Jean Calvin a fourni une œuvre dont la dimension économique est historiquement d’une importance immense. En fait, sa perspective est même celle d’un capitalisme organisé qui n’en est pas un ; il témoigne encore une fois ici d’une approche dialectique très poussée.
Son point de vue sur la banque est ici un exemple tout à fait pertinent dans ce cadre. Jean Calvin s’oppose ainsi formellement aux banques ; il a lutté pour qu’il n’y en ait pas à Genève.
Il a ici une position qui est celle des religions monothéistes traditionnellement : prêter de l’argent avec intérêt, ce qu’on appelle l’usure est inacceptable dans le cadre de la même communauté religieuse, voire en général. Au Moyen-Âge, l’Église catholique utilisait ainsi administrativement des personnes juives pour s’en servir comme banquiers.
Jean Calvin n’a donc pas une position ici très originale en apparence ; il dit fort logiquement :
« C’est une chose fort étrange, et inique, cependant que chacun gagne sa vie avec grand’peine, cependant que les laboureurs se lassent à faire les journées, les artisans à grande sueur servent aux autres, les marchands non seulement travaillent mais s’exposent à beaucoup d’incommodités et dangers, que messieurs les usuriers assis sur leur banc sans rien faire reçoivent tribut du labeur de tous les autres. »
Pourtant, à lire ces lignes on voit qu’il se met du point de vue de l’artisan et du marchand. L’usure n’est pas dénoncée simplement comme parasitisme, mais également comme en contradiction avec le travail comme activité.
Ce n’est pas tout : artisans et marchands ont besoin qu’on leur prête de l’argent, pour développer leur production. Voilà pourquoi, c’est un fait nouveau, Jean Calvin autorise le prêt dans le cas où cela sert une production, et non pas une consommation.
Il considère que le prêt à la consommation s’oppose au principe de charité universelle ; inversement, il affirme que le prêt pour une production pouvait être interdit dans l’Antiquité, mais que c’était une interdiction ciblée dans le temps, n’ayant pas une valeur universelle.
Par contre, ce prêt à la production est une sorte d’investissement : le prêteur ne peut pas réclamer d’intérêt si l’emprunteur n’a pas gagné plus que cet intérêt.
A cela s’ajoute que c’est la communauté qui fixe le taux de manière administrative ; à Genève avec Jean Calvin, elle fut de un pour quinze (soit 6,66%). Le métier d’usurier était également interdit en tant que tel : on ne pouvait faire du prêt sa profession.
On a donc un prêt à la production qui satisfait les entrepreneurs, neutralisant l’usure médiévale et bloquant la formation d’un système bancaire massif comme il en existait également au Moyen-Âge, par exemple avec la famille des Fugger.
C’était là une logique progressiste, aidant au développement des forces productives, s’opposant à la formation de grands ensembles économiques s’affirmant en oligarchie et naturellement se posant en soutien du régime. La dimension démocratique de la perspective de Jean Calvin est ici évidente.
Karl Marx souligne l’importance de cette mise en place de la reconnaissance du crédit, qui demande bien entendu d’avoir la foi : la foi en l’investissement, la foi en le capitalisme s’élançant et se généralisant.
Dans Le Capital, Karl Marx constate ainsi comment le protestantisme dépasse le simple rapport monétaire, pour construire dessus la confiance dans le crédit :
« Le système monétaire est essentiellement catholique. Le système de crédit essentiellement protestant. The Scotch hate gold (les Ecossais haïssent l’or).
En tant que papier-monnaie, le mode d’existence monétaire des marchandises n’a qu’une existence sociale. C’est la foi qui sauve.
La foi en la valeur monétaire en tant qu’esprit immanent des marchandises, la foi dans le mode de production et son ordre tenu pour prédestiné, la foi dans les agents industriels de la production en tant que simples personnifications du capital qui se met lui-même en valeur.
Mais le système de crédit ne s’est pas plus émancipé de la base du système monétaire que le protestantisme des fondements du catholicisme. »