La Bretagne, la bataille pour l’hégémonie catholique et Henri Dorgères

L’installation de la République a produit une division dans le monde agricole entre syndicats républicains et syndicats catholiques liés à l’Église. Et, dans la mouvance catholique elle-même, une division entre démocrates-chrétiens et catholiques traditionalistes était née.

En 1894, Marc Saignier fonde la revue démocrate-chrétienne Le Sillon, et en 1898 c’est le journal l’Action française qui apparaît.

Cette division de la mouvance catholique s’aiguisait avec l’intervention du pape Pie X. En 1910, le pape condamna la mouvance démocrate-chrétienne issue du Sillon pour son rapprochement considéré comme blasphématoire de la « Révolution française » et des principes chrétiens. D’un autre côté, c’est en décembre 1926, que l’Église condamna l’Action française à cause de la subordination de la foi religieuse à l’action militante, politique.

Cela souligne l’instabilité de cette question paysanne-catholique, historiquement si entremêlés et dont on a un fameux exemple en Pologne, en Autriche, au Portugal.

António de Oliveira Salazar, professeur d’économie catholique, à la tête de l’Estado Novo fasciste portugais de 1932 à 1968

Et, pour des raisons historiques, c’est en Bretagne que cette question va se cristalliser.

On y trouve le Nouvelliste de Bretagne, soutenu par l’Épiscopat de Bretagne et financé par Paul Féron-Vrau, propriétaire d’une industrie textile à Lille organisée autour des principes du catholicisme social.

On trouve également dans la région le journal Ouest-éclair (qui deviendra Ouest-France à la sortie de la guerre) soutenant le mouvement syndical des « cultivateurs-cultivants » de l’abbé Mancel et les caisses mutuelles rurales de l’abbé Trochu.

Ouest-éclair évoluait dans le sillage du Parti démocrate-populaire fondé en 1924, qui visait à établir l’indépendance économique et morale des petits paysans et ouvriers agricoles, au nom du catholicisme social.

C’est alors une véritable bataille pour l’unification politique des catholiques et lors des élections législatives de 1928, ces divisions s’expriment largement. Le 17 avril, Eugène Delahaye, rédacteur en chef du Nouvelliste écrit, dans un article titré « Oh la barbe ! » :

« Être avec Trochu ou être avec Maurras ! Il n’y a pas de milieu, prétend tous les matins l’Ouest-Eclair. Eh bien si, il y a un milieu… et un large milieu dans lequel se trouvent des milliers et des milliers de braves gens qui, catholiques, patriotes, homme d’ordre, cherchent dans l’union la victoire contre toutes les gauches. »

Et l’Ouest-Éclair de répondre le lendemain :

« Contre le cartel des gauches, nous avons réalisé l’union la plus large. Ce que nous n’avons pas voulu faire, c’est l’alliance avec les monarchistes et nous croyons que cette attitude d’indépendance et de fidélité à notre idéal démocratique et républicain, bien loin d’affaiblir la position des défenseurs de la politique d’union nationale, la renforcera. »

Dans le cadre de cette tension, on trouve la figure de Henri Auguste-d’Halluin. Né en 1897 à Wasquehal, petite ville de 6 000 habitants dans le Nord, il est envoyé à Rennes en 1921 comme journaliste au Nouvelliste de Bretagne.

En fait, avec ses premiers écrits dans l’Action française contre l’« excès de centralisation et de paperasserie de la République », il a rencontré l’évêque Charost de Lille, qui l’a propulsé comme journaliste politique.

Il quitte ensuite le Nouvelliste de Bretagne, considérant que la ligne n’y était pas pas assez dure, et fonde d’abord La Province, puis surtout en mars 1925 le Progrès Agricole de l’Ouest, où il signe ses articles Henri Dorgères, du nom d’un petit village en périphérie de Rennes.

Le crash de 1929 et la Grande Dépression qui s’en suivit avec la chute des prix agricoles aiguisèrent alors les contradictions sociales, aussi l’objectif devenait directement l’unification de la droite rurale.

Henri Dorgères devint alors une figure de premier plan.

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Henri Dorgères et les chemises vertes