AVERTISSEMENT
Voici un second recueil de fables que je présente au public; j’ai jugé à propos de donner à la plupart de celles-ci un air et un tour un peu différent de celui que j’ai donné aux premières, tant à cause de la différence des sujets, que pour remplir de plus de variété mon ouvrage. Les traits familiers que j’ai semés avec assez d’abondance dans ]es deux autres parties convenaient bien mieux aux inventions d’Esope, qu’à ces dernières, où j’en use plus sobrement, pour ne pas tomber en des répétitions: car le nombre de ces traits n’est pas infini.
Il a donc fallu que j’aie cherché d’autres enrichissements, et étendu davantage les circonstances de ces récits, qui d’ailleurs me semblaient le demander de la sorte.
Pour peu que le lecteur y prenne garde, il le reconnaîtra lui-même; ainsi je ne tiens pas qu’il soit nécessaire d’en étaler ici les raisons: non plus que de dire où j’ai puisé ces derniers sujets.
Seulement je dirai par reconnaissance que j’en dois la plus grande partie à Pilpay sage indien.
Son livre a été traduit en toutes les langues. Les gens du pays le croient fort ancien, et original à l’égard d’Esope; si ce n’est Esope lui-même sous le nom du sage Locman.
Quelques autres m’ont fourni des sujets assez heureux. Enfin j’ai tâché de mettre en ces deux dernières parties toute la diversité dont j’étais capable. Il s’est glissé quelques fautes dans l’impression; j’en ai fait faire un errata; mais ce sont de légers remèdes pour un défaut considérable.
Si on veut avoir quelque plaisir de la lecture de cet ouvrage, il faut que chacun fasse corriger ces fautes à la main dans son exemplaire, ainsi qu’elles sont marquées par chaque errata, aussi bien pour les deux premières parties, que pour les dernières.
À
MME DE MONTESPAN
L’apologue
est un don qui vient des immortels;
Ou si c’est un présent des
hommes,
Quiconque nous l’a fait mérite des autels.
Nous devons
tous tant que nous sommes
Ériger en divinité
Le Sage par qui
fut ce bel art inventé.
C’est proprement un charrue: il rend
l’âme attentive,
Ou plutôt il la tient captive,
Nous
attachant à des récits
Qui mènent à son gré les coeurs et les
esprits.
Ô vous qui l’imitez, Olympe, si ma Muse
A quelquefois
pris place à la table des Dieux,
Sur ses dons aujourd’hui daignez
porter les yeux,
Favorisez les jeux où mon esprit s’amuse.
Le
temps qui détruit tout, respectant votre appui
Me laissera
franchir les ans dans cet ouvrage:
Tout auteur qui voudra vivre
encore après lui
Doit s’acquérir votre suffrage.
C’est de
vous que mes vers attendent tout leur prix:
II n’est beauté dans
nos écrits
Dont vous ne connaissiez jusques aux moindres
traces;
Eh qui connaît que vous les beautés et les
grâces?
Paroles et regards, tout est chante dans vous.
Ma Muse
en un sujet si doux. Voudrait s’étendre davantage;
Mais il faut
réserver à d’autres cet emploi,
Et d’un plus grand maître que
moi
Votre louange est le partage.
Olympe, c’est assez qu’à mon
dernier ouvrage
Votre nom serve un jour de rempart et
d’abri:
Protégez désormais le livre favori
Par qui j’ose
espérer une seconde vie:
Sous vos seuls auspices, ces vers
Seront
jugés malgré l’envie. Dignes des yeux de l’univers.
Je ne mérite
pas une faveur si grande;
La fable en son nom la demande:
Vous
savez quel crédit ce mensonge a sur nous;
S’il procure à mes
vers le bonheur de vous plaire,
Je croirai lui devoir un temple
pour salaire;
Mais je ne veux bâtir des temples que pour vous.
FABLE
I
LES ANIMAUX MALADES DE LA PESTE
Un mal qui
répand la terreur,
Mal que le Ciel en sa fureur
Inventa pour
punir les crimes de la terre,
La Peste (puisqu’il faut l’appeler
par son nom)
Capable d’enrichir en un jour l’Achéron,
Faisait
aux animaux la guerre.
Ils ne mouraient pas tous, mais tous
étaient frappés:
On n’en voyait point d’occupés
A chercher
le soutien d’une mourante vie;
Nul mets n’excitait leur envie;
Ni
Loups ni Renards n’épiaient
La douce et l’innocente proie.
Les
Tourterelles se fuyaient;
Plus d’amour, partant plus de joie.
Le
Lion tint conseil, et dit: Mes chers amis,
Je crois que le Ciel a
permis
Pour nos péchés cette infortune;
Que le plus coupable
de nous
Se sacrifie aux traits du céleste courroux,
Peut-être
il obtiendra la guérison commune.
L’histoire nous apprend qu’en
de tels accidents
On fait de pareils dévouements:
Ne nous
flattons donc point; voyons sans indulgence
L’état de notre
conscience.
Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons
J’ai
dévoré force moutons;
Que m’avaient-ils fait? Nulle
offense:
Même il m’est arrivé quelquefois de manger
Le
Berger.
Je me dévouerai donc, s’il le faut; mais je pense
Qu’il
est bon que chacun s’accuse ainsi que moi
Car on doit souhaiter
selon toute justice
Que le plus coupable périsse.
Sire, dit le
Renard, vous êtes trop bon Roi;
Vos scrupules font voir trop de
délicatesse;
Et bien, manger moutons, canaille, sotte
espèce,
Est-ce un péché? Non non. Vous leur fîtes Seigneur
En
les croquant beaucoup d’honneur.
Et quant au Berger, l’on peut
dire
Qu’il était digne de tous maux,
Étant de ces gens-là
qui sur les animaux
Se font un chimérique empire.
Ainsi dit le
Renard, et flatteurs d’applaudir.
On n’osa trop approfondir
Du
Tigre, ni de l’Ours, ni des autres puissances
Les moins
pardonnables offenses.
Tous les gens querelleurs, jusqu’aux
simples Mâtins,
Au dire de chacun, étaient de petits
saints.
L’Ane vint à son tour et dit: J’ai souvenance
Qu’en un
pré de Moines passant,
La faim, l’occasion, l’herbe tendre, et je
pense
Quelque diable aussi me poussant,
Je tondis de ce pré la
largeur de ma langue.
Je n’en avais nul droit, puisqu’il faut
parler net.
A ces mots on cria haro sur le Baudet.
Un Loup
quelque peu clerc prouva par sa harangue
Qu’il fallait dévouer ce
maudit Animal,
Ce pelé, ce galeux, d’où venait tout leur mal.
Sa
peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l’herbe d’autrui!
quel crime abominable!
Rien que la mort n’était capable
D’expier
son forfait: on le lui fit bien voir.
Selon que vous serez
puissant ou misérable,
Les jugements de Cour vous rendront blanc
ou noir.
FABLE
II
LE MAL MARIÉ
Que le bon
soit toujours camarade du beau,
Dès demain je chercherai
femme;
Mais comme le divorce entre eux n’est pas nouveau,
Et
que peu de beaux corps hôtes d’une belle âme
Assemblent l’un et
l’autre point,
Ne trouvez pas mauvais que je ne cherche
point.
J’ai vu beaucoup d’Hymens, aucuns d’eux ne me
tentent:
Cependant des humains presque les quatre parts
S’exposent
hardiment au plus grand des hasards;
Les quatre parts aussi des
humains se repentent.
J’en vais alléguer un qui, s’étant
repenti,
Ne put trouver d’autre parti,
Que de renvoyer son
Épouse
Querelleuse, avare, et jalouse.
Rien ne la contentait,
rien n’était comme il faut:
On se levait trop tard, on se
couchait trop tôt,
Puis du blanc, puis du noir, puis encore autre
chose;
Les Valets enrageaient, l’Époux était à bout;
Monsieur
ne songe à rien, Monsieur dépense tout,
Monsieur court, Monsieur
se repose.
Elle en dit tant, que Monsieur, à la fin,
Lassé
d’entendre un tel lutin,
Vous la renvoie à la campagne
Chez
ses parents. La voilà donc compagne
De certaines Philis qui
gardent les dindons
Avec les gardeurs de cochons.
Au bout de
quelque temps qu’on la crut adoucie,
Le Mari la reprend: Eh bien!
qu’avez-vous fait?
Comment passiez-vous votre vie?
L’innocence
des champs est-elle votre fait?
Assez, dit-elle; mais ma
peine
Était de voir les gens plus paresseux qu’ici;
Ils n’ont
des troupeaux nul souci.
Je leur savais bien dire, et m’attirais
la haine
De tous ces gens si peu soigneux.
Hé, madame, reprit
son époux tout à l’heure,
Si votre esprit est si hargneux
Que
le monde qui ne demeure
Qu’un moment avec vous, et ne revient
qu’au soir,
Est déjà lassé de vous voir,
Que feront des
Valets qui toute la journée
Vous verront contre eux déchaînée?
Et
que pourra faire un Époux
Que vous voulez qui soit jour et nuit
avec vous?
Retournez au village: adieu. Si de ma vie
Je vous
rappelle, et qu’il m’en prenne envie,
Puissé-je chez les morts
avoir pour mes péchés
Deux femmes comme vous sans cesse à mes
côtés.
FABLE
III
LE RAT QUI S’EST RETIRÉ DU MONDE
Les
Levantins en leur légende
Disent qu’un certain Rat las des soins
d’ici-bas,
Dans un fromage de Hollande
Se retira loin du
tracas.
La solitude était profonde,
S’étendant partout à la
ronde.
Notre effrite nouveau subsistait là-dedans.
Il fit tant
de pieds et de dents
Qu’en peu de jours il eut au fond de
l’ermitage
Le vivre et le couvert: que faut-il davantage?
Il
devint gros et gras; Dieu prodigue ses biens
A ceux qui font voeu
d’être siens.
Un jour au dévot personnage
Des députés du
peuple Rat
S’en vinrent demander quelque aumône légère:
Ils
allaient en terre étrangère
Chercher quelque secours contre le
peuple chat;
Ratopolis était bloquée:
On les avait contraints
de partir sans argent,
Attendu l’état indigent
De la
République attaquée.
Ils demandaient fort peu, certains que le
secours
Serait prêt dans quatre ou cinq jours.
Mes amis, dit
le Solitaire,
Les choses d’ici-bas ne me regardent plus:
En
quoi peut un pauvre Reclus
Vous assister? que peut-il faire,
Que
de prier le Ciel qu’il vous aide en ceci?
J’espère qu’il aura de
vous quelque souci.
Ayant parlé de cette sorte,
Le nouveau
Saint ferma sa porte.
Qui désignai-je, à votre avis,
Par ce
Rat si peu secourable?
Un Moine? Non, mais un Dervis:
Je
suppose qu’un Moine est toujours charitable.
FABLE
IV
LE HÉRON
LA FILLE
Un jour
sur ses longs pieds allait je ne sais où
Le Héron au long bec
emmanché d’un long cou.
Il côtoyait une rivière.
L’onde
était transparente ainsi qu’aux plus beaux jours;
Ma commère la
Carpe y faisait mille tours
Avec le Brochet son compère.
Le
Héron en eût fait aisément son profit:
Tous approchaient du
bord, l’Oiseau n’avait qu’à prendre;
Mais il crut mieux faire
d’attendre
Qu’il eût un peu plus d’appétit.
Il vivait de
régime, et mangeait à ses heures.
Après quelques moments
l’appétit vint; l’Oiseau
S’approchant du bord vit sur l’eau
Des
Tanches qui sortaient du fond de ces demeures.
Le mets ne lui plut
pas; il s’attendait à mieux.
Et montrait un goût
dédaigneux
Comme le Rat du bon Horace.
Moi des Tanches?
dit-il, moi Héron que je fasse
Une si pauvre chère? Et pour qui
me prend-on?
La Tanche rebutée, il trouva du Goujon.
Du
Goujon! c’est bien là le dîné d’un Héron!
J’ouvrirais pour si
peu le bec ! aux Dieux ne plaise!
Il l’ouvrit pour bien moins:
tout alla de façon
Qu’il ne vit plus aucun Poisson.
La faim le
prit; il fut tout heureux et tout aise
De rencontrer un
Limaçon.
Ne soyons pas si difficiles:
Les plus accommodants,
ce sont les plus habiles:
On hasarde de perdre en voulant trop
gagner.
Gardez-vous de rien dédaigner;
Surtout quand vous avez
à peu près votre compte.
Bien des gens y sont pris; ce n’est pas
aux Hérons
Que je parle; écoutez, humains, un autre conte;
Vous
venez que chez vous j’ai puisé ces leçons.
Certaine Fille un peu
trop fière
Prétendait trouver un mari
Jeune, bien fait, et
beau, d’agréable manière,
Point froid et point jaloux; notez ces
deux points-ci.
Cette Fille voulait aussi
Qu’il eût du bien,
de la naissance,
De l’esprit, enfin tout; mais qui peut tout
avoir?
Le Destin se montra soigneux de la pourvoir:
Il vint des
partis d’importance.
La Belle les trouva trop chétifs de
moitié.
Quoi moi? quoi ces gens-là? l’on radote, je pense.
A
moi les proposer! hélas ils font pitié.
Voyez un peu la belle
espèce!
L’un n’avait en l’esprit nulle délicatesse;
L’autre
avait le nez fait de cette façon-là;
C’était ceci, c’était
cela,
C’était tout; car les précieuses
Font dessus tout les
dédaigneuses.
Après les bons partis les médiocres gens
Vinrent
se mettre sur les rangs.
Elle de se moquer. Ah vraiment, je suis
bonne
De leur ouvrir la porte: ils pensent que je suis
Fort en
peine de ma personne.
Grâce à Dieu je passe les nuits
Sans
chagrin, quoique en solitude.
La Belle se sut gré de tous ces
sentiments.
L’âge la fit déchoir; adieu tous les amants.
Un
an se passe et deux avec inquiétude.
Le chagrin vient ensuite:
elle sent chaque jour
Déloger quelques Ris, quelques Jeux, puis
l’Amour;
Puis ses traits choquer et déplaire;
Puis cent sortes
de fards.
Ses soins ne purent faire. Qu’elle échappât au temps,
cet insigne larron:
Les ruines d’une maison. Se peuvent réparer;
que n’est cet avantage
Pour les ruines du visage! Sa préciosité
changea lors de langage.
Son miroir lui disait: Prenez vite un
mari.
Je ne sais quel désir le lui disait aussi;
Le désir
peut loger chez une précieuse.
Celle-ci fit un choix qu’on
n’aurait jamais cru,
Se trouvant à la fin tout aise et tout
heureuse
De rencontrer un malotru.
FABLE
V
LES SOUHAITS
Il est au
Mogol des Follets
Qui font office de Valets,
Tiennent la maison
propre, ont soin de l’équipage,
Et quelquefois du jardinage.
Si
vous touchez à leur ouvrage,
Vous gâtez tout. Un d’eux près du
Gange autrefois
Cultivait le jardin d’un assez bon Bourgeois.
Il
travaillait sans bruit, avait beaucoup d’adresse,
Aimait le maître
et la maîtresse,
Et le jardin surtout. Dieu sait si les
Zéphyrs
Peuple ami du Démon l’assistaient dans sa tâche
Le
Follet de sa part travaillant sans relâche
Comblait ses hôtes de
plaisirs.
Pour plus de marques de son zèle
Chez ces gens pour
toujours il se fût arrêté,
Nonobstant la légèreté
A ses
pareils si naturelle;
Mais ses confrères les Esprits
Firent
tant que le chef de cette république,
Par caprice ou par
politique,
Le changea bientôt de logis.
Ordre lui vient
d’aller au fond de la Norvège
Prendre le soin d’une maison
En
tout temps couverte de neige;
Et d’Indou qu’il était on vous le
fait Lapon.
Avant que de partir l’Esprit dit à ses hôtes:
On
m’oblige de vous quitter:
Je ne sais pas pour quelles fautes;
Mais
enfin il le faut, je ne puis arrêter
Qu’un temps fort court, un
mois, peut-être une semaine.
Employez-la; formez trois souhaits,
car je puis
Rendre trois souhaits accomplis;
Trois sans plus.
Souhaiter, ce n’est pas une peine
Étrange et nouvelle aux
humains.
Ceux-ci pour premier voeu demandent l’abondance;
Et
l’abondance à pleines mains
Verse en leurs coffres la finance,
En
leurs greniers le blé, dans leurs caves les vins;
Tout en crève.
Comment ranger cette chevance?
Quels registres, quels soins, quel
temps il leur fallut!
Tous deux sont empêchés si jamais on le
fut.
Les voleurs contre eux complotèrent;
Les grands Seigneurs
leur empruntèrent;
Le Prince les taxa. Voilà les pauvres
gens
Malheureux par trop de fortune.
Ôtez-nous de ces biens
l’affluence importune,
Dirent-ils l’un et l’autre; heureux ]es
indigents!
La pauvreté vaut mieux qu’une telle
richesse.
Retirez-vous, trésors, fuyez; et toi, Déesse,
Mère
du bon esprit, compagne du repos,
Ô médiocrité, reviens vite. A
ces mots,
La médiocrité revient; on lui fait place;
Avec elle
ils rentrent en grâce,
Au bout de deux souhaits étant aussi
chanceux
Qu’ils étaient, et que sont tous ceux
Qui souhaitent
toujours, et perdent en chimères
Le temps qu’ils feraient mieux
de mettre à leurs affaires.
Le Follet en rit avec eux.
Pour
profiter de sa largesse,
Quand il voulut partir, et qu’il fut sur
le point,
Ils demandèrent la sagesse;
C’est un trésor qui
n’embarrasse point.
FABLE
VI
LA COUR DU LION
Sa Majesté
Lionne un jour voulut connaître
De quelles nations le Ciel
l’avait fait maître.
Il manda donc par Députés
Ses Vassaux
de toute nature,
Envoyant de tous les côtés
Une circulaire
écriture,
Avec son sceau. L’écrit portait
Qu’un mois durant
le Roi tiendrait
Cour plénière, dont l’ouverture
Devait être
un fort grand festin,
Suivi des tours de Fagotin.
Par ce trait
de magnificence
Le Prince à ses sujets étalait sa puissance.
En
son Louvre il les invita.
Quel Louvre! un vrai charnier, dont
l’odeur se porta
D’abord au nez des gens. L’Ours boucha sa
narine:
Il se fût bien passé de faire cette mine,
Sa grimace
déplut. Le Monarque irrité
L’envoya chez Pluton faire le
dégoûté.
Le Singe approuva fort cette sévérité;
Et
flatteur excessif il loua la colère
Et la griffe du Prince, et
l’antre, et cette odeur:
Il n’était ambre, il n’était fleur
Qui
ne fût ail au prix. Sa sotte flatterie
Eut un mauvais succès, et
fut encore punie.
Ce Monseigneur du Lion-là
Fut parent de
Caligula.
Le Renard étant proche: Or çà, lui dit le Sire,
Que
sens-tu? dis-le-moi : parle sans déguiser.
L’autre aussitôt de
s’excuser,
Alléguant un grand rhume: il ne pouvait que dire
Sans
odorat; bref il s’en tire.
Ceci vous sert d’enseignement:
Ne
soyez à la Cour, si vous voulez y plaire,
Ni fade adulateur, ni
parleur trop sincère;
Et tâchez quelquefois de répondre en
Normand.
FABLE
VII
LES VAUTOURS ET LES PIGEONS
Mars
autrefois mit tout l’air en émûte.
Certain sujet fit naître la
dispute
Chez les Oiseaux; non ceux que le Printemps
Mène à sa
cour, et qui sous la feuillée
Par leur exemple et leurs sons
éclatants
Font que Vénus est en nous réveillée;
Ni ceux
encore que la Mère d’Amour
Met à son char: mais le peuple
Vautour
Au bec retors, à la tranchante serre,
Pour un chien
mort se fit, dit-on, la guerre.
Il plut du sang; je n’exagère
point.
Si je voulais conter de point en point
Tout le détail,
je manquerais d’haleine.
Maint chef périt, maint héros
expira;
Et sur son roc Prométhée espéra
De voir bientôt une
fin à sa peine.
C’était plaisir d’observer leurs
efforts;
C’était pitié de voir tomber les morts.
Valeur,
adresse, et ruses, et surprises,
Tout s’employa: les deux troupes
éprises
D’ardent courroux n’épargnaient nuls moyens
De
peupler l’air que respirent les ombres:
Tout élément remplit de
citoyens
Le vaste enclos qu’ont les royaumes sombres.
Cette
fureur mit la compassion
Dans les esprits d’une autre nation
Au
col changeant, au coeur tendre et fidèle.
Elle employa sa
médiation
Pour accorder une telle querelle.
Ambassadeurs par
le peuple Pigeon
Furent choisis, et si bien travaillèrent,
Que
les Vautours plus ne se chamaillèrent.
Ils firent trêve, et la
paix s’ensuivit:
Hélas! ce fut aux dépens de la race
A qui la
leur aurait dû rendre grâce.
La gent maudite aussitôt
poursuivit
Tous les Pigeons, en fit ample carnage,
En dépeupla
les bourgades, les champs.
Peu de prudence eurent les pauvres
gens,
D’accommoder un peuple si sauvage.
Tenez toujours divisés
les méchants;
La sûreté du reste de la terre
Dépend de là:
semez entre eux la guerre,
Ou vous n’aurez avec eux nulle
paix.
Ceci soit dit en passant; je me tais.
FABLE
VIII
LE COCHE ET LA MOUCHE
Dans un
chemin montant, sablonneux, malaisé,
Et de tous les côtés au
soleil exposé,
Six forts Chevaux tiraient un Coche.
Femmes,
Moine, Vieillards, tout était descendu.
L’attelage suait,
soufflait, était rendu.
Une Mouche survient, et des Chevaux
s’approche;
Prétend les animer par son bourdonnement;
Pique
l’un, pique l’autre, et pense à tout moment
Qu’elle fait aller la
machine,
S’assied sur le timon, sur le nez du Cocher;
Aussitôt
que le char chemine,
Et qu’elle voit les gens marcher,
Elle
s’en attribue uniquement la gloire;
Va, vient, fait l’empressée;
il semble que ce soit
Un Sergent de bataille allant en chaque
endroit
Faire avancer ses gens, et hâter la victoire.
La
Mouche en ce commun besoin
Se plaint qu’elle agit seule, et
qu’elle a tout le soin;
Qu’aucun n’aide aux Chevaux à se tirer
d’affaire.
Le Moine disait son bréviaire;
Il prenait bien son
temps! une femme chantait;
C’était bien de chansons qu’alors il
s’agissait!
Dame Mouche s’en va chanter à leurs oreilles,
Et
fait cent sottises pareilles.
Après bien du travail le Coche
arrive au haut.
Respirons maintenant, dit la Mouche aussitôt:
J’ai
tant fait que nos gens sont enfin dans la plaine.
Çà, messieurs
les Chevaux, payez-moi de ma peine.
Ainsi certaines gens, faisant
les empressés,
S’introduisent dans les affaires:
Ils font
partout les nécessaires,
Et, partout importuns, devraient être
chassés.
FABLE
IX
LA LAITIÈRE ET LE POT AU LAIT
Perrette,
sur sa tête ayant un Pot au lait
Bien posé sur un
coussinet,
Prétendait arriver sans encombre à la ville.
Légère
et courte vêtue elle allait à grands pas;
Ayant mis ce jour-là
pour être plus agile
Cotillon simple, et souliers plats.
Notre
Laitière ainsi troussée
Comptait déjà dans sa pensée
Tout
le prix de son lait, en employait l’argent,
Achetait un cent
d’oeufs, faisait triple couvée;
La chose allait à bien par son
soin diligent.
Il m’est, disait-elle, facile
D’élever des
poulets autour de ma maison:
Le Renard sera bien habile,
S’il
ne m’en laisse assez pour avoir un cochon.
Le porc à s’engraisser
coûtera peu de son;
Il était quand je l’eus de grosseur
raisonnable;
J’aurai le revendant de l’argent bel et bon;
Et
qui m’empêchera de mettre en notre étable,
Vu le prix dont il
est, une vache et son veau,
Que je verrai sauter au milieu du
troupeau?
Perrette là-dessus saute aussi, transportée.
Le
lait tombe; adieu veau, vache, cochon, couvée;
La Dame de ces
biens, quittant d’un oeil marri
Sa fortune ainsi répandue,
Va
s’excuser à son mari
En grand danger d’être battue.
Le récit
en farce en fut fait;
On l’appela le Pot au lait.
Quel esprit
ne bat la campagne?
Qui ne fait châteaux en Espagne?
Picrochole,
Pyrrhus, la Laitière, enfin tous,
Autant les sages que les
fous?
Chacun songe en veillant, il n’est rien de plus doux:
Une
flatteuse erreur emporte alors nos âmes:
Tout le bien du monde
est à nous,
Tous les honneurs, toutes les femmes.
Quand je
suis seul, je fais au plus brave un défi;
Je m’écarte, je vais
détrôner le Sophi;
On m’élit Roi, mon peuple m’aime;
Les
diadèmes vont sur ma tête pleuvant:
Quelque accident fait-il que
je rentre en moi-même
Je suis gros Jean comme devant.
FABLE
X
LE CURÉ ET LE MORT
Un mort
s’en allait tristement
S’emparer de son dernier gîte;
Un Curé
s’en allait gaiement
Enterrer ce mort au plus vite.
Notre
défunt était en carrosse porté,
Bien et dûment empaqueté,
Et
vêtu d’une robe, hélas! qu’on nomme bière,
Robe d’hiver, robe
d’été,
Que les morts ne dépouillent guère.
Le Pasteur était
à côté,
Et récitait à l’ordinaire
Maintes dévotes
oraisons,
Et des psaumes et des leçons,
Et des versets et des
répons:
Monsieur le Mort, laissez-nous faire,
On vous en
donnera de toutes les façons;
Il ne s’agit que du
salaire.
Messire Jean chouart couvait des yeux son mort,
Comme
si l’on eût dû lui ravir ce trésor,
Et des regards semblait lui
dire:
Monsieur le Mort, j’aurai de vous
Tant en argent, et tant
en cire,
Et tant en autres menus coûts.
Il fondait là-dessus
l’achat d’une feuillette
Du meilleur vin des environs;
Certaine
nièce assez propette
Et sa chambrière Pâquette
Devaient
avoir des cotillons.
Sur cette agréable pensée
Un heurt
survient, adieu le char.
Voilà Messire Jean Chouart
Qui du
choc de son mort a la tête cassée:
Le Paroissien en plomb
entraîne son Pasteur;
Notre Curé suit son Seigneur;
Tous deux
s’en vont de compagnie.
Proprement toute notre vie
le curé
Chouart, qui sur son mort comptait,
Et la fable du Pot au lait.
FABLE
XI
L’HOMME QUI COURT APRÈS LA FORTUNE
ET L’HOMME QUI L’ATTEND
DANS SON LIT
Qui ne
court après la Fortune?
Je voudrais être en lieu d’où je pusse
aisément
Contempler la foule importune
De ceux qui cherchent
vainement
Cette fille du sort de Royaume en Royaume,
Fidèles
courtisans d’un volage fantôme.
Quand ils sont près du bon
moment,
L’inconstante aussitôt à leurs désirs échappe:
Pauvres
gens, je les plains, car on a pour les fous
Plus de pitié que de
courroux.
Cet homme, disent-ils, était planteur de choux,
Et
le voilà devenu Pape:
Ne le valons-nous pas? Vous valez cent fois
mieux;
Mais que vous sert votre mérite?
La Fortune a-t-elle
des yeux?
Et puis la papauté vaut-elle ce qu’on quitte,
Le
repos, le repos, trésor si précieux
Qu’on en faisait jadis le
partage des Dieux
Rarement la Fortune à ses hôtes le laisse.
Ne
cherchez point cette Déesse,
Elle vous cherchera; son sexe en use
ainsi.
Certain couple d’Amis en un bourg établi,
Possédait
quelque bien: l’un soupirait sans cesse
Pour la Fortune; il dit à
l’autre un jour:
Si nous quittions notre séjour?
Vous savez
que nul n’est prophète
En son pays: cherchons notre aventure
ailleurs.
Cherchez, dit l’autre Ami, pour moi je ne souhaite
Ni
climats ni destins meilleurs.
Contentez-vous; suivez votre humeur
inquiète;
Vous reviendrez bientôt. Je fais voeu cependant
De
dormir en vous attendant.
L’ambitieux, ou si l’on veut,
l’avare,
S’en va par voie et par chemin.
Il arriva le
lendemain
En un lieu que devait la Déesse bizarre
Fréquenter
sur tout autre; et ce lieu, c’est la cour.
Là donc pour quelque
temps il fixe son séjour,
Se trouvant au coucher, au lever, à
ces heures
Que l’on sait être les meilleures;
Bref, se
trouvant à tout, et n’arrivant à rien.
Qu’est ceci? ce dit-il;
cherchons ailleurs du bien.
La Fortune pourtant habite ces
demeures.
Je la vois tous les jours entrer chez celui-ci,
Chez
celui-là; d’où vient qu’aussi
Je ne puis héberger cette
capricieuse?
On me l’avait bien dit, que des gens de ce lieu
L’on
n’aime pas toujours l’humeur ambitieuse.
Adieu, messieurs de cour;
messieurs de cour, adieu:
Suivez jusques au bout une ombre qui
vous flatte.
La Fortune a, dit-on, des temples à Surate;
Allons
là. Ce fut un de dire et s’embarquer.
Âmes de bronze, humains,
celui-là fut sans doute
Armé de diamant, qui tenta cette
route,
Et le premier osa l’abîme défier.
Celui-ci pendant son
voyage
Tourna les yeux vers son village
Plus d’une fois,
essuyant les dangers
Des pirates, des vents, du calme et des
rochers,
Ministres de la mort. Avec beaucoup de peines,
On s’en
va la chercher en des rives lointaines,
La trouvant assez tôt
sans quitter la maison.
L’homme arrive au Mogol; on lui dit qu’au
Japon
La Fortune pour lors distribuait ses grâces.
Il y court:
les mers étaient lasses
De le porter; et tout le fruit
Qu’il
tira de ses longs voyages,
Ce fut cette leçon que donnent les
sauvages:
Demeure en ton pays, par la nature instruit.
Le Japon
ne fut pas plus heureux à cet homme
Que le Mogol l’avait été;
Ce
qui lui fit conclure en somme,
Qu’il avait à grand tort son
village quitté.
Il renonce aux courses ingrates,
Revient en
son pays, voit de loin ses pénates,
Pleure de joie, et dit:
Heureux qui vit chez soi;
De régler ses désirs faisant tout son
emploi.
Il ne sait que par ouïr-dire
Ce que c’est que la cour,
la mer, et ton empire,
Fortune, qui nous fais passer devant les
yeux
Des dignités, des biens, que jusqu’au bout du monde
On
suit, sans que l’effet aux promesses réponde.
Désormais je ne
bouge, et ferai cent fois mieux.
En raisonnant de cette sorte
Et
contre la Fortune ayant pris ce conseil,
Il la trouve assise à la
porte
De son ami plongé dans un profond sommeil.
FABLE
XII
LES DEUX COQS
Deux Coqs
vivaient en paix; une Poule survint,
Et voilà la guerre
allumée.
Amour, tu perdis Troie; et c’est de toi que vint
Cette
querelle envenimée,
Où du sang des Dieux même on vit le Xanthe
teint.
Longtemps entre nos Coqs le combat se maintint.
Le bruit
s’en répandit par tout le voisinage.
La gent qui porte crête au
spectacle accourut.
Plus d’une Hélène au beau plumage
Fut le
prix du vainqueur; le vaincu disparut.
Il alla se cacher au fond
de sa retraite,
Pleura sa gloire et ses amours,
Ses amours
qu’un rival tout fier de sa défaite
Possédait à ses yeux. Il
voyait tous les jours
Cet objet rallumer sa haine et son
courage.
Il aiguisait son bec, battait l’air et ses flancs,
Et
s’exerçant contre les vents
S’armait d’une jalouse rage.
Il
n’en eut pas besoin. Son vainqueur sur les toits
S’alla percher,
et chanter sa victoire.
Un Vautour entendit sa voix:
Adieu les
amours et la gloire.
Tout cet orgueil périt sous l’ongle du
Vautour.
Enfin, par un fatal retour,
Son rival autour de la
Poule
S’en revint faire le coquet:
Je laisse à penser quel
caquet,
Car il eut des femmes en foule.
La Fortune se plaît à
faire de ces coups;
Tout vainqueur insolent à sa perte
travaille.
Défions-nous du sort, et prenons garde à nous,
Après
le gain d’une bataille.
FABLE
XIII
L’INGRATITUDE
ET L’INJUSTICE DES HOMMES
ENVERS LA
FORTUNE
Un
Trafiquant sur mer par bonheur s’enrichit.
Il triompha des vents
pendant plus d’un voyage,
Gouffre, banc, ni rocher, n’exigea de
péage
D’aucun de ses ballots; le sort l’en affranchit.
Sur
tous ses compagnons Atropos et Neptune
Recueillirent leur droit,
tandis que la Fortune
Prenait soin d’amener son Marchand à bon
port.
Facteurs, associés, chacun lui fut fidèle.
Il vendit
son tabac, son sucre, sa cannelle
Ce qu’il voulut, sa porcelaine
encore.
Le luxe et la folie enflèrent son trésor;
Bref il
plut dans son escarcelle.
On ne parlait chez lui que par doubles
ducats.
Et mon homme d’avoir chiens, chevaux et carrosses.
Ses
jours de jeûne étaient des noces.
Un sien ami, voyant ces
somptueux repas,
Lui dit: Et d’où vient donc un si bon
ordinaire?
Et d’où me viendrait-il que de mon savoir-faire?
Je
n’en dois rien qu’à moi, qu’à mes soins, qu’au talent
De risquer
à propos, et bien placer l’argent.
Le profit lui semblant une
fort douce chose,
Il risqua de nouveau le gain qu’il avait
fait:
Mais rien, pour cette fois, ne lui vint à souhait.
Son
imprudence en fut la cause.
Un vaisseau mal frété périt au
premier vent,
Un autre mal pourvu des armes nécessaires
Fut
enlevé par les Corsaires.
Un troisième au port arrivant,
Rien
n’eut cours ni débit. Le luxe et la folie
N’étaient plus tel;
qu’auparavant.
Enfin ses facteurs le trompant,
Et lui-même
ayant fait grand fracas, chère lie,
Mis beaucoup en plaisirs, en
bâtiments beaucoup,
II devint pauvre tout d’un coup.
Son ami
le voyant en mauvais équipage,
Lui dit: D’où vient cela? De la
Fortune, hélas !
Consolez-vous, dit l’autre, et s’il ne lui plaît
pas
Que vous soyez heureux, tout au moins soyez sage.
Je ne
sais s’il crut ce conseil;
Mais je sais que chacun impute en cas
pareil
Son bonheur à son industrie,
Et si de quelque échec
notre faute est suivie,
Nous disons injures au sort.
Chose
n’est ici plus commune:
Le bien nous le faisons, le mal c’est la
Fortune,
On a toujours raison, le destin toujours tort.
FABLE
XIV
LES DEVINERESSES
C’est
souvent du hasard que naît l’opinion;
Et c’est l’opinion qui fait
toujours la vogue.
Je pourrais fonder ce prologue
Sur gens de
tous états; tout est prévention,
Cabale, entêtement, point ou
peu de justice:
C’est un torrent; qu’y faire? il faut qu’il ait
son cours,
Cela fut et sera toujours.
Une femme à Paris
faisait la Pythonisse.
On l’allait consulter sur chaque
événement;
Perdait-on un chiffon, avait-on un amant,
Un mari
vivant trop, au gré de son épouse,
Une mère fâcheuse, une
femme jalouse;
Chez la Devineuse on courait,
Pour se faire
annoncer ce que l’on désirait.
Son fait consistait en
adresse.
Quelques termes de l’art, beaucoup de hardiesse,
Du
hasard quelquefois, tout cela concourait:
Tout cela bien souvent
faisait crier miracle.
Enfin, quoique ignorante à vingt et trois
carats,
Elle passait pour un oracle.
L’oracle était logé
dedans un galetas.
Là cette femme emplit sa bourse,
Et sans
avoir d’autre ressource,
Gagne de quoi donner un rang à son
mari,
Elle achète un office, une maison aussi.
Voilà le
galetas rempli
D’une nouvelle hôtesse, à qui toute la
ville,
Femmes, filles, valets, gros messieurs, tout enfin,
Allait
comme autrefois demander son destin:
Le galetas devint l’antre de
la Sibylle.
L’autre femelle avait achalandé ce lieu.
Cette
dernière femme eut beau faire, eut beau dire
Moi Devine! on se
moque; eh messieurs, sais-je lire?
Je n’ai jamais appris que ma
croix de par Dieu.
Point de raison; fallut deviner et
prédire,
Mettre à part force bons ducats,
Et gagner malgré
soi plus que deux Avocats.
Le meuble et l’équipage aidaient fort
à la chose:
Quatre sièges boiteux, un manche de balai,
Tout
sentait son sabbat, et sa métamorphose:
Quand cette femme aurait
dit vrai
Dans une chambre tapissée,
On s’en serait moqué; la
vogue était passée
Au galetas; ii avait le crédit:
L’autre
femme se morfondit.
L’enseigne fait la chalandise.
J’ai vu dans
le Palais une robe mal mise
Gagner gros: les gens l’avaient
prise
Pour maître tel, qui traînait après soi
Force
écoutants; demandez-moi pourquoi.
FABLE
XV
LE CHAT,
LA BELETTE ET LE PETIT LAPIN
Du palais
d’un jeune Lapin
Dame Belette un beau matin
S’empara: c’est une
rusée.
Le Maître étant absent, ce lui fut chose aisée.
Elle
porta chez lui ses pénates un jour
Qu’il était allé faire à
l’Aurore sa cour,
Parmi le thym et la rosée.
Après qu’il eut
brouté, trotté, fait tous ses tours,
Janot Lapin retourne aux
souterrains séjours.
La Belette avait mis le nez à la fenêtre.
Ô
Dieux hospitaliers, que vois-je ici paraître?
Dit l’animal chassé
du paternel logis:
Ô là, madame la Belette,
Que l’on déloge
sans trompette,
Ou je vais avertir tous les Rats du pays.
La
Dame au nez pointu répondit que la terre
Était au premier
occupant.
C’était un beau sujet de guerre
Qu’un logis où
lui-même il n’entrait qu’en rampant.
Et quand ce serait un
royaume
Je voudrais bien savoir, dit-elle, quelle loi
En a pour
toujours fait l’octroi
A Jean fils ou neveu de Pierre ou de
Guillaume,
Plutôt qu’à Paul, plutôt qu’à moi.
Jean Lapin
allégua la coutume et l’usage.
Ce sont, dit-il, leurs lois qui
m’ont de ce logis
Rendu maître et seigneur, et qui de père en
fils,
L’ont de Pierre à Simon puis à moi Jean transmis.
Le
premier occupant est-ce une loi plus sage?
Or bien sans crier
davantage,
Rapportons-nous, dit-elle, à Raminagrobis.
C’était
un Chat vivant comme un dévot ermite,
Un Chat faisant la
chattemite,
Un saint homme de Chat, bien fourré, gros et
gras,
Arbitre expert sur tous les cas.
Jean Lapin pour juge
l’agrée.
Les voilà tous deux arrivés
Devant Sa Majesté
fourrée.
Grippeminaud leur dit: Mes enfants,
approchez,
Approchez, je suis sourd, les ans en sont la
cause.
L’un et l’autre approcha ne craignant nulle chose.
Aussitôt
qu’à portée il vit les contestants,
Grippeminaud le bon
apôtre,
Jetant des deux côtés la griffe en même temps,
Mit
les plaideurs d’accord en croquant l’un et l’autre.
Ceci ressemble
fort aux débats qu’ont parfois
Les petits Souverains se
rapportants aux Rois.
FABLE
XVI
LA TÊTE ET LA QUEUE DU SERPENT
Le Serpent
a deux parties
Du genre humain ennemies,
Tête et Queue; et
toutes deux
Ont acquis un nom fameux
Auprès des Parques
cruelles;
Si bien qu’autrefois entre elles
Il survint de grands
débats
Pour le pas.
La Tête avait toujours marché devant la
Queue.
La Queue au Ciel se plaignit,
Et lui dit:
Je fais
mainte et mainte lieue,
Comme il plaît à celle-ci.
Croit-elle
que toujours j’en veuille user ainsi?
Je suis son humble
servante.
On m’a faite, Dieu merci,
Sa soeur, et non sa
suivante.
Toutes deux de même sang,
Traitez-nous de même
sorte:
Aussi bien qu’elle je porte
Un poison prompt et
puissant.
Enfin voilà ma requête:
C’est à vous de
commander;
Qu’on me laisse précéder
A mon tour ma soeur la
Tête.
Je la conduirai si bien,
Qu’on ne se plaindra de
rien.
Le Ciel eut pour ces voeux une bonté cruelle.
Souvent sa
complaisance a de méchants effets.
Il devrait être sourd aux
aveugles souhaits.
Il ne le fut pas lors: et la guide
nouvelle,
Qui ne voyait au grand jour
Pas plus clair que dans
un four,
Donnait tantôt contre un marbre,
Contre un passant,
contre un arbre.
Droit aux ondes du Styx elle mena sa
soeur.
Malheureux les États tombés dans son erreur.
FABLE
XVII
UN ANIMAL DANS LA LUNE
Pendant qu’un Philosophe assure,
Que toujours par leurs sens les hommes sont dupés,
Un autre Philosophe jure,
Qu’ils ne nous ont jamais trompés.
Tous les deux ont raison; et la Philosophie
Dit vrai, quand elle dit que les sens tromperont
Tant que sur leur rapport les hommes jugeront;
Mais aussi si l’on rectifie
L’image de l’objet sur son éloignement,
Sur le milieu qui l’environne,
Sur l’organe, et sur l’instrument,
Les sens ne tromperont personne.
La nature ordonna ces choses sagement:
J’en dirai quelque jour les raisons amplement.
J’aperçois le soleil; quelle en est la figure?
Ici-bas ce grand corps n’a que trois pieds de tour:
Mais si je le voyais là-haut dans son séjour,
Que serait-ce à mes yeux que l’oeil de la nature?
Sa distance me fait juger de sa grandeur;
Sur l’angle et les côtés ma main la détermine;
L’ignorant le croit plat, j’épaissis sa rondeur;
Je le rends immobile, et la terre chemine.
Bref je démens mes yeux en toute sa machine.
Ce sens ne me nuit point par son illusion.
Mon âtre en toute occasion
Développe le vrai caché sous l’apparence.
Je ne suis point d’intelligence
Avec mes regards peut-être un peu trop prompts,
Ni mon oreille tente à m’apporter les sons.
Quand l’eau courbe un bâton, ira raison le redresse,
La raison décide en maîtresse.
Mes yeux, moyennant ce secours,
Ne me trompent jamais, en me mentant toujours.
Si je crois leur rapport, erreur assez commune,
Une tête de femme est au corps de la lune.
Y peut-elle être? Non. D’où vient donc cet objet?
Quelques lieux inégaux font de loin cet effet.
La lune nulle part n’a sa surface unie:
Montueuse en des lieux, en d’autres aplanie,
L’ombre avec la lumière y peut tracer souvent
Un homme, un boeuf, un éléphant.
Naguère l’Angleterre y vit chose pareille.
La lunette placée, un animal nouveau
Parut dans cet astre si beau;
Et chacun de crier merveille.
Il était arrivé là-haut un changement
Qui présageait sans doute un grand événement.
Savait-on si la guerre entre tant de puissances
N’en était point l’effet? le Monarque accourut:
II favorise en Roi ces hautes connaissances.
Le Monstre dans la lune à Son tour lui parut.
C’était une Souris cachée entre les verres:
Dans la lunette était la source de ces guerres.
On en rit. Peuple heureux, quand pourront les François
Se donner comme vous entiers à ces emplois?
Mars nous fait recueillir d’amples moissons de gloire:
C’est à nos ennemis de craindre les combats,
A nous de les chercher, certains que la victoire
Amante de Louis suivra partout ses pas.
Ses lauriers nous rendront célèbres dans l’histoire.
Même les filles de Mémoire
Ne nous ont point quittés: nous goûtons des plaisirs:
La paix fait nos souhaits, et non point nos soupirs.
Charles en sait jouir. Il saurait dans la guerre
Signaler sa valeur, et mener l’Angleterre
A ces jeux qu’en repos elle voit aujourd’hui.
Cependant, s’il pouvait apaiser la querelle,
Que d’encens! Est-il rien de plus digne de lui?
La carrière d’Auguste a-t-elle été moins belle
Que les fameux exploits du premier des Césars?
Ô peuple trop heureux, quand la paix viendra-t-elle
Nous rendre comme vous tout entiers aux beaux-arts?