Jean Calvin propose ici un paradoxe, l’être humain pourrait et devrait être bon, mais la chute d’Adam a bouleversé la donne :
« Nous disons donc que l’homme est naturellement corrompu en perversité : mais que cette perversité n’est point en lui de nature.
Nous nions qu’elle doit de nature, afin de montrer que c’est plutôt une qualité survenue à l’homme, qu’une propriété de substance, laquelle a été dès le commencement enraciné en lui : toutes les fois que nous l’appelons naturelle, afin qu’aucun pense qu’elle s’acquiert d’un chacun par mauvaise coutume et exemple, comme ainsi soit qu’elle nous enveloppe tous dès notre première naissance. »
Par conséquent, d’un côté Jean Calvin peut dire que :
« Dieu donc a garni l’âme d’intelligence, par laquelle elle peut discerner le bien du mal, ce qui est juste d’avec ce qui est injuste, et voit ce qu’elle doit suivre ou fuir, étant conduite par la clarté de la raison. »
De l’autre, il est obligé de dire que l’être humain doit renaître à cause de la chute :
« C’est une chose résolue que l’homme n’a point libéral-arbitre à bien faire, sinon qu’il soit aidé de la grâce de Dieu, et de grâce spéciale qui est donnée aux élus tant seulement, par régénération. »
Le moyen, c’est la piété, et cette piété correspond aux exigences du capitalisme, qui a besoin de capitalistes.
La piété appelle à se révolutionner ; ce processus engendre des êtres humains aux attitudes nouvelles, correspondant aux exigences de l’accumulation capitaliste.
Jean Calvin a ici procédé de manière dialectique dans sa construction ; d’ailleurs, les commentateurs bourgeois n’y ont eux-mêmes rien compris, calvinistes parfois y compris.
Jean Calvin dit que Dieu est tout puissant et que l’être humain a déchu, par conséquent c’est Dieu qui décide de qui est sauvé ou pas. Cela ne peut pas relever de l’être humain, et encore moins de ses actes, parce que sinon cela voudrait dire que l’être humain amène Dieu à faire ceci ou cela, à le sauver ou non.
On parle alors de prédestination : qui est sauvé et qui ne l’est pas a déjà été décidé. Les commentateurs qui se trompent considèrent alors que le choix est arbitraire. C’est là ne rien comprendre à la dialectique de Jean Calvin.
Car celui-ci dit qu’il y a un moyen de savoir si on est sauvé ou non. Ce moyen c’est de regarder dans quelle mesure sa propre attitude est conforme à la parole biblique. Plus elle l’est, plus c’est la preuve qu’on va être sauvé car les choix corrects reflètent notre nature correcte, conforme aux choix de Dieu relevant de la prédestination.
Cela sera par la suite formalisé comme un des cinq points fondamentaux de la théologie réformée appelé « la doctrine de la persévérance des saints ». Les « saints » (ce qui ont été choisi par Dieu) ne peuvent pas déchoir de la grâce et donc persévérerons dans le chemin tracé par la Bible, s’ils finissent par s’écarter de la foi, c’est qu’ils n’étaient pas vraiment des saints.
Il n’est donc ici pas question de choix individuel, mais de dépassement, de saut qualitatif: si celui-ci est fait, un retour en arrière n’est pas réellement possible. Dieu sert ici de moyen pour exiger l’auto-dépassement de l’individu.
Pour maintenir la stabilité de ce système, Jean Calvin est obligé de dire que Dieu est toujours présent ; il n’est pas parti comme le penseront les déistes du XVIIIe siècle. En effet, pour que la preuve s’exprime aux yeux des croyants, il faut que ce qui se passe soit conforme à la nature de l’âme en question et donc que Dieu organise le monde en conséquence.
Dieu n’est pas un gouverneur abstrait ; au contraire il gère tout, plaçant les actes bons et mauvais des êtres humains dans le monde, faisant en sorte qu’il en ressorte ce que lui-même veut.
Jean Calvin dit ainsi :
« Mon intention est seulement de réprouver l’opinion qui est par trop commune, laquelle attribue à Dieu un mouvement incertain, confus et comme aveugle : et ce pendant [ainsi] lui ravit le principal, c’est que par sa sagesse incompréhensible il adresse et dispose toutes choses à telle fin que bon lui semble.
Car cette opinion ne mérite nullement d’être reçue, vue qu’elle fait Dieu gouverneur du monde en titre seulement, et non pas d’effet, en lui ôtant le soin et l’office d’ordonner ce qui se doit faire. »
Dieu agence les individus comme il le veut ; c’est cela qui explique qu’on peut être amené à acquérir des connaissances scientifiques de la part de gens non croyants. Il y a un mélange divin des individus, dont le fil nous échappe, car il est impossible de comprendre où Dieu veut en venir :
« Quand ils enquièrent de la prédestination [les êtres humains] entrent au sanctuaire de la sagesse divine, auquel si quelqu’un se fourre ou ingère en trop grande confiance et hardiesse, il n’atteindra jamais là de pouvoir rassasier sa curiosité, et entrera en un labyrinthe où il ne trouvera nulle issue. »
Cela reflète bien entendu le mode de production capitaliste, dont le mouvement semble incompréhensible, amenant un tel ou un tel à triompher sur le marché, c’est-à-dire à se voir reconnu par le capitalisme comme le capitaliste authentique.
La position de Jean Calvin sur la prédestination est un décalque strict de cela, un reflet théorico-religieux de la réalité pratique. Reste à savoir comment la morale qu’il mettait en avant correspondait aux exigences du capitalisme.