La cause est ainsi entendue à la fin des années 1970 : le socialisme est impossible, reste le « recentrage sur la logique syndicale », qui est le grand mot d’ordre de la CFDT.
Un puissant outil pour cela fut le « syndicat libre » polonais Solidarność de Lech Wałęsa, apolitique et pro-catholique dans son opposition à la Pologne soumise au social-impérialisme soviétique.
Le secrétaire général Edmond Maire fit en sorte que la CFDT s’implique ostensiblement dans le soutien au syndicat polonais, ce qui fut un excellent moyen tant de dénoncer l’échec du communisme que de promouvoir le recentrage, tout en dynamitant les liens avec la CGT pro-soviétique.
La rupture avec la CGT fut d’ailleurs officialisée en septembre 1980, en raison de ses liens avec le Parti communiste français dans le cadre de la mise en place du programme commun PS-PCF.
La clef est donc ici la non-participation de la CFDT à la victoire de la gauche en 1981, même s’il faut la relativiser par l’entrée de cadres de la CFDT dans des cabinets ministériels.
Edmond Maire laissa nettement la centrale syndicale à l’écart, au point même de saluer le fameux « tournant de la rigueur » de 1983, un choix de portée stratégique afin que la CFDT soit considérée par le patronat comme le partenaire crédible pour l’avenir.
À partir de 1981 d’ailleurs, la CFDT multiplie les rencontres secrètes avec le patronat pour les négociations ; c’est un début masqué de la CFDT moderniste accompagnant l’évolution du capitalisme.
Plus rien ne changera. Jean Kaspar, qui succéda à Edmond Maire en 1988, n’eut aucun mal la même année à exclure une révolte des syndicats PTT de la région parisienne liée à un mouvement des infirmières à l’automne. Les exclus partirent fonder SUD–PTT (Solidaires Unitaires Démocratiques – Postes, Télégraphes et Télécommunications).
Les syndicats CRC d’Île-de-France furent exclus quant à eux en mars 1989 en raison de leur opposition à l’accord Evin la même année, signé par la CFDT, et mirent en place SUD–Santé.
Mais tout cela restait marginal, dans la passivité totale de la base de la CFDT. La grande preuve, ce furent les grandes grèves de 1995, massives comme jamais depuis le début des années 1980, contre le plan Juppé qui prévoyait des restructurations (dans la santé, dans les retraites de la fonction publique).
Malgré une contestation interne allant jusqu’à un désaveu interne majoritaire, la secrétaire générale de la CFDT, Nicole Notat, en place depuis 1992, maintint sa position de soutenir le plan Juppé.
La figure de François Chérèque, qui lui succéda de 2002 à 2012, fut dans la même veine, lui qui aura été président du « think tank » de gauche libérale Terra Nova de 2013 à sa mort en 2017.
Mais c’est surtout le parcours de son père Jacques Chérèque qui est emblématique. Ouvrier spécialisé, il devint secrétaire général de la Fédération générale de la métallurgie (FGM-CFDT) en 1971, puis secrétaire général adjoint de la CFDT en 1979 ; il fut ensuite nommé préfet délégué pour le redéploiement industriel en Lorraine en 1984, avant de devenir quelques années plus tard ministre chargé de l’Aménagement du territoire et à la reconversion industrielle (« Il faut retirer les hauts fourneaux de la tête des sidérurgistes lorrains »).
On a ici une démarche typique d’accompagnement et de recherche des meilleures améliorations ou sorties possibles, dans l’absence de toute contestation.
La boucle est même pratiquement bouclée quand on sait que le secrétaire général de 2012 à 2023, Laurent Berger, avant d’être permanent CFDT, a été un permanent de la Jeunesse ouvrière chrétienne et a écrit son mémoire de maîtrise d’histoire sur « L’épiscopat nantais de Monseigneur Villepelet (1936-1966) ».
Reconstruction avait réussi : un grand syndicat réformiste moderniste s’était mis en place, capable de tenir tête à la CGT, et même de la dépasser : à partir de 2017, la CFDT dépasse la CGT dans le secteur privé.
Car la CFDT est un syndicat de masse. Si on regarde les effectifs, on a à la CFTC 340 000 membres en 1953, 433 000 en 1961, puis à la CFDT 678 000 membres en 1970, 900 000 en 1977, 535 000 en 1988, 757 000 en 1998, 883 000 en 2002, 851 000 en 2010 et 623 000 en 2018 (le comptage du nombre d’adhérents fut modifié en 2017), 612 000 en 2022.
Cela aurait été impossible sans la proposition stratégique de Reconstruction et la mise en place des outils adéquats en ce sens.
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