Joachim du Bellay et la dénonciation acharnée du Vatican

C’est une véritable escroquerie que d’expliquer que Joachim Du Bellay exprime dans les Regrets son ennui d’être à Rome alors que l’œuvre est dans l’agression permanente à l’encontre du Vatican.

Il joue en ce sens le même rôle que Martin Luther (qui est plus jeune d’une quarantaine d’années), mais de manière bien moins ample, car du Bellay n’est pas tourné vers le peuple, mais vers la monarchie en voie d’absolutisation.

Il est intendant à Rome pour un cardinal français, un cousin de son père, et le contexte est celui de conflits incessants entre la France, Rome et Charles-Quint dont l’empire est immense (l’Espagne, les Pays-Bas, l’Autriche, Naples, etc.).

Du Bellay explique ainsi dans le poème introductif aux Regrets :

J’estois à Rome au milieu de la guerre,
Sortant desjà de l’aage plus dispos,
A mes travaux cherchant quelque repos,
Non pour louange ou pour faveur acquerre.

Ce que Du Bellay voit à Rome, au Vatican, c’est la corruption, les assassinats, les courtisanes. Dans les Regrets, le quatre-vingt-quatorzième sonnet remarque ainsi :

Heureux qui peut long temps sans danger de poison
Jouir d’un chapeau rouge [=être cardinal], ou des clefs de sainct Pierre [=être pape] !

Le cent-cinquième sonnet des Regrets dénonce que le pape Jules III ait fait d’un adolescent apprivoisant un singe, rencontré dans les rues de Parme alors qu’il avait 14 ans, un cardinal à 17 ans ainsi que le responsable de son secrétariat d’État, tout cela parce que c’était son amant.

Jules III l’avait fait adopter par son frère – c’était légalement donc son neveu – et se fera même enterrer avec lui.

De voir mignon du roi un courtisan honnête,
Voir un pauvre cadet l’ordre au col soutenir,
Un petit compagnon aux états parvenir,
Ce n’est chose, Morel, digne d’en faire fête.

Mais voir un estafier, un enfant, une bête,
Un forfant, un poltron cardinal devenir,
Et pour avoir bien su un singe entretenir
Un Ganymède [= jeune homme amant de Zeus) avoir le rouge sur la tête :

S’être vu par les mains d’un soldat espagnol
Bien haut sur une échelle avoir la corde au col
Celui que par le nom de Saint-Père l’on nomme :

Un bélître en trois jours aux princes s’égaler,
Et puis le voir de là en trois jours dévaler :
Ces miracles, Morel, ne se font point, qu’à Rome.

Ainsi, le quatre-vingt-deuxième sonnet ne parle pas de Rome comme ville non plus, mais bien du Vatican :

Veux-tu savoir, Duthier, quelle chose c’est Rome ?
Rome est de tout le monde un public échafaud ;
Une scène, un théâtre, auquel rien ne défaut

Rome, c’est le simple prolongement du Vatican ; environ 17 000 courtisanes pour 100 000 habitants y vivent lorsque Joachim du Bellay y passe. Il raconte dans les Regrets, dans le cent-trentième-un sonnet, comment il a vu des courtisanes coucher en plein jour avec des cardinaux.

Celuy qui par la rue a veu publiquement
La courtisanne en coche [=carrosse], ou qui pompeusement
L’a peu voir à cheval en accoustrement d’homme

Superbe se monstrer : celuy qui de plain jour
Aux Cardinaux en cappe a veu faire l’amour,
C’est celuy seul, Morel, qui peut juger de Rome.

Le cent-vingt-centième sonnet des Regrets souligne qu’au Vatican règnent la trahison, le poison, le meurtre les orgies, l’homosexualité (celle-ci devenant une pratique traditionnelle dans la hiérarchie de l’Église catholique romaine).

Ici de mille fards la trahison se desguise,
Ici mille forfaits pullulent à foison,
Ici ne se punit l’homicide ou poison,
Et la richesse ici par usure est acquise :

Ici les grands maisons viennent de bastardise,
Ici ne se croit rien sans humaine raison,
Ici la volupté est tousjours de saison,
Et d’autant plus y plaist, que moins elle est permise.

Du Bellay décrit également un conclave dans les Regrets et il raconte que les cardinaux s’achètent, la corruption ayant un double arrière-plan : l’influence en Europe d’une part, l’influence en Italie d’autre part.

Le climat est ainsi aussi pesant parce que l’ambiance au Vatican est marquée par les ambitions, les alliances des uns et des autres pour s’approprier les royaumes italiens. Il y a notamment les guerres comme celle menée par la France en Italie : pas moins de onze fois la France s’engagea dans des interventions militaires, notamment pour conquérir le royaume de Naples.

Quant au Vatican, il est lui-même à la tête des États pontificaux, qui regroupait pratiquement l’ensemble de plusieurs régions italiennes actuelles. On comprend que Du Bellay, dans le cinquante-septième sonnet des Regrets, souligne l’arrière-plan militaire des négociations ayant lieu au Vatican.

Nous autres malheureux suivons la cour Romaine,
Où, comme de ton temps, nous n’oyons plus parler
De rire, de sauter, de danser, et baller,
Mais de sang, et de feu, et de guerre inhumaine.

Le soixante-dix-huitième sonnet présente le contexte italien, en présentant le Vatican comme un lieu d’oisiveté, d’ambition, de haine, de feintes effectuées pour triompher.

Je ne te conteray de Boulongne, et Venise,
De Padouë, et Ferrare, et de Milan encor’,
De Naples, de Florence, et lesquelles sont or’
Meilleures pour la guerre, ou pour la marchandise :

Je te raconteray du siege de l’Église,
Qui fait d’oisiveté son plus riche thresor,
Et qui dessous l’orgueil de trois couronnes d’or
Couve l’ambition, la haine, et la feintise :

Je te diray qu’ici le bonheur, et malheur,
Le vice, la vertu, le plaisir, la douleur,
La science honorable, et l’ignorance abonde.

Bref je diray qu’ici, comme en ce vieil Chaos,
Se trouve (Peletier) confusement enclos
Tout ce qu’on void de bien, et de mal en ce monde.

Intendant d’un cardinal français, Du Bellay voit les manigances au Vatican, les marchandages des capitalistes présents et des petits royaumes cherchant à des jeux d’alliance, le tout avec des courtisanes partout, et cela dans une ville marquée par de nombreuses ruines fournissant une atmosphère hallucinée, que le quatre-vingtième sonnet des Regrets cherche à représenter.

Si je monte au Palais, je n’y trouve qu’orgueil,
Que vice desguisé, qu’une cerimonie,
Qu’un bruit de tabourins, qu’une estrange harmonie,
Et de rouges habits [= les cardinaux] un superbe appareil :

Si je descens en banque, un amas et recueil
De nouvelles je trouve, une usure infinie,
De riches Florentins une troppe bannie,
Et de pauvres Sienois un lamentable dueil :

Si je vais plus avant, quelque part où j’arrive,
Je trouve de Venus la grand’bande lascive
Dressant de tous costez mil’appas amoureux :

Si je passe plus outre, et de la Rome neuve
Entre en la vieille Rome, adonques je ne treuve
Que de vieux monuments un grand monceau pierreux.

La dénonciation du Vatican par Joachim Du Bellay est violente, elle se situe littéralement dans la même perspective que Martin Luther. Cependant, Joachim Du Bellay est un homme au service de la monarchie française en voie d’absolutisation. Sa critique sert à affaiblir le catholicisme romain et à renforcer l’idée nationale française se fondant sur la monarchie française.

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