La CFDT en 1976 et la tentative d’un programme subversif

La CFDT de 1976 se situe dans la même perspective qu’en 1973 ; on retrouve encore des thèses parallèles à celles de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne en Chine au même moment, sans que les cadres de la CFDT ne fassent eux-mêmes le rapprochement.

Ce qui est dit sur la santé, par exemple, est extrêmement puissant.

« La santé est l’un des besoins fondamentaux que la société capitaliste, de par son type de développement et ses contradictions internes, est incapable de satisfaire.

La crise, par ses effets, accentue ces contradictions.

Les travailleurs « paient» les nuisances du développement capitaliste dans leurs conditions de travail et dans leurs conditions de vie.

Malgré le chômage, la dégradation des conditions de travail se poursuit : charges de travail excessives, aggravation des agressions dues aux nuisances – bruits, produits dangereux, atmosphères empoussiérées, etc. – mise en fabrication de produits sans connaître leurs effets possibles sur la santé – extension du travail de nuit et en équipe – accélération des rythmes de la production et du travail.

Les conditions de vie, elles, sont marquées très fortement par les déficiences de l’urbanisme, de l’habitat, des transports collectifs, de l’organisation des soins, des équipements culturels, sociaux, des loisirs, toutes fonctions collectives sacrifiées à l’« impératif industriel» et aux lois du profit.

D’où, conséquences sociales bien connues de ces carences : un surcroît de fatigue physique et mentale, l’apparition et le développement de nouvelles « maladies » dont les causes sont attribuées à la « vie moderne » (maladies cardio-vasculaires, maladies nerveuses, etc.) et surtout l’inadaptation et la marginalisation d’un nombre toujours croissant d’individus et de catégories.

Pour la CFDT, la santé n’est pas l’absence de maladie ni, non plus, un état de bien-être physique, mental et social, sorte de nirvâna passif qui peut même traduire l’aliénation totale.

La santé, c’est la capacité active et autonome de chacun à se situer dans les différents rapports qu’il entretient dans toutes ses activités, individuelles et sociales : rapport à son propre corps, rapports interpersonnels, rapports sociaux.

Ces différents rapports sont en interaction : le rapport qu’un homme ou une femme entretient avec son propre corps de même que leurs relations interpersonnelles, sont influencés par la façon dont sont répartis, vécus, représentés, les rôles entre hommes et femmes dans une société donnée.

La santé est donc « un produit social » déterminé par des conditions individuelles et collectives. »

La CFDT de 1976 assume un combat qui dépasse très largement la perspective syndicale, puisque tous les aspects de vie sont touchés et doivent être révolutionnés.

« Dans la société française, l’ébranlement signifié par mai 1968 s’est amplifié. Parce que le mouvement étudiant et lycéen manque de continuité apparente, on a trop vite oublié que c’était l’ensemble de la société qui avait été remis en cause.

Les valeurs bourgeoises s’effritent. L’ordre social est ébranlé et ne peut plus être stabilisé par les solutions politiques de la bourgeoisie.

Les institutions les plus solides, comme l’armée, la médecine, la justice, sont maintenant contestées de l’intérieur. La multiplication de tous les mouvements de libération manifeste un profond désir de changement dans les rapports sociaux.

Le progrès, le travail, la hiérarchie, ne sont plus des valeurs intangibles. Le type de développement fondé sur la croissance marchande est accusé.

Il n’y a pas de domaine de la vie quotidienne et de la vie sociale qui ne soit aujourd’hui touché par cette lame de fond dont mai 68 avait manifesté l’émergence.

Ce sont tous les fondements idéologiques, culturels, industriels de la société bourgeoise qui sont en procès. C’est aussi cela la crise.

Bien sûr, tout est loin d’être clair dans cette vaste contestation multiforme dont le contenu anticapitaliste semble parfois absent, autorisant bien des formes de récupération, de manipulation.

Mais cette confusion même est le signe de l’ampleur du phénomène.

Et la crise économique, dans tout cela ? Y aurait-il deux crises ? Une crise globale de la société, d’une part, et une crise économique juxtaposée, d’autre part ?

Non, car par bien des aspects, les deux sont liées : on ne peut séparer la crise économique de la modification des rapports de forces internationaux ; on ne peut isoler, dans la crise de la croissance capitaliste, les aspects économiques et les aspects sociaux. »

La CFDT de 1976, comme celle de 1973, tient un discours appelant les masses à révolutionner leur situation. Si on retrouve un discours « autogestionnaire », les ambitions vont bien plus loin qu’une simple gestion locale et il est appelé à un changement sur tous les plans plus qu’autre chose.

« Car il ne suffit pas de remplacer les ministres et les PDG. Ce sont les structures mêmes du pouvoir qu’il faut modifier pour que les travailleurs puissent se l’approprier réellement.

Changer l’Etat, socialiser les moyens de production, briser les schémas hiérarchiques, démasquer l’autorité paternaliste, remettre en cause les structures et les manifestations d’oppression et de domination à tous les échelons, tels sont les impératifs d’une transition au socialisme.

Ces changements sont essentiels : c’est souvent d’eux que dépendront les possibilités de mettre en œuvre !es autres transformations.

Permettre une égalité devant la décision, décentraliser celle-ci et la faire prendre en charge par les intéressés eux-mêmes : c’est à la fois le but et le moyen de réaliser le socialisme autogestionnaire.

C’est pourquoi les objectifs en matière de pouvoir ne sont pas « un luxe », seulement accessibles dans une phase avancée et lointaine de construction du socialisme. Ils constituent un objectif majeur et prioritaire.

Dès aujourd’hui nous préparons la transition par la façon dont nous élaborons et posons nos revendications et associons les travailleurs à ce processus.

C’est là que réside notre responsabilité principale d’organisation syndicale. C’était la signification de notre dernier congrès : ‘‘Vivre demain dans nos luttes d’aujourd’hui’’. »

La nouveauté, en 1976, c’est la tentative de formaliser un programme. Naturellement, sans le maoïsme, les limites vont être patentes. Voici comment la CFDT de 1976 présente la situation.

« 203. La société capitaliste est un ensemble social fondé sur l’exploitation, l’aliénation et la domination des travailleurs. Elle comporte :

• une organisation économique liant indissolublement et conflictuellement la propriété privée des moyens de production et le salariat ;

• une organisation sociale perpétuant des rapports hiérarchiques et inégalitaire ;

• une idéologie, ciment du système, conditionnant les individus pour assurer le pouvoir de la classe dominante.

204. Ces trois éléments sont interdépendants et inséparables dans le fonctionnement de la société capitaliste. L’un d’entre eux peul être dominant pendant une période, aucun ne l’est de manière permanente.

205. Dans cet ensemble, l’Etat, à la fois administration, institution et appareil de répression, reflète les conflits et les luttes dans la société et s’attache à les neutraliser pour maintenir la prédominance de la classe au pouvoir, dont il est de fait l’instrument.

206. Cette société est marquée structurellement par la lutte de classe entre les tenants du système et ceux qui, exploités., domines, aliénés, le contestent et oeuvrent par leurs luttes à la construction du socialisme (…).

244. Dans ce processus, les luttes sociales sont le moteur essentiel de la transformation sociale, un facteur déterminant pour modifier les structures économiques, les rapports de production et rapports sociaux, conquérir le pouvoir politique.

La CFDT entend faire ainsi de la période actuelle de lutte anti-capitaliste une période de préparation du passage au socialisme en développant une action de masse et de classe :

245. – permettant des amélioration immédiates de la situation des travailleurs ;

– favorisant à travers la responsabilité collective, la prise de conscience par les travailleurs de la nécessité et de la possibilité du socialisme autogestionnaire ;

– préparant les travailleurs à exercer collectivement leurs responsabilités sans que leur pouvoir soit confisqué par une bureaucratie ou une technocratie qui gouvernerait en leur nom. »

Et voici ce que la CFDT de 1976 considère comme objectifs de transformation :

« • Socialisation des principaux moyens de production, d’échange et de communication (établissements de crédit, groupes industriels dominants, secteurs technologiquement stratégiques, grands moyens d’information et de culture) (…)

• Maîtrise et transformation du type de développement économique et social par la planification démocratique. (…)

• Définition de nouveaux droits et Instauration de nouveaux rapports sociaux dans l’entreprise et les institutions sociales, permettant de progresser vers l’autogestion (extension du pouvoir syndical, droit du travail facteur d’égalité et de modification des rapports sociaux, remise en cause des structures hiérarchiques, modification de l’organisation du travail remettant en cause la division sociale et technique du travail, la séparation entre conception et exécution, travail manuel et travail intellectuel, commandement et exécution, etc. ainsi que la nature de la production).

• Instauration de nouveaux droits pour l’ensemble des catégories sociales victimes de discriminations tenant à leur race, à leur sexe, à leur âge.

• Socialisation et autogestion des moyens d’information et de formation. L’information et la formation (école, éducation permanente) doivent être des facteurs d’égalité et de liberté.

• Décentralisation des pouvoirs de l’Etat et remise en cause de sa fonction répressive, création d’instances poli- tiques régionales.

• Mise en œuvre d’une politique internationale fondée sur la coopération et le développement du socialisme. »

On est ici dans une incapacité de réaliser le saut au maoïsme, de formaliser de manière syndicale un programme dont la dimension révolutionnaire est typique d’un Parti révolutionnaire.

Le congrès de 1976 exprime ainsi que la CFDT se heurte à un mur et le choc se produit en deux temps.

Il y a d’abord la base qui ne peut certainement pas assumer tout cela et qui commence à se désengager. Ainsi, la résolution générale n’obtient que par 15 833 mandats (66,04 %), faisant face à un rejet de la part de 5 127 mandats (21,38 %) et une puissante abstention avec 3 017 mandats (12,58 %).

Ensuite, le dirigeant Edmond Maire va procéder à une restauration généralisée des positions à l’avant-Mai 68.

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