Jacques Bainville et l’Action française comme clef idéologique du populisme paysan

L’une des grandes expressions du poids historique de la paysannerie française, c’est l’Action française, un mouvement monarchiste à la fois activiste et intellectuel, formant une immense opposition politique à la France républicaine entre 1871 et 1914, ainsi que relativement dans les années 1920-1930.

En se basant sur la tradition contre-révolutionnaire de Joseph de Maistre (1753-1821), Louis de Bonald (1754-1840) et de Frédéric Le Play (1806-1882) – ces deux derniers auteurs jouant par ailleurs un rôle clef dans la naissance de l’idéologie de la « sociologie » -, cette mouvance va formuler une grande thèse romantique anticapitaliste, consistant à dénoncer la modernité des individus atomisés et ne se rejoignant que par l’intermédiaire de contrats sociaux.

Le contre-modèle est une monarchie idéalisée comme une grande société organique, quasiment une famille, constituée en corporations solidaires.

Les principales figures du mouvement furent Charles Maurras (1868-1952), Maurice Pujo (1872-1955), Léon Daudet (1867-1942) et Jacques Bainville (1879-1936).

C’est lors des funérailles, le 13 juillet 1936, de ce dernier, entré dans le cercle maurrassien dès début 1900, que les camelots du Roy, troupe de choc de l’Action française, agressèrent notamment Léon Blum, alors président du Conseil des ministres et passant non loin en voiture.

Jacques Bainville

Grand théoricien de la monarchie « éternelle », Jacques Bainville a rédigé plusieurs articles où il intègre la paysannerie comme devant être le moteur du nationalisme de l’Action française, notamment dans le quotidien La Liberté, dont le renégat du communisme et fasciste Jacques Doriot deviendra rédacteur en chef en 1937.

Surtout, il affirme le maintien de la France en quelque sorte profonde à travers les vicissitudes historiques ; il constate que la France résiste totalement à ce qui est, du point de vue communiste, la crise générale du capitalisme ouverte en 1917-1918 et marquant une offensive de la révolution mondiale.

Il affirme ainsi de manière assez juste en 1920, dans Les conséquences politiques de la paix, que :

« Par un curieux renversement des choses, la France de la Révolution est devenue le pays le plus réactionnaire du monde.

Aux yeux des masses prolétariennes et paysannes de l’Europe orientale, qui tendent vers des formes barbares de dictature beaucoup plus que vers la démocratie parlementaire, nous sommes un peuple de « bourgeois ». Rien n’est plus vrai. »

C’est là une intuition politique qui débouchera directement sur le pétainisme, avec son culte de la « terre » qui ne « ment pas ».

C’est que, malgré l’électrification générale des communes rurales, le gouffre reste important avec la ville ; la paysannerie envie le poste TSF, les meubles modernes, les journaux quotidiens, la motocyclette, les vêtements diversifiés… Tout en restant circonspecte, étrangère, voire hostile au mode de vie urbain.

Toutefois, comme, avec l’élargissement de la propriété paysanne à la suite de la guerre, la vie cléricale à la campagne s’érode et la place prise par les femmes dans le travail au champ bouscule l’organisation traditionnelle patriarcale, cela provoque d’autant plus de troubles.

Le mode de vie paysan reste un « monde à part » fondé sur le village et des relations communautaires, tout en étant ébranlé et par là mis en branle. Jacques Banville écrit dans La Liberté en novembre 1929 :

« On peut prévoir que l’exode continuera tant que les villes auront du travail à offrir.

Il s’arrêtera quand l’activité́ industrielle se ralentira, ce qui, chose à noter d’ailleurs, pourrait bien arriver par une crise agricole, laquelle déterminerait une régression des achats, une « sous-consommation » de la part d’une clientèle nombreuse.

Alors, le paysan restera à la terre, féconde en hommes et en fruits. Alors, comme aux autres époques qui avaient vu la même désertion, il ne faudra pas plus d’une ou deux générations pour que les campagnes soient repeuplées. »

On voit ici une confiance absolue dans la nature agraire de la France, comme rempart à la modernité ; comme il s’agit d’un romantisme anticapitaliste, d’un idéalisme, il y en même temps la considération que la force de la France éternelle, c’est la communauté paysanne, et un appel en ce sens.

Jacques Bainville écrit en 1924 dans Heur et malheur de la France :

« La grande faculté de la France, une de ses facultés maîtresses, aurait dit Taine, c’est de reconstituer sans cesse une classe moyenne qui, elle-même, engendre toutes les aristocraties.

À la base se trouve une race paysanne, ancienne et dure, qui crée constamment de la richesse et qui, par la plus réelle des richesses, celle du sol fécondé par le travail, s’élève constamment.

Un vieux proverbe de la noblesse française disait : « Nous venons tous de la charrue. » C’est encore vrai de nos jours pour toutes nos espèces d’aristocratie, y compris celle de l’intelligence.

Vingt millions de paysans forment l’humus dont se nourrit sans cesse ce qui fait la France.

Vingt millions de paysans qui ont deux passions, celle de l’épargne et celle de l’ordre, sont les garanties de toutes nos renaissances.

Quelles que soient nos plaies financières, politiques ou sociales, on peut compter que le paysan français, par son labeur aussi régulier qu’opiniâtre, rétablira l’équilibre et aura raison de tout. »

Cette conception va irriguer tout un espace politique et culturel.

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