La crise générale du capitalisme et le sursaut de la civilisation

La chose est claire : la crise générale du capitalisme est l’expression d’une limite absolue dans son développement. En ce sens, ce qu’on appelle « révolution » n’est qu’un moment qui dépasse l’obstacle posé par le capitalisme lui-même. La caractéristique de l’obstacle est ce qui permet de comprendre ce qui forme le processus révolutionnaire ou non.

La première et la seconde crise générale du capitalisme relèvent d’une même substance « historique ». C’est celle d’une dégradation des conditions de la vie naturelle par rapport à ce qui est possible dans un niveau de civilisation donné.

Cela signifie que la révolution comme moment de dépassement de la crise n’est pas quelque chose qui exprime une identité « prolétaire » formelle, mais l’expression de la continuité de la vie, de la civilisation, cela se déroulant évidemment à travers une classe sociale, la classe ouvrière.

On peut dire que la révolution d’octobre 1917 a été l’expression de la contradiction entre travail intellectuel et travail manuel dans le cadre de la première crise générale. Résultat du développement du capitalisme monopoliste, la première guerre mondiale a comme on le sait sacrifié des millions d’ouvriers et de paysans qui devait, dialectiquement, trouver dressé devant et contre eux tout l’appareil technologique des monopoles. En ce sens, il n’y ni « cause », ni « conséquence ».

1917 en Russie a donc bien été le dépassement de l’obstacle ayant engendré la première crise générale. C’est le refus de la part du travail manuel de n’être qu’un rouage d’une machinerie qui ne sert plus l’essor de la civilisation. Ce dépassement s’est déroulé comme résolution de la contradiction intellectuel/manuel.

La contradiction intellectuel/manuel a été l’aspect principal (la contradiction ville/campagne étant secondaire par l’absorption par l’armée des paysans des campagnes) exprimant la continuité de la civilisation elle-même. Les soldats, travailleurs manuels, assument la culture, la vie naturelle elle-même bien que plongés dans une barbarie généralisée.

La vie trouve toujours à continuer… Et c’est là tout le sens de l’analyse d’Antonio Gramsci, déformé par les courants réformistes : « On a l’impression que les maximalistes ont été à ce moment l’expression spontanée, biologiquement nécessaire, pour que l’humanité russe ne sombre pas dans la plus horrible débâcle, pour que l’humanité russe, s’absorbant dans le travail gigantesque, autonome, de sa propre régénération, puisse moins ressentir les impulsions du loup affamé, pour que la Russie ne devienne pas un charnier énorme de bêtes féroces qui s’entre-déchirent. »

Cela montre en quoi consiste la révolution dans la crise générale du capitalisme : le prolétariat assume la défense du plus haut degré de civilisation. Dialectiquement, Gramsci parle de « Révolution contre le Capital » : par esprit volontariste, Gramsci n’a pas saisi le matérialisme historique, mais en même temps, sur la base du développement inégal de sa démarche, il développe un aspect matérialiste dialectique.

La crise générale du capitalisme ne pose donc pas une problématique en terme de « répartition des richesses » dans un pays développé ou de « défense des droits » face au « capital » mais un saut qualitatif dans la civilisation. Cela ne passe évidemment que par la classe ouvrière capable d’assumer l’héritage national et son dépassement-enrichissement.

Dire que le capitalisme surmonte toujours ses crises est donc erroné au point de vue historique. 1917 a été l’expression de la limite de la première crise générale, donnant lieu au premier État socialiste dans le monde et formant ensuite un écho dont celui en 1949 avec la proclamation de la République populaire de Chine.

Le développement capitaliste a été permis par l’effondrement du social-impérialisme et l’intégration au marché mondiale de la Chine avec Deng Xiaoping. L’irruption de la maladie Covid-19 est bien l’expression de l’obstacle général, à un moment où les monopoles capitalistes sont bien plus massifs qu’ils n’étaient déjà en 1914.

Du fait de l’anarchie de la production, les cycles de rotation du capital ne peuvent être bloqués comme cela a été, comme c’est le cas. Cela va engendrer une détérioration non pas simplement et abstraitement des conditions de vie, mais des conditions de vie dans les conditions d’une métropole impérialiste où la vie quotidienne est stabilisée, assurée, et enrichie.

Le travail manuel déjà usant psychologiquement se voit contraint par l’irruption d’un virus exprimant la limite du capitalisme dans le cadre de la contradiction ville/campagne. La pressurisation de la force de travail est encore plus forte de par les mesures sanitaires à respecter.

Par rapport à 1917, l’aspect principal est bien la contradiction ville/campagne, avec celle entre intellectuels et manuels étant la clef du processus dépassement à venir, déjà en cours.

À rebours des théories voyant le prolétaire comme se faisant simplement « accaparer » son travail, on voit là l’intégration complète du prolétaire à la machinerie capitaliste. Le prolétaire fait partie du problème autant qu’il en est la solution et c’est dans son rapport subjectif à la civilisation que réside le processus révolutionnaire.

Car quel que soit l’aspect principal de la contradiction motrice, la substance reste la capacité à assumer et à porter le développement social et culturel. Si les soldats de la première guerre mondiale voient leur condition de vie chuter brutalement, ils manient dans le même temps des techniques de guerre ultra-modernes et acceptent de se battre.

Les prolétaires des métropoles impérialistes vivent une vie bien plus riche au plan subjectif. Grâce au développement technologique, ils sont connectés à la réalité planétaire presque immédiatement, mais ils doivent affronter la destruction de la planète elle-même.

Le virus Covid-19 est l’expression de cette contradiction et le décalage est tellement frappant qu’il forme un aspect certain du processus révolutionnaire dans le cadre de la seconde crise générale du capitalisme.