La CFDT en 1973 et le maoïsme

Les thèses du congrès de la CFDT de 1973 ont une grande importance dans le domaine des idées. Elles sont idéologiquement très pointues, bien trop pour que la base CFDT puisse ne serait-ce que les approcher.

Il suffit d’ailleurs de voir qu’au début des années 1970, la CFDT dispose d’autour de 700 000 membres, alors que son Magazine n’est publié qu’à 127 000 exemplaires, un chiffre très faible, et son hebdo à 30 500 exemplaires.

On a clairement affaire à des écrits réalisés par un état-major disposant d’une base de masse et profitant d’un système de pensée et d’observation de la société française. Sauf que cet état-major, porté par Mai 1968, ne dispose pas des outils intellectuels pour comprendre son propre discours.

Il est en effet absolument évident que les thèses du congrès correspondent entièrement à la démarche qu’on trouve en Chine parallèlement avec la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne, depuis 1966.

La lutte des classes est ainsi définie non pas selon un prisme économiste, mais bien en prenant en compte le 24 heures sur 24 du capitalisme développé.

« La lutte de classe est une réalité centrale de la société capitaliste.

Elle se manifeste dans trois dimensions à la fois :

dimension économique (salaires, emploi, conditions de travail) ;

dimension sociale (remise en cause de l’autorité patronale et de la hiérarchie, suppression de la condition salariale) ;

dimension idéologique (contestation du caractère soi-disant neutre et scientifique du développement capitaliste, remise en cause de l’idéologie dominante).

Ces trois dimensions de la lutte de classe sont liées dans la mesure où, la société capitaliste est à la fois un système économique, un mode d’organisation des rapports sociaux et une idéologie.

Ce qui se manifeste actuellement de plus en plus nettement, c’est que la lutte de classe ne se limite plus à l’entreprise, elle s’étend aussi hors de l’entreprise.

Ceci s’explique par le fait que le capitalisme en se développant est conduit à intervenir dans tous les aspects de la vie sociale (loisirs, urbanisme, transports, culture, etc …) dans le but :

– de les modeler pour reproduire hors de l’entreprise le type de rapports sociaux hiérarchiques et inégalitaires nécessaires au maintien de l’exploitation.

– d’étendre les relations marchandes en suscitant de nouveaux besoins pour constituer de nouveaux marchés.

Cette extension du champ de l’exploitation et de la domination des êtres humains ne réduit pas l’importance de la lutte sur les lieux de travail.

Mais elle ouvre de nouveaux terrains à la lutte de classe et oblige à une réflexion sur des concepts jusqu’alors tenus pour acquis. »

Ce qui est donc frappant, c’est le rejet de la position révisionniste du PCF qui entend simplement prendre les commandes de l’État. Les thèses de la CFDT soulignent que l’État est en relation avec les rapports sociaux, qu’il ne flotte pas au-dessus de la réalité.

Cette juste critique est impressionnante, car elle ne profite pas du maoïsme comme idéologie, tout en y parvenant par la dignité du réel ; malheureusement et évidemment, la CFDT envisage comme solution la décentralisation de l’État, une sorte de dissolution de type anarchiste.

« La C.F.D.T. entend modifier la nature de l’Etat, notamment en décentralisant les centres de pouvoir.

Comme l’Etat n’est pas un appareil neutre manipulé par des gens qui, eux, évidemment, ne sont pas neutres, il ne suffit pas d’un changement de direction politique (le gouvernement et le Président) pour changer l’Etat.

Il ne s’agit pas seulement de « nationaliser » un Etat qui aurait été confisqué par un petit groupe, ou d’utiliser autrement un appareil d’Etat qui resterait inchangé : il faut modifier sa nature.

C’est pour cela, notamment, que la C.F.D.T. s’oppose aux thèses du P.C. sur le capitalisme monopoliste d’Etat. Cette thèse avance que l’Etat a été confisqué au seul profit des grands monopoles, et que leur nationalisation suffira à en changer la nature dans le sens souhaité.

Elle oublie que la forme de l’Etat est liée aux rapports sociaux dans leur ensemble, qui incluent les conflits à. l’intérieur de la classe dominante et le jeu d’ensemble du rapport des forces dans la société.

Elle tend à faire croire faussement qu’il est un appareil neutre, qu’un groupe au pouvoir pourrait faire fonctionner différemment sans le modifier.

Si la thèse du capitalisme monopoliste d’Etat est erronée, c’est qu’elle se fonde sur une analyse trop partielle des rapports sociaux dans leur ensemble, mettant d’un côté les grands monopoles et de l’autre la classe ouvrière entourée d’une cohorte hétéroclite « d’alliés ».

La réalité sociale est plus complexe, la réalité de l’Etat est donc plus complexe aussi. »

Si on veut comprendre le sens de ce paradoxe d’une CFDT de 1974 exprimant les thèses du maoïsme, il faut se tourner vers la critique romantique du capitalisme porté par le catholicisme, qui portait une grande attention aux mentalités, à la technique, à l’esprit du travail, à la division du travail.

La Grande Révolution Culturelle Prolétarienne a porté une grande attention à ces thèmes, dans le cadre de la remise en cause de la division entre travail manuel et travail intellectuel. Voici ce que dit la CFDT en 1973 :

« Décentralisation et démocratisation des pouvoirs

a) Le développement technique n’est pas neutre, Il est lié aux rapports sociaux existants.

La technique a aujourd’hui pour but premier de permettre la valorisation du capital, de développer sa rentabilité. Les machines sont d’abord conçues en fonction du profit et non pas des travailleurs qui les utilisent.

L’exemple des chaînes dans l’automobile ou l’électronique montre clairement que le choix des techniques de production est profondément lié à une certaine division sociale du travail.

La révolte des O.S. [ouvriers spécialisés, sans qualification professionnelle et exécutant des tâches répétitives] remet à la fois en cause la division technique et la division sociale du travail.

Si la science peut être considérée comme neutre, ce n’est souvent qu’au niveau abstrait et très global de la recherche fondamentale. Le plus souvent la recherche s’effectue en fonction de problèmes posés à résoudre.

Mais quelles sont les questions prioritaires que la science s’attache aujourd’hui à travailler ?

Ce qui est alors en cause, ce sont les orientations et les modalités de la recherche. On peut se demander par exemple, si l’ergonomie et la médecine du travail ont aujourd’hui une place suffisante.

Il est de plus certain, pour reprendre cet exemple de la médecine du travail, que la recherche prend un sens différent selon que les médecins connaissent ou non les conditions très concrètes de travail.

Ainsi, si la science est neutre, l’orientation de la recherche scientifique, qui est dépendante de choix globaux et des questions concrètes qui sont posées aux chercheurs, ne l’est pas.

Il s’agira donc pour nous non pas de nier le rôle de la science et de la technique, mais de remettre en cause le choix de certaines techniques de production, de contester certaines orientations globales de l’effort de recherche, d’insister sur les préoccupations avec lesquelles doivent travailler les chercheurs. »

Partant de là, la CFDT de 1973 remet en cause la fascination passive pour les forces productives, comprenant que des choix idéologiques sont à faire lorsqu’on décide de la production.

Voici ce que dit la CFDT de 1973 :

« Par bien des aspects, la préparation du VIe Plan a constitué en France un moment de clarification.

Le Plan est nettement apparu comme un simple encadrement du développement capitaliste : les espoirs ou les velléités manifestés lors des précédents Plans pour infléchir le développement capitaliste spontané se sont définitivement effondrés.

La C.F.D.T. a alors été la seule organisation syndicale à contester le type de croissance capitaliste proprement dit et pas seulement la répartition des fruits de cette croissance. Par delà les problèmes de partage ou de distribution du « gâteau », c’était en effet, radicalement, le type de société qui était en cause.

Cette contestation « explosive » de la société capitaliste avait alors été accueillie, de divers côtés, par un scepticisme affiché quand il ne s’agissait pas de ricanements impuissants.

Deux années plus tard, la croissance se trouve mise en accusation de diverses manières : travaux du Club de Rome (à partir du rapport de l’Institut de technologie du Massachusetts,) lettre de [Sicco] Mansholt [travailliste néerlandais proposant la décroissance], colloques divers, actions militantes qui se développent sur le cadre de vie (urbanisme, transports).

La croissance et l’environnement sont en passe de devenir des thèmes « tarte à la crème » que tout le monde agite, mais qui sont rarement analysés vraiment sur le fond.

La position de la C.F.D.T., face à ce déferlement de discussions, reste claire : il faut mettre en cause la croissance capitaliste.

Contester le capitalisme, ce n’est pas simplement critiquer la répartition qu’il de la croissance, c’est aussi mettre en lumière les incohérences d’un développement qui privilégie toujours le produit individuel de consommation par rapport aux équipements et services collectifs. »

L’insistance sur la modification des mentalités, alors que la société de consommation envahit les démarches de manière systématique, est particulièrement forte.

« La croissance comme but de l’économie marchande, l’idéologie de la consommation – obsession, la consommation des seuls objets rentables comme finalité, non seulement ne répondent pas à l’aspiration des êtres humains mais ne peuvent même plus être poursuivis sans conduire le monde à la catastrophe.

Dans le capitalisme, c’est donc une conception totalement fausse et abstraite de l’efficacité qui domine. Il peut être rentable de détruire l’équilibre naturel d’une région si l’entreprise ne paie pas le coût des nuisances; une nouvelle machine peut être rentable même si elle aggrave la tension nerveuse des travailleurs, dans la mesure où la santé n’est pas un but de l’entreprise, etc.

Pour la C.F.D.T. il est donc clair que c’est la logique du capital, la mesure « très spéciale » que le capitalisme fait de l’efficacité, qui doit être contestée d’abord.

C’est pourquoi il faut remettre en cause le profit en tant que critère principal des choix économiques et non seulement dans son utilisation.

Ce n’est pas avec les outils faussés de la société capitaliste que l’on peut construire le socialisme.

Si le capitalisme s’appuie d’abord sur les groupes sociaux qui profitent de ce fonctionnement de la société, il doit aussi de plus en plus compter sur un appui idéologique.

Il s’agit de faire reconnaître comme universellement valable ce qui n’est qu’une caractéristique de la société capitaliste.

Ainsi, dans le langage courant, il est clair pour tout le monde qu’une affaire rentable est celle qui rapporte de l’argent et non pas celle qui rend un service maximum pour un coût :social minimum.

Tout changement de la société qui n’opère pas à ce niveau un bouleversement culturel et idéologique risque donc de reproduire une société du même type, même si la répartition des revenus se modifie.

C’est pourquoi la C.F.D.T. refuse par delà le capitalisme toute société de type productiviste.

L’expérience de nombreux pays étrangers montre que cette précision dans l’analyse n’est pas inutile : la glorification de la production pour la production dans les pays de l’Est conduit souvent à restaurer, même si les modalités changent, une dictature d’objectifs faisant abstraction d’un certain nombre de besoins déterminants pour l’épanouissement des travailleurs. »

On a ainsi une résolution sur la lutte de classe où la CFDT de 1973 explique que la lutte de classe ne se résume pas du tout à l’entreprise, qu’il faut envisager les rapports de production, et même les rapports sociaux !

« 30) La société capitaliste est marquée par la lutte de classe entre les tenants de ce système et ceux qui, exploités, dominés, aliénés, le contestent et ont intérêt à la construction du socialisme. Sur les intérêts et les objectifs que s’est fixés la classe ouvrière, d’autres couches sociales peuvent s’engager dans un processus de renversement du capitalisme.

31) Si la réalité de la lutte de classe est le plus vivement vécue sur les lieur. de travail, elle s’exprime largement en dehors de l’entreprise dans la mesure où la logique du développement du capitalisme le conduit à intervenir dans tous les aspects de la vie sociale (loisirs. urbanisme, culture, transports, etc.). La lutte de classe manifeste des intérêts et des projets antagonistes, c’est-à-dire inconciliables.

32) Pour la C.F.D.T., engagée dans cette lutte, les clivages s’opèrent non seulement à partir des rapports de production, mais aussi des rapports sociaux et de l’ensemble des luttes contre le capitalisme.

33) La conscience de classe est indispensable à la destruction du capitalisme. Elle se forge à partir d’une réalité vécue. d’une situation concrète et de luttes communes pour la réalisation d’un projet socialiste. C’est donc la capacité de se mobiliser durablement et solidairement pour des changements fondamentaux qui définit la nature et les contours du rassemblement des forces anticapitalistes.

34) La C.F.D.T. contribue dans l’action à dégager les conditions d’un rassemblement de classe, autour d’un projet socialiste, de tous ceux qui, exploités, dominés, aliénés, peuvent et doivent se rassembler pou, le socialisme démocratique. »

On a ici une réflexion sur le capitalisme développé qu’on ne retrouve que chez le Collectif Prolétaire Métropolitain italien, qui donnera les Brigades Rouges.

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