Le congrès s’ouvre sur un rappel par Zinoviev des communistes décédés dans la lutte l’année passée, une marche funèbre étant même joué à la fin de son propos. Il y mentionna notamment les Français Raymond Lefebvre, Jules Lepetit et Marcel Vergeat qui sont décédés sur le chemin du retour du deuxième congrès. Venus clandestinement en raison du refus du gouvernement français de leur fournir des passeports, ils furent obligés de prendre un bateau qui fit toutefois naufrage.
Cependant, il y a en plus des milliers de tués dans les affrontements avec la réaction, également des milliers d’emprisonnés, notamment en Allemagne, aux États-Unis, en Finlande, en Hongrie, en Bulgarie. Grigori Zinoviev explique pour cette raison dès le départ que :
« Cette année n’a pas été simple dans l’histoire de l’Internationale Communiste. »
En sachant qu’on en est seulement au troisième congrès, c’est un semi-aveu d’échec, même s’il est toujours considéré que la victoire complète se produirait à court terme. Les expériences ont été très douloureuses.
Le vaste mouvement ouvrier italien, avec occupation d’usines et qui dura deux semaines, avec la mise en place de milices armées, n’a pas abouti. Le soulèvement d’un million d’ouvriers tchécoslovaques s’est très rapidement enlisé et a échoué. Le soulèvement en Allemagne a pareillement mobilisé des centaines de milliers d’ouvriers, mais pour arriver au même résultat.
On rentre en fait dans le dur et l’atmosphère du congrès est marquée par de la gravité, un sens de l’urgence, et une très grande pesanteur ressentie de tous les côtés en raison du travail d’organisation et de réorganisation à mener.
C’est que les résultats positifs obtenus amènent avec eux d’autant plus de travail. En Italie, un Parti Communiste a été fondé. Cependant, Giacinto Menotti Serrati n’a pas suivi, considérant que c’était trop tôt ; il est resté dans le Parti Socialiste Italien et avec lui une large partie du mouvement. Le PCI naît donc sans l’élan profond qu’il aurait pu avoir. Grigori Zinoviev tiendra des propos acerbes dans un très long discours quant à Giacinto Menotti Serrati, considéré comme un traître ayant maquillé la réalité.
La Grande-Bretagne connaît enfin un mouvement communiste, les organisations communistes s’unifiant enfin, mais le nombre des adhérents témoigne d’une profonde faiblesse : ils ne sont que 10 000. Il y a toutefois en toile de fond une très grande grève des mineurs.
Un Parti Communiste de Tchécoslovaquie s’est fondé juste avant le congrès, avec 400 000 travailleurs, ce qui est un immense succès (le PCT sera toujours historiquement numériquement le plus important en rapport avec la population). Au second congrès, les délégués ne représentaient encore qu’une poignée de propagandistes. Cependant, au lendemain d’une grande défaite ouvrière et l’émergence d’une organisation de masse de cette ampleur, il y a encore plus une accentuation du travail à mener en termes d’orientation, de structuration, etc.
L’excellente nouvelle est toutefois le congrès de Tours où la majorité des socialistes français rejoignent le Parti Communiste – Section Française de l’Internationale Communiste. Avec ses 120 000 membres, il est bien plus important que la SFIO maintenue. Grigori Zinoviev souligna lors d’une présentation de la France dans le rapport du Comité Exécutif qu’il a toujours été veillé à procéder lentement, afin de ne pas faire capoter processus et le mouvement vers l’Internationale Communiste.
La France était considérée comme un pays où le mouvement communiste devait avancer avec succès ; le premier orateur à parler après Gregori Zinoviev pour le Comité Exécutif et Lev Kamenev pour le Parti Communiste de Russie fut d’ailleurs Paul Vaillant-Couturier pour une salutation de l’armée rouge.
Il prit ainsi même la parole avant le représentant du Parti Communiste d’Allemagne (unifié), Paul Fröhlich. Le premier syndicaliste à prendre la parole, alors que doit suivre après le troisième congrès de l’Internationale Communiste le premier de l’Internationale Syndicale Rouge, fut également un Français, Joseph Tommasi. Celui-ci fut également l’un des tout premiers à intervenir dès le second jour du congrès, pour demander que soit en priorité étudiée la question du rapport entre le Parti et le syndicat.
La gravité et la pesanteur se lisent enfin dans le rapport sur la situation économique mondiale. Lors des premiers congrès de l’Internationale Communiste, c’est Eugen Varga qui se chargea à chaque fois de compiler de manière synthétique un bilan de la crise générale du capitalisme.
Lors du troisième congrès, Léon Trotsky se chargea de résumer toutes les données dans le sens d’une présentation de la situation économique mondiale, pour un très long discours consistant typiquement à la Varga en une avalanche de statistiques.
Dès le départ, on a les difficultés qui sont soulignées au sens où il est ouvertement dit qu’il y a comme un temps mort, qu’il va falloir approfondir les analyses des moments-clefs :
« Dans nos manifestes des 1er et 2e Congrès, nous avons donné une caractéristique de la situation économique sans entrer néanmoins dans son examen et son analyse détaillée.
Depuis lors, il s’est produit certains changements dans le rapport des forces, changement impossible à nier.
La question est seulement de savoir si nous avons affaire à un changement radical ou de caractère superficiel.
Il faut constater que la bourgeoisie se sent aujourd’hui sinon plus forte qu’il y a un an, du moins plus forte qu’en 1919.
Il suffit de parcourir la presse capitaliste la plus influente pendant les derniers mois de cette année pour apporter une série d’extraits éloquents montrant à quel point a diminué sa panique devant le danger universel du communisme, bien qu’elle reconnaisse elle-même que les communistes de petits groupes isolés qu’ils étaient, se sont changés en un grand mouvement de masses. »
On a là très exactement résumé la perception générale lors du troisième congrès : la victoire rapide a échoué, la révolution mondiale connaît un temps d’arrêt, mais il y a des partis de masse qui se forment.
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de l’Internationale Communiste