L’exemple chinois témoigne de comment la cartographie du ciel, qui suit la connaissance du soleil et de la lune, des solstices et des équinoxes, a permis à l’humanité une « cosmovision ».
Cependant, les choses ne sont pas si simples que cela. Il y a en effet une problématique énorme, qu’il était impossible à l’humanité de résoudre alors.
Cette problématique, c’est celle de la précession des équinoxes. Pour faire simple, la planète Terre ne tourne pas sur elle-même comme un ballon. Il y en effet une influence du soleil et de la lune, à savoir la force des marées.
Par conséquent, la Terre tourne comme une toupie lancée de manière inadéquate : son axe penche d’un côté, puis de l’autre, et le mouvement se répète, tous les 25 769 ans. C’est comme si l’axe de la terre suivait un cône.
La conséquence est terrible pour l’observation des étoiles. Prenons l’étoile polaire : l’étoile qu’on désigne ainsi change tous les 2200 ans environ.
De – 3 942 jusqu’à – 1 793, ce fut l’étoile Thuban, de la constellation du Dragon (en tant que α Draconis), à 0,1° de distance du pôle céleste en – 2 775.
De – 1 700 à 300 de notre ère, ce fut Kochab, qui n’aura été par contre qu’au maximum à 6,5° du pôle céleste. Cela a-t-il joué ? Nos ancêtres ont-ils vu l’étoile polaire « partir » et remplacé par une étoile moins centrale ? Cela a dû en tout cas forcément marquer les esprits.
Kochab, c’est-à-dire étoile du nord en arabe, forme la fin de la petite casserole avec Pherkad ; ce sont tous les deux des étoiles de la Petite Ourse et elles sont également appelées respectivement Beta Petite Ourse et Gamma Petite Ourse.
Après, c’est Alpha Grande Ourse qui a pris le relais. C’est celle qu’on connaît aujourd’hui et on l’appelle plus communément étoile polaire, mais elle ne le restera pas, puisque de 3 000 à 5 000, ce sera Errai (Gamma Cephei), de la constellation Céphée.
Errai sera le plus proche du pôle céleste en 4 000, puis sera remplacé par Iota Cephei, avec Beta Cephei très proche, les deux faisant partie de la constellation de Céphée. Ensuite, vers 7 500, ce sera Alderamin (de Al Dhira al Yamin, bras droit en arabe), également de la constellation Céphée (Alpha Cephei).
Tout cela nous intéresse beaucoup, car cela devait poser un problème à l’humanité. Le ciel n’était pas parfait, il se passait des choses. Cela a dû compliquer les choses au niveau de la compréhension dans l’observation, mais cela devait également inquiéter.
C’est là où justement entre en jeu la dialectique des étoiles et des planètes. Initialement, l’humanité les a tous considérés de la même manière. Seulement voilà, déjà que les étoiles sont en mouvement, certaines se déplacent encore plus rapidement et de manière irrégulière.
C’est la raison pour laquelle l’antiquité grecque qualifiait ces astres comme « errant », « en mouvement », ce qui a donné le terme planète étymologiquement.
La compréhension de leur rotation implique un effort considérable de décentrement mathématique du regard pour calculer non depuis la Terre (géocentrisme) mais depuis le Soleil (héliocentrisme).
Cette rationalisation abstraite du mouvement des planètes n’était pas atteignable de manière immédiate par l’Humanité, en conséquence, ces astres se sont vus attribué un rôle signifiant « actif » entre les astres des constellations et la Terre.
Notons qu’on parle au départ de Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne, car ce sont elles qu’on peut voir à l’œil nu. Uranus sera découvert en 1781 par William Herschel. L’existence de Neptune a été devinée au début du 19e siècle, puis enfin observée au milieu du siècle.
Or, que voit-on historiquement ? Que l’humanité, au cours de son avancée historique, a associé les dieux aux planètes, immanquablement.
En Grèce antique, le soleil est lié à Hélios, la lune à Artémis, Mercure à Hermès, Vénus à Aphrodite, Mars à Arès, Jupiter à Zeus, Cérès à Déméter, Neptune à Poséidon, etc.
On notera qu’Apollon est indubitablement lié à Hélios, comme le prouve l’oracle de la Pythie de Delphes. La prêtresse au service d’Apollon y expliquait, dans un langage sibyllin, le cours des choses dans un temple construit selon le mythe par des marins attirés à cet endroit par Apollon ayant pris la forme d’un dauphin, « cochon de mer » pour les Grecs (d’où le nom de Delphes).
Il a souvent été évoqué des gaz pour expliquer les transes de la prêtresse d’Apollon. Mais l’oracle n’était pas ouvert en été, en raison de l’absence d’Apollon et, justement, le temple est situé à un endroit où la constellation du dauphin est invisible en été, car trop proche du soleil.
C’est intéressant, car on a ici un exemple de culte des étoiles qui n’est pas encore un culte planétaire, mais y conduit en partie.
Pour les dieux romains, ils sont équivalents aux dieux grecs comme on le sait (Jupiter et Zeus, Neptune et Poséidon, Minerve et Athéna, Mercure et Hermès, etc.). Notons ici seulement que les jours de la semaine, en français, ont des noms dont l’origine est la Rome antique.
Ainsi, samedi est le jour de « Saturne » (Saturni dies), le dimanche celui du soleil (Solis dies, remplacé par Dominus dies, le Soleil devenant le Seigneur), le lundi c’est le jour de lune (Lunae dies), le mardi celui de Mars (Martis dies), le mercredi est celui de Mercure (Mercurii dies), le jeudi est le jour de Jupiter (Jovis dies), enfin vendredi est celui de Vénus (Veneris dies).
Dans l’hindouisme, le soleil est lié à Surya, la lune à Chandra, Mars à Mangala, Mercure à Bouddha, Jupiter à Brihaspati, Vénus à Shukra, Saturne à Shani, etc. À Babylone, le soleil est lié à Shamash, la lune à Sin, Mercure à Nabu, Vénus à Innana, Mars à Nergal, Jupiter à Marduk, etc.
En Arménie antique, le dieu Arev est lié au soleil, Lusin à la lune, Luc à Mercure, Yeljeru à Vénus, Ckravori à Mars, Tharaznot à Jupiter, etc. En Égypte antique, le dieu Râ est lié au soleil, Khonsu à la lune, Thoth à Mercure, Isis à Vénus, Anhur à Mars, Amun à Jupiter, etc.
En Chine, les planètes étaient associées à des éléments (le bois pour Jupiter, le métal pour Vénus, le feu pour Mars, la terre pour Saturne, l’eau pour Mercure), ce qui présente une nuance dans la divinisation des planètes, mais qui nous aide beaucoup.
En Chine, en effet, les éléments primordiaux jouent un rôle central. En fait, c’était le cas également en Inde antique et en Grèce antique. Si en Grèce on parle à l’origine de quatre éléments, à la suite d’Empédocle au 5e siècle avant notre ère, il en fut par la suite ajouté un cinquième, l’éther en Inde et la terre en Chine.
Dans tous les cas, le monde est façonné par ces éléments. L’astrologie occidentale (avec les quatre éléments) et chinoise (avec les cinq éléments) prétend justement être dans le vrai, car permettant soi-disant de lire comment les éléments s’agencent entre eux pour quelqu’un.
Et, donc, que nous révèle l’exemple chinois ? L’exemple chinois nous indique que le mouvement actif des planètes était compris comme jouant sur la réalité, la façonnant. L’astrologie occidentale dit la même chose, cependant, elle n’a pas joué un rôle aussi prolongé qu’en Chine, ce qui fait que c’est moins flagrant.
Ce qui veut dire la chose suivante : l’humanité s’est particulièrement tournée vers les planètes, afin de comprendre une agitation historique qui n’existait pas encore lorsqu’elle se contentait de regarder les étoiles.
L’humanité primitive regarde le soleil et la lune. On parle d’une humanité très dispersée.
Elle s’installe de meilleure manière dans la vie quotidienne, elle est en mesure d’observer les étoiles.
Mais ensuite, il y a la confrontation entre ces blocs d’êtres humains qui se sont développés à part. Cette époque de conflits entre êtres humains ayant acquis une certaine surface historique amène à se tourner vers les planètes afin d’essayer de suivre ce qui se passe, d’avoir une grille de lecture des affrontements.
C’est le sens de ce qu’on lit dans le Mul Apin, datant du 7e siècle avant notre ère et qui consiste en un traité approfondi d’astronomie. On est à Babylone ; Mul Apin désigne la charrue, c’est-à-dire la Grande Ourse ; c’est la première constellation décrite dans l’ouvrage, d’où le titre qu’on a donné ensuite à l’œuvre.
Marduk, associé à Jupiter, est le principal dieu babylonien (qui a vaincu la déesse Tiamat, évidemment une déesse-mère à l’origine) ; voici un horoscope planétaro-divin :
« Si l’étoile de Marduk devient visible au commencement de l’année, cette année-là la récolte sera abondante.
Si l’étoile de Marduk atteint les Pléiades, cette année-là le dieu de la tempête dévastera. »
On est là dans l’anticipation – une chose que ne pouvait pas faire les êtres humains auparavant. Suivre le soleil et la lune, c’était la base, niée par une humanité observant les étoiles et systématisant son mode de vie et sa réflexion.
Cette négation est niée par l’étude des mouvements des planètes.
Pour simplifier, mais c’est une simplification outrancière en ce qu’elle oublie les nuances, les enchevêtrements :
– la déesse-mère, c’est l’humanité primitive ;
– le soleil et la lune, c’est l’époque des chasseurs-cueilleurs ;
– les étoiles, ce sont les Cités-États esclavagistes ;
– les planètes, ce sont les Cités-États se faisant la guerre alors qu’on va aux grands empires.
Et le monothéisme arrive comme couronnement du développement des forces productives permis par les empires, qui ancrent l’agriculture et la domestication des animaux.
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