[La Cause Du Peuple n°39, 1er mai 1971.]
Voici tous les éléments qui permettent d’affirmer que grâce à une préparation active, à un travail des militants C.G.T. le 21 a été un grand succès !
Ce grand succès ne peut cependant nous faire oublier que TROIS grands départements de l’usine n’ont participé que d’une façon minime à ce mouvement : ce sont les départements 12, 74 et 38.
Il y a certes des raisons objectives que notre syndicat va analyser mais qui sont là pour nous rappeler que la détermination des revendications par les travailleurs et l’unité de toutes les catégories doivent toujours être à la base de toute action. (CGT Syndicat Renault.)
Pour l’analyse, on peut aider la CGT. Ce qui se passe, c’est que le 12, le 74 et le 38 sont les départements les plus combatifs et que le 22 janvier et dans les mobilisations d’atelier, ils ont vu la CGT à l’oeuvre.
En plus, dans ces coins-là, il y a eu l’affaire Robert, le G.O.A.F. du 38, et des mouvements où les ouvriers ont réellement eu l’initiative comme le 22 dans l’Ile et les débrayages contre les chefs du 38.
La vérité, c’est que dans ces coins-là où travaillent 2/3 des gars de l’usine, on ne veut plus de la CGT et on commence à lutter nous-mêmes. Alors, leurs grèves bidons, ça nous a fait rigoler.
VIVE LES LUTTES EFFICACES
Le 21 avril, les syndicats nous res-sortent leur arsenal de grèves de 4 heures et de manifestations dans les rues désertes de Boulogne. Au moment où on voit tous les jours des séquestrations de patrons et des manifestations violentes de petits paysans et de petits commerçants et artisans, ils nous ressortent leur calme et leur dignité, et des revendications vieilles de trente ans.
LEUR CIRQUE, ON LE CONNAIT
Pendant que ces messieurs discutent avec les caïds du patronat, ils nous font débrayer et nous font, défiler dans le calme et la dignité pour pouvoir dire : « Vous voyez, ils sont forts mais ils sont tranquilles, si vous voulez qu’on puisse les retenir, donnez-nous des petites miettes. »
Quant à leurs revendications, c’est assez triste.
LA RETRAITE A 60 ANS, évidemment, c’est normal de demander la retraite à 60 ans ; ce qui est moins normal, c’est qu’en mai 68, alors que toute la France était en grève, les syndicats l’on abandonnée à Grenelle pour nous faire reprendre le travail avec des augmentations de salaires aussitôt rattrapées par le coût de la vie.
LES 40 HEURES, ça aussi c’est normal, surtout qu’à Renault, ça supprimerait immédiatement le travail du samedi.
Seulement les 40 heures, on les avait obtenues après un mouvement de masse en 36 et c’est Thorez et Frachon qui nous les ont fait perdre en 43 en nous disant : « Retroussez vos manches pour sauver le patronat français ».
Bien sûr en mai 68, ça aussi ça a été oublié.
ILS SE FOUTENT DE NOTRE GUEULE, avec leurs revendications qu’ils laissent tomber à chaque mouvement de masse comme en mai 68 pour les ressortir et nous faire courir après avec les grèves de 4 heures.
En plus, dans chaque atelier, ils parlent des revendications locales pour nous faire débrayer 4 heures alors qu’aux négociations ils ne vont pas en parler et que ça sert plutôt à briser les mouvements locaux durs.
Comme le 22 janvier, quand toute l’Ile voulait lutter, d’abord ils cassent le mouvement et ils nous proposent une grève de 4 heures après.
LEURS GREVES BIDONS, ÇA NE SERT QU’A NOUS DIVISER.
Pas mal de gars vont débrayer soit pour pas bosser, soit parce qu’ils disent : « Faut faire quelque chose. »
D’autres ne vont pas débrayer parce qu’ils ne veulent pas perdre de pognon pour une grève qui ne servira à rien.
Ça nous divise alors que tout le monde veut lutter.
CE QU’IL FAUT, C’EST DES LUTTES EFFICACES
En ce moment, partout, des nouvelles formes de lutte apparaissent ; les séquestrations des patrons, la lessive des bureaux comme dans les mines ou à Batignolles.
A Renault, on a essayé aussi ; les luttes contre les chefs, pour faire plier leur terrorisme dans les ateliers.
Les grèves d’ateliers, quand on a cogné Robert au 5* ou cassé le bureau de Mangan au 38 !
Dans les grèves d’atelier on peut faire céder le patron sur les revendications précises ou bien dans les grands mouvements comme le 22, où on s’est unis nous-mêmes dans l’Ile, où on a occupé le bureau de Vacher et où on a défilé à 2000, faisant courir la maîtrise.
Et pas des grèves où on défile encadrés par une armée de ‘délégués et où on peut juste fermer notre gueule.
LE JEU SYNDICAL C’EST UN JEU OU ON EST TOUJOURS PERDANT. LES GREVES BIDONS ÇA AMUSE LE PATRON. ÇA VIDE LES STOCKS.
CONTINUONS DANS LA VOIE DU 22 JANVIER.
Les maos de Renault.
Ce que l’on a vu pour cette grève, c’est qu’il fallait pouvoir unir tout le monde autour des départements qui ne débrayeraient pas. Eviter une coupure dans les masses.
C’est pourquoi on a eu une politique souple, expliquant ce qu’est une grève-bidon, pourquoi ça divise, mais sans donner de mot d’ordre.
Les résultats de la grève : 100 débrayages dans une équipe et 200 dans l’autre pour toute l’Ile Seguin et 50 en tout au 38. Dans l’Ile, les gars ont hué les délégués qui venaient les faire débrayer et n’ont pas arrêté de discuter toute la journée.
A l’heure actuelle, l’idée principale qui court chez les ouvriers c’est : « Voilà 2 grèves-bidons qu’on ne fait, pas, va falloir qu’on fasse quelque chose de sérieux. » Les gars ont refusé par 2 fois dans l’Ile de débrayer avec la CGT et ils attendent un nouveau 22 janvier, en mieux, en plus large.
Quant à ceux qui ont débrayé avec la CGT les 2 fois, c’est-à-dire les professionnels et les bureaux, ils commencent à en avoir marre de se traîner à des meetings ou à des manifs traîne-savates, en sachant très bien que si l’Ile ne suit pas, c’est parce qu’elle veut aller plus loin.
Le tract des Maos, il a été bien reçu partout, mais les gars attendent la suite.
Ce qui peut faire partir un large mouvement de masse, c’est la colère, c’est une provocation patronale, qui suscitera une forte réaction comme le 22, ça c’est un fait acquis. Mais ce que l’on doit faire quand même c’est les préparer ; introduire en étant partout à l’écoute des mobilisations locales, toutes les idées nouvelles pour le déroulement des mouvements (séquestrations, etc.).
Dans cet axe nous avons déjà des acquis.
Au 12-61.
Un système de médailles, que l’on prenait à l’entrée et rendait à la sortie remplaçait le pointage. En plus un ouvrier avait pris un avertissement pour être parti, en avance.
Un camarade a fait de l’agitation sur le thème « on n’est pas des chiens pour se promener avec des médailles ».
L’atelier a débrayé 2 heures et ensuite ils ont fait un tract et des affichettes contre le chef.
Voyant le tract et les affiches, la direction a tout lâché, sans attendre un nouveau débrayage.
En plus l’important, c’est d’élargir notre intervention, de laisser de moins en moins de secteurs de l’usine à la C.G.T. Surtout que partout maintenant les gars savent que les gauchistes ont saboté la grève de la C.G.T. et qu’il faut montrer que nous représentons une nouvelle voie pour la lutte.
Par exemple, aux Forges-Fonderies, la C.G.T. avait demandé un mouvement contre le déménagement.
En effet, les Forges-Fonderies qui est un département où les conditions de travail sont très pénibles et où les gars avaient acquis des avantages de salaires par des luttes sectorielles, vont être déménagées en province.
Ça veut dire pour les gars, avoir bossé comme un dingue, avoir lutté, pour se retrouver muté et payé au bout d’un moment comme un O.S. nouvellement embauché.
Au départ, la C.G.T. a entraîné pas mal de monde pour des grévettes et même une diffusion au marché de Boulogne.
Ce que l’on a vu c’est que si on les laissait faire, d’abord ils saboteraient le mouvement et en plus sous prétexte que c’est un fief C.G.T., ils se serviraient de ça pour une propagande sur C.G.T. = lutte, etc., pour reprendre l’offensive.
Il fallait donc intervenir et pour cela utiliser nos points forts.
Nous avions des anciens des fonderies mutés dans l’Ile qui pouvaient raconter ce qu’ils étaient devenus, qui ont lutté aussi contre un déménagement et des contacts avec des militants du PC des Fonderies qui ont des sympathies gauchistes.
Avec tout ça, nous avons pu faire un tract dont la diffusion à la porte et à l’intérieur a donné lieu à des prises de bec avec la C.G.T.
L’aspect intéressant, c’est le style du tract, collant aux idées des plus larges masses, assez syndicalistes, avec seulement des critiques précises sur la stratégie syndicale, et les engueulades où nous sommes apparus comme les vrais démocrates sur lesquels s’acharnaient 2 ou 3 brutes seulement soutenues par le silence des autres cégétistes.
Pour le moment, ce style de travail a porté ses fruits.