Dès sa fondation, la CFDT maintient évidemment la ligne de l’unité d’action avec la CGT.
Le 10 janvier 1966 est signé un accord CGT-CFDT ; en pratique, le contenu de l’accord tient surtout du programme revendicatif de la CFDT élaboré en avril 1965. Les deux pensent être gagnants, pour les raisons suivantes.
Pour la CGT, il s’agit de renforcer l’agitation sociale ; à l’arrière-plan, il y a son parti politique, le Parti communiste français, même si officiellement c’est la CGT qui est la courroie de transmission du Parti communiste français.
Pour la CFDT, il y a les moyens de davantage se faire connaître, surtout depuis la transformation de la CFTC en CFDT, et de davantage s’ancrer dans les « réformes de structure ». La CFDT observe avec attention les modifications sociales et économiques faites par le gaullisme, elles les considèrent comme erronées et en proposent d’autres.
C’est qu’elle propose surtout, c’est une planification démocratique, dont les principaux ressorts sont :
– une politique fiscale différente ;
– la nationalisation de la banque, du crédit, de l’industrie pharmaceutique, du pétrole, des télécommunications ;
– la mise en place d’organismes politiques régionales aux pouvoirs étendus pour jouer sur l’économie.
Tout cela relève de la « planification démocratique », et on voit aux exigences qu’il faut comprendre comme une sorte de « démocratie planificatrice ». C’est pourquoi la CFDT ne cesse d’appuyer la construction européenne, qu’elle voit comme un vecteur de démocratisation, la démocratisation permettant des orientations nouvelles.
La ligne est totalement distincte de celle de la CGT qui veut renverser le gaullisme, gaullisme que la CFDT veut contourner avec la construction européenne.
En pratique, si on regarde les implications, on peut dire que la CGT est alignée sur la superpuissance sociale-impérialiste soviétique et la CFDT sur la superpuissance impérialiste américaine.
L’opposition commune au gaullisme les amène pourtant à agir ensemble et l’année 1966 prolonge de manière approfondie la liaison CGT-CFDT.
Le travail en commun se généralise à la base avec de multiples grèves, alors qu’une manifestation commune a lieu le 15 mars devant le siège à Paris du syndicat patronal, le CNPF, puis un meeting commun au mois de mai.
Une déclaration commune CGT-CFDT est réalisée en août 1967 ; lorsque la CFDT tient son 34e congrès en novembre 1967, le bilan est considéré comme positif : « l’unité d’action » fonctionne, l’unité n’est que tactique et la CFDT continue de progresser.
Mais, en même temps, la CFDT refuse de s’aligner sur la CGT qui soutient le rapprochement entre les socialistes et le PCF, au nom du refus de la politique. Elle joue ainsi un rôle majeur dans l’apolitisme du côté des travailleurs.
Le schéma se répète à l’occasion de Mai 1968. Le mouvement étudiant possédait une véritable charge révolutionnaire, ce que la CFDT refuse. Aussi s’aligne-t-elle sur la CGT, farouchement opposé au mouvement, pour la grève et la manifestation du 13 mai 1968, réalisée avec l’UNEF, et où se rassemblent un million de personnes.
La CFDT se contente de parler de « revendications » et de « démocratie sociale, économique et politique » ; son discours est celui d’un existentialisme chrétien. On lit ainsi dans la revue Syndicalisme CFDT :
« Quand les jeunes réclament – avec des méthodes qui peuvent être maladroites, anarchiques, choquantes quelques fois pour des « adultes », mais cela ne change rien au problème de fond – un nouveau style de relations entre maîtres et élèves, la participation des étudiants à l’organisation et à la vie des facultés, à l’élaboration des programmes, ils s’inscrivent très exactement dans le combat fondamental que les travailleurs mènent de leur côté pour mettre en cause le pouvoir capitaliste dans l’entreprise, dans l’économie, dans la nation, le combat pour une démocratie réelle, qui assure à tous les niveaux de la société la participation des hommes. »
Cette conception de la « participation » des hommes aux différents aspects de la société est exemplaire de l’existentialisme chrétien et de la notion d’autogestion, qui s’associe à une lecture petite-bourgeoise anarchisante de ce qu’est l’État et de ce que sont les structures sociales.
De ce fait, la CFDT n’appellera pas, pas plus que la CGT, à la grève générale durant les événements de mai et juin 1968. Sa ligne se résume parfaitement avec ce qu’on lit dans son communiqué du 16 mai 1968 :
« La CFDT dont l’action est déterminée par la volonté d’associer le plus largement possible les travailleurs aux décisions qui les concernent, les appelle aujourd’hui à discuter, à s’organiser et à agir sur tous les lieux de travail (…).
La lutte des étudiants pour la démocratisation des universités est de même nature que celle des travailleurs pour la démocratisation des entreprises.
A la monarchie industrielle et administrative, il faut substituer des structures administratives à base d’autogestion… L’extension des libertés syndicales, la reconnaissance de la section syndicale d’entreprise, la garantie de l’emploi, le droit des travailleurs à la gestion de l’économie et de leur entreprise doivent être affirmés avec plus de force. »
La perspective de la CFDT, c’est l’établissement de commissions de travail qui analysent les différents aspects des entreprises et œuvrent à sa « démocratisation ».
En l’absence de tout contenu, de toute ligne idéologique, cela ne fait que contribuer à la cogestion, mais cela apparaît comme ultra-démocratique de par la ligne de la CGT qui n’aborde aucun aspect de la vie quotidienne et se contente de revendications sur le pouvoir d’achat et les conditions de travail.
C’est en ce sens que le fait de coller à la CGT permet à la CFDT d’acquérir à la fois une légitimité et une dimension « moderne ».
Le processus continue bien évidemment pour cette raison lorsque, fin mai 1968, la France est paralysée par la grève. La CGT et la CFDT font un communiqué commun pour demander des négociations, ce que le gouvernement lance dans la foulée.
Ces négociations, qui commencèrent le 25 mai avec la CFDT, la CGT, la CGT-FO, la CGC, la CFTC (maintenue), la FEN, le syndicat patronal CNPF et les représentants des PME est un triomphe pour la CFDT. De syndicat chrétien à la marge du mouvement ouvrier, elle se voit obtenir une légitimité complète.
Vu de 2023 où la CFDT a dépassé la CGT en termes du nombre d’adhérents, on semble assister à un processus inéluctable où un syndicat existentialiste-moderniste « mange » littéralement un syndicat revendicatif.
D’ailleurs, lorsque l’UNEF organise un meeting au stade de Charléty à Paris le 27 mai 1968, la CFDT est de la partie et elle apparaît comme le lieu où doivent s’investir les « contestataires » liés à Mai 1968. La CFDT, avec son discours ultra-démocratique, capte toute la petite-bourgeoisie s’imaginant une force « révolutionnaire ».
Dans la foulée, la CFDT appuie alors Mendès-France, chef de file des socialistes qui se réorganisent, et demande aux travailleurs de cesser leur action en général pour se tourner vers les élections de juin 1968 (où les forces conservatrices obtiennent un succès général).
Et elle développe une nouvelle thématique, accolée à la planification démocratique : l’autogestion.
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