C’en est terminé pour le programme de votre parti ou des élections.

Apprenez plutôt les grandes lignes de votre travail. »

Cette Constitution secrète est la seule en vigueur pour le gouvernement, qui dirige le pays conformément à elle et en produisant des ‘directives’ et ‘réglementations gouvernementales’. Ces directives émanent des décisions du gouvernement et ont force de loi.

Ceci se fait sans l’approbation du parlement.

Ce qui revient à dire que le gouvernement n’est pas habilité à promulguer des ‘décrets’ mais que, dans la pratique, il peut quand même le faire. Les plus fameuses de ces directives sont les ‘directives SS’, qui traitent de la répression et des interdictions.

Par exemple, depuis 1982, plus un seul décret n’a vu le jour sur les prisons, mais une bonne dizaine ont été promulgués par le gouvernement afin d’intensifier la répression dans ces mêmes prisons.

Signalons également que, dans notre pays, comme dans d’autres pays similaires, l’autorité émane de bureaucrates non élus plutôt que de ceux qui sont élus au parlement. Directement ou indirectement, ce sont les généraux, les chefs de la police et les maires qui contrôlent l’administration.

Par exemple, à une certaine époque, le nom du général Cevik Bir, qui a fait ses études aux Etats-Unis et qui parle mieux l’anglais que le turc, a été prononcé plus fréquemment que celui du Premier ministre.

De plus, une autre institution de l’armée, appelée le ‘Groupe de travail occidental’, est également en fonction et continue à constituer des dossiers sur quasiment tout le monde, qu’il s’agisse d’un boucher ou d’un ministre, et ce, malgré la décision du Premier ministre prétendant que « la chose n’était plus nécessaire ».

Ces personnes rendent publiques leurs opinions concernant la situation du pays et elles formulent des avertissements.

Elles agissent même en tant que porte-parole du pays à l’étranger.

Leurs opinions prévalent davantage, par exemple, que celle du chef du parlement.

Les sections les plus importantes de la bureaucratie sont encadrées par des fascistes.

Personne ne peut être chef de la police ou maire sans des antécédents de tortionnaire ou d’assassin.

Necati Bilican a été maire de l’un des districts placés sous état d’urgence. Il a fait ses preuves en tant qu’assassin de plusieurs centaines de personnes avant de devenir chef de la police.

Et ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.

Aujourd’hui, dans notre pays, toutes les fonctions de chef de la police, de maire ou encore les postes du même genre sont attribués à des personnes de ce calibre.

La carrière de Mehmet Agar qui, de chef de la police, est devenu ministre, s’inscrit dans un modèle similaire.

Rien d’étonnant, de ce fait, si nous qualifions le pays ‘d’Etat policier’, ‘d’Etat antiguérilla’ ou ‘d’Etat susurluk’.

Qu’en est-il sur le plan judiciaire?

Aux questions que nous allons poser ici, la réponse soit invariablement ‘non’.

Les gangs pourraient-ils être jugés? Les noms de la quasi-totalité des députés, y compris le chef du parlement, ont été cités dans des affaires de corruption. Peut-on les déférer devant un tribunal?

Tansu Ciller – ancienne Premier ministre de Turquie et citoyenne américaine – pourrait-elle être déférée devant un tribunal?

Et Mesut Yilmaz (un autre ancien Premier ministre)?

Et Mehmet Agar?

Et Ayhan Carkin, et Ibrahim Sahin? Et l’assassin fasciste, Oral Celik, dont les crimes sont connus jusque dans les moindres détails et qui est actuellement président d’un club de football de première division?

En mars 1995, à Gazi, onze personnes ont été tuées dans une fusillade de la police.

On possède même une vidéo des faits, sur laquelle on voit clairement un policier, Adem Albayrak, utilisant son fusil automatique. Récemment, les conclusions du procès de ce massacre ont été rendues publiques.

Le procès a duré quatre ans, a été déplacé d’Istanbul à Trébizonde (soit à 1083 km, ou 18 heures de voiture).

Le policier meurtrier a été acquitté.

Il est le seul policier à avoir été détenu jusqu’au verdit final du tribunal.

Aujourd’hui, même des représentants de l’appareil judiciaire disent que le système judiciaire n’est pas indépendant.

Le procureur Mete Gokturk, de la DGM (Cour de Sécurité de l’Etat), a expliqué la situation en détail dans un programme télévisé. Aujourd’hui, il passe en jugement pour une accusation qui pourrait lui valoir douze ans et demi d’emprisonnement.

Dans chaque tribunal de Turquie, figure cette devise: « La Justice est la base de l’Etat ».

La justice fasciste est la base du fascisme. C’est ainsi, par exemple, que des gosses qui volent des pâtisseries se retrouvent au tribunal, alors que ce n’est pas le cas pour les contrebandiers, les trafiquants de drogue, les fraudeurs, etc.

Quelle que soit l’opinion qu’on se fait de l’Etat, plus personne aujourd’hui n’a confiance en la justice.

Le fascisme a également instauré des tribunaux d’exception appelés DGM afin de se protéger et de légitimer la répression et la terreur.

Les DGM sont des institutions fascistes dont le but est de condamner les luttes populaires.

Le fascisme y a recours afin de blanchir ses propres agressions et massacres et de les légitimer.

Bref, on y innocente le fascisme pour mieux traîner en justice la lutte révolutionnaire.

Tandis qu’on acquitte des tortionnaires et des chefs antiguérilla, on condamne à mort ou à de longues peines de prison des révolutionnaires, des démocrates et des intellectuels.

L’armée est une des institutions principales du fascisme

Selon la définition du dictionnaire, l’armée fait partie de l’administration de l’Etat.

Mais dans des pays comme le nôtre, l’armée se mêle de chaque événement ou problème et elle est l’institution la plus importante du fascisme.

Nous avons déjà expliqué comment l’armée domine l’administration de l’Etat par le biais du MGK.

Quelle est la structure de l’armée, pour qu’elle ait une position aussi dominante? Avant tout, l’armée dépend de l’impérialisme à tous niveaux.

Depuis les armes que coltinent les militaires jusqu’aux chaussettes qu’ils portent, tout est fourni par l’impérialisme. L’armée ne dépend pas seulement de l’impérialisme, elle y collabore aussi.

Toutes les positions stratégiquement importantes en son sein sont occupées par des officiers et des généraux qui ont été formés aux Etats-Unis.

L’armée est sous le contrôle des Américains depuis son institutionnalisation jusqu’à ses moindres règlements.

Les Yankees organisent des cours pour initier les militaires aux maniements des armes qu’ils leur vendent, ils leur dispensent information technologique, entraînements et règlements disciplinaires.

Bien sûr, ces exemples ne suffisent pas à expliquer la collaboration.

Aujourd’hui, l’armée est également un monopole connecté à d’autres monopoles, tant domestiques qu’étrangers, qui présentent des intérêts communs.

Avec la création de marchés militaires, de clubs de détente pour militaires, de plages pour militaires en vacances, de fondations militaires, avec les Oyak (institutions d’aide aux militaires), Aselsan (une firme de l’armée spécialisée en électronique), Tusas (une firme turco-américaine de l’armée), Tuslog (groupe logistique turco-américain), et bien d’autres, les cadres supérieurs de l’administration militaire se sont mués en une bourgeoisie bureaucratique.

Les cadres militaires vivent dans de meilleures conditions que leurs homologues civils, et c’est pourquoi l’armée protège les intérêts de l’impérialisme et de la bourgeoisie collaborationniste mieux que toute autre force.

De même, les monopoles collaborationnistes de notre pays, tels Sabanci et Koc, ne cessent de faire des cadeaux aux chefs d’état-major et aux dirigeants des forces armées.

Le fascisme survit par la terreur

Quand les gens sont organisés et conscients, l’impérialisme et la bourgeoisie monopoliste ne peuvent instaurer le fascisme.

C’est pourquoi, outre leurs propres institutions légales, ils ont besoin de plusieurs autres appareils répressifs.

Une administration qui protège les intérêts de l’impérialisme et de la bourgeoisie monopoliste est, bien sûr, l’ennemie de tous les peuples, puisque cette administration a pour but le pillage du travail du peuple et son exploitation par la force.

Cette forme d’administration ne peut être acceptée par le peuple.

Par conséquent, le fascisme ne veut en aucun cas que le peuple accède à la conscientisation ni qu’il s’organise.

Le peuple est constamment victime de la répression. En d’autres termes, le fascisme survit par la terreur.

Il y a des associations, des syndicats, des partis politiques, mais leurs activités sont quasiment toutes interdites.

En une seule nuit, des dizaines d’ONG (organisations non gouvernementales) ont subi des razzias de la police et leurs membres ont été arrêtés.

On prétend que le droit de participer à une organisation existe, mais s’affilier à ces ONG mène en droite ligne à la répression et à la torture.

Il existe des journaux, des magazines et des ouvrages socialistes et révolutionnaires, mais la plupart de leurs éditions font l’objet de saisies. Les bureaux de ces publications subissent raids et attentats à la bombe, tout ce qui s’y trouve est détruit ou pillé, le personnel se fait tabasser et arrêter. L’hebdomadaire socialiste Kurtulus (Libération) en est un exemple typique.

Quand cela ne suffit pas, les fascistes essaient d’intimider les gens et de les réduire au silence par des assassinats, des massacres et des disparitions.

Mais, pour ce faire, les institutions légales de l’Etat, comme la police, ne suffisent pas toujours.

Dans de telles circonstances, on recourt à l’intervention des brigades antiguérilla qui supervisent le reste des institutions de l’Etat.

Les brigades antiguérilla

Elles n’ont de comptes à rendre qu’à l’Etat-major général.

Elles planifient et mettent à exécution toutes les sales besognes, les massacres, les provocations et mille autres opérations, ainsi que les politiques chauvines dont le rôle est de diviser le peuple.

Elles fonctionnent sous l’appellation de ‘Commandement des Forces Spéciales’.

Les locaux de la gendarmerie, le Jitem, les Equipes Spéciales d’Action, les gardes villageois, les Unités de Commandos Spéciaux, les administrations communales des zones d’état d’urgence, les DGM et autres institutions similaires… tous doivent rendre des comptes au Commandement des Forces Spéciales.

Les brigades antiguérilla sont les ennemies du peuple. Leur tâche principale est de diviser et d’intimider les gens, d’en faire des esclaves de l’impérialisme et de l’oligarchie, à n’importe quel prix.

C’est pour cette raison que l’on commet des atrocités en tous genres, que l’on divise les gens et qu’on les excite les uns contre les autres.

On organise des massacres collectifs, on bombarde des villages, on force des paysans à déménager et à s’expatrier, on déboise des forêts entières.

Tant les brigades antiguérilla que le MIT sont sous contrôle direct de l’impérialisme par le biais de la CIA.

Le fascisme exerce son contrôle dans tous les domaines

Avec le YOK (Conseil supérieur de l’éducation), qui a réduit à néant l’autonomie des universités, le fascisme contrôle les étudiants; avec le YHK (Conseil supérieur d’arbitrage), il contrôle les travailleurs; avec le Conseil supérieur des juges et des procureurs, il contrôle le monde judiciaire; avec le Conseil de contrôle de l’Etat, il contrôle la bureaucratie et le gouvernement.

Par le biais de ces institutions mises sur pied par la Constitution, l’institutionnalisation du fascisme est totale à tous les niveaux. Par ailleurs, le fascisme doit pouvoir compter sur un certain soutien de masse (au moins de la part d’une minorité) s’il désire demeurer en place.

Les fascistes civils constituent le soutien de masse du fascisme

Les organisations fascistes trouvent leurs supporters principalement parmi les petits indépendants, comme les boutiquiers ou les paysans qui possèdent un peu de terre.

Ceux-ci ne pensent qu’à s’enrichir et ne cessent de placer leurs espoirs dans le système.

De la sorte, ils se laissent influencer par la propagande du système et deviennent ses partisans naturels.

Chaque fois qu’il le faut, ils se muent en soutien de masse de l’Etat ou en force offensive contre l’opposition démocratique révolutionnaire.

Ils s’en prennent aux manifestations, brûlent, détruisent, se livrent à des massacres.

Chaque fois que c’est nécessaire, ils sont les instruments de la propagande chauvine. Ils déclarent que tous les peuples de la planète sont des ennemis. Leur principale démagogie réside dans ce slogan: « Les Turcs n’ont d’autres amis que les Turcs. »

Ils ne cessent de répéter que nous devrions vivre « tous ensemble, dans l’unité nationale ».

Ce qu’ils entendent par ‘unité’, c’est une unité dans la soumission à l’impérialisme et à l’oligarchie.

Ils déclarent que la lutte de plus en plus active du peuple pour ses droits et ses libertés détruit cette unité et ils considèrent comme leurs ennemis tous ceux qui soutiennent cette lutte.

Les affaires de l’Etat, telles le trafic de drogue et la prostitution, sont également gérées par ces fascistes civils.

Alaattin Cakici et Drej sont deux noms bien connus parmi tant d’autres.

Les camps de commandement du passé sont remplacés par les ranchs et villas de la mafia d’aujourd’hui.

Il est aussi notoire que ces gens vivent dans les meilleurs termes avec les bureaucrates et les ministres.

Comment ils ont commis leurs crimes ou se sont livrés à leurs provocations, tout le monde le sait.

Bref, lorsque l’Etat est dans l’impossibilité de vaquer à ses sales besognes en raison de sa propre législation, il recourt pour ce faire aux cadres fascistes civils.

Personnalités fabriquées de toutes pièces et dégénérescence culturelle

Le fascisme doit modeler un peuple susceptible d’accepter sa culture et ce, afin de protéger à la fois le système et les fascistes civils.

Ce modelage, il essaie de le réaliser par le biais de la dégénérescence culturelle.

Chez nous, ‘l’apogée’ de cette dernière se situe à l’époque qui a suivi le 12 septembre 1980.

Ceux qui rejettent la culture du fascisme et qui ne sont pas emplis d’une admiration béate pour les pays impérialistes sont appelés les enfants du ‘12 Septembre’.

Cette date marque le début d’une période spéciale, le début de l’époque qui a suivi le coup d’Etat militaire.

Le ‘12 Septembre’ est un concept, un style de vie, une structure sociale.

Quelle qu’ait été le degré des atrocités et de la répression de la junte militaire, elle n’aurait pu survivre très longtemps sans créer une masse qui allait accepter de plein gré son administration.

La manière d’y arriver consistait à dépersonnaliser la société, autrement dit, à provoquer sa dégénérescence.

Ce fut l’un des objectifs majeurs du ‘12 Septembre’ en vue d’assurer la pérennité du fascisme.

De la sorte, ses pratiques fascistes seraient aisément acceptées.

D’une part, le système éducatif fut complètement remodelé en conformité avec l’idéologie fasciste.

D’autre part, on recourut largement aux médias. Les monopoles médiatiques soutinrent volontairement cette politique fasciste. Renégats, pusillanimes et autres lâches furent achetés par les patrons des médias afin de faire toute la propagande de la dégénérescence.

Aujourd’hui, ils constituent toujours le principal outil d’une dépersonnalisation qui se sert d’un vocabulaire de gauche.

C’est pour cette raison que l’on a propagé la philosophie prétendant qu’ »aucune cause ne vaut qu’on meure pour elle ».

Si une facette de l’histoire se traduit par la tyrannie, la souffrance, le sang et l’affliction pour le peuple, l’autre facette est celle de la résistance, de la révolte et des révolutions.

Vivre à genoux est contraire à la nature humaine.

Aujourd’hui, la tyrannie s’appelle fascisme. A l’instar de tous les systèmes basés sur la répression, il est appelé à pourrir et à disparaître.

Après les années 1900, en réponse aux régimes fascistes qui avaient essayé de détruire les luttes de libération du peuple, il y eut des révolutions. Des peuples héroïques implantèrent le socialisme et combattirent le fascisme en front uni.

Aujourd’hui, la lutte grandissante pour l’indépendance, la libération et la démocratie, tant dans notre pays que partout dans le monde, est la preuve de l’échec du fascisme.

La seule façon de ne pas succomber à la barbarie et à la terreur des monopoles est de proclamer ‘la liberté’ et de lutter.

Le fascisme sera vaincu « sans dépendre de forces extérieures, en croyant en votre propre pouvoir, votre pensée, votre expérience, en menant à bien la révolution et en la protégeant ». (Rapport de Congrès du DHKP, p.104.)

Le fascisme est le régime de la destruction et de la dégénérescence.

Il hait tout en dehors de lui-même. C’est pourquoi le peuple uni contre lui n’a que deux choix: la victoire ou la mort.

Note

1. Susurluk : expression utilisée pour décrire l’Etat fasciste et maffieux en Turquie.

Dans la ville de Susurluk, une voiture a explosé avec, à son bord, un ministre et un chef de la mafia, ce qui avait révélé la collusion entre le pouvoir d’Etat et la mafia.

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