Remarques sur la surproduction de capital et la surproduction de marchandises

Le mode de production capitaliste ne peut se développer que s’il se renforce. Et il ne peut se renforcer que s’il se développe. C’est là une interrelation dialectique qui est particulièrement difficile à saisir. C’est d’autant plus vrai pour comprendre la crise du mode de production capitaliste.

En effet, le mode de production capitaliste ne peut être en crise que s’il se développe et il ne peut se développer que s’il est en crise. Ce paradoxe amène les gens à considérer que le mode de production capitaliste surmonte toujours ses faiblesses, qu’il sort toujours vainqueur de n’importe quelle crise.

Si l’on maîtrise le matérialisme dialectique, on voit les choses inversement, car l’aspect principal n’est pas le développement, mais la crise. Cela peut évidemment se retourner en son contraire, comme en 1945, toutefois la tendance principale reste le mouvement vers une limite à partir de la quelle on va à l’effondrement.

Il est ici quelques remarques nécessaires pour appréhender de manière correcte cette question de la crise générale du capitalisme, avec sa nature de surproduction de capital et de surproduction de marchandises.

Il y a déjà la question de fond. Les moyens de production relèvent de la propriété privée et ainsi une classe est exploitée pour qu’il y ait une production de biens matériels à ses dépens. Il faut cependant qu’il y ait une consommation plus grande pour que le mode de production capitaliste se développe. Comment cela est-il alors possible ?

Il faut, pour saisir cela, véritablement avoir une perspective matérialiste dialectique et voir que le processus de développement est en spirale. Rosa Luxembourg n’avait pas saisi cela et pour elle, le mode de production capitaliste se développait, car il existait encore des territoires non pénétrées par le mode de production capitaliste.

Sa vision était non dialectique : pour elle, soit le mode de production capitaliste se développait, soit il ne se développait pas.

On peut considérer que les deux grands soucis d’un telle lecture sont les suivants. Tout d’abord, il y a une incapacité de constater que le mode de production capitaliste, c’est aussi une production pour la production. Il y a des entreprises qui produisent pour d’autres entreprises.

Ainsi, il ne suffit certainement pas de nationaliser les entreprises produisant des biens pour la consommation directe, en la « reprenant » telle quelle… Car derrière, en nationalisant les entreprises servant à la production de biens pour la production, il faut une énorme capacité d’organisation afin de faire les bons choix.

Une production pour la production produisant du matériel pour des usines atomiques, des cages pour animaux, des piscines de luxe… aboutit à une production d’usines atomiques, de cages pour animaux, de piscines de luxe.

Staline avait lui tout à fait compris cela. On lui a reproché de manière incessante de privilégier l’industrie lourde. Mais il avait compris que sans industrie lourde, l’industrie légère dépendrait d’une industrie lourde d’autres pays, donc de pays capitalistes. Cela eut été un choix contre-révolutionnaire que de privilégier l’industrie légère, la consommation directe servant il est vrai directement le peuple, mais l’enchaînant alors aux pays capitalistes.

L’industrie légère aurait alors été quantitativement dépendante des autres pays, mais également qualitativement. Les pays capitalistes auraient dit à l’URSS : on vous vend telle chose pour produire telle chose, et pas autre chose.

Même en admettant que Deng Xiaoping aurait pu avoir raison dans sa stratégie de zones économiques spéciales pour développer la Chine, on ne peut que voir que la présence étrangère en Chine concerne des productions bien spécifiques, que la Chine a simplement reproduit, reproduisant donc la forme de la production capitaliste.

Le contenu avec Deng Xiaoping n’était en réalité déjà plus socialiste. Mais même s’il l’avait été, il aurait perdu sa substance. Produire de manière socialiste des hamburgers aboutit à ce que la dimension socialiste disparaisse devant la nature de ce qui est produit.

Le second aspect qui est incompris concernant le mode de production capitaliste, c’est que même si celui-ci est décadent, il a des secteurs qui peuvent tout à fait fleurir au milieu de cette putréfaction. Lénine l’a bien souligné dans L’impérialisme, stade suprême du capitalisme : il ne faut pas penser que tous les secteurs s’effondreraient de manière unilatérale. Ce serait anti-dialectique de croire cela.

Maintenant, il faut voir le problème de fond. Pourquoi le mode de production capitaliste apparaît-il comme stable pour tout le monde ? On pose la question ici politiquement, pas simplement par le fait que les gens soient prisonniers du mode de production capitaliste, que leur esprit soit façonné par lui.

Même des gens qui croient en la victoire systématique du capitalisme peuvent avoir des doutes, l’unilatéralité n’existe pas. Pourquoi cependant l’option communiste apparaît-elle comme totalement utopique ?

Il y a ici deux choses qui jouent. Tout d’abord, il y a le fait que la crise générale du capitalisme commençant en 1917 a connu différents moments relevant d’un processus inégal.

Déjà, cette crise a frappé l’ensemble des pays d’Europe centrale et d’Europe de l’Est, ce qui fait qu’elle n’a pas été perçue comme une crise totale dans les pays de l’Ouest européen. Les mentalités ont été forgées de manière tout à fait différentes. Les pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud ont eux tout à fait perçu la crise, mais ils n’étaient pas en son cœur.

Ensuite, lorsque la crise générale du capitalisme commencée en 1917 s’est aggravée en 1929, la guerre mondiale a commencé peu après. En 1945, les gens ont considéré qu’il y avait une période « nouvelle », que la crise relevait du passé. Il y a ici de nombreuses expériences qui ont été perdu.

Le pays au cœur des contradictions de la crise générale du capitalisme, l’Allemagne, a perdu tout son patrimoine. Les nazis ont assassiné les communistes en masse, la mobilisation nationaliste et militaire a asséché le patrimoine dans les masses. Les crimes durant la guerre et la défaite ont ajouté encore des problèmes et par la suite, le révisionnisme en RDA et l’utilisation des anciens nazis en RFA ont encore plus accentué le problème. L’apparition de la Fraction Armée Rouge s’explique par ce constat de blocage historique. Ulrike Meinhof avait étudié en détail la situation allemande.

Bien entendu, tout a changé et on peut considérer qu’à partir de 1980, la question révolutionnaire est revenue. Le mode de production capitaliste s’était heurté à une limite dans les années 1970, il y avait de nouvelles avant-gardes suivant Mao Zedong et la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne. Gonzalo, dirigeant du Parti Communiste du Pérou, parle de situation d’offensive stratégique de la révolution mondiale.

Il aurait dû souligner la dimension relative de tout développement, car des contre-tendances elles-mêmes relatives peuvent intervenir. Elles sont au nombre de deux.

Il y a l’implosion de l’URSS, mettant un terme à la gravité de l’affrontement Est-Ouest alors que la tendance à la guerre dominait toujours plus. Cela a puissamment aidé le bloc de l’Ouest à renforcer son capitalisme, aux dépens du social-impérialisme soviétique disparaissant devant une oligarchie russe, ukrainienne, biélorusse, des pays de l’Est bureaucratiques satellisés par l’Ouest.

Il y a ensuite l’intégration de la puissance économique chinoise au service du mode de production capitaliste. Passé d’atelier du monde à usine du monde, la Chine a formidablement aidé les pays occidentaux à développer leur capitalisme.

Ces deux phénomènes ont ralenti le temps, ils ont asséché le terrain de la révolution, mais pour un temps seulement. Le mode de production capitaliste a gagné trente ans. Trente ans, dans la vie d’une personne, c’est énorme. Cela explique pourquoi la proposition stratégique communiste a été invalidé en apparence auprès des gens.

Inversement, les contradictions du mode de production capitaliste n’en sont que plus renforcés. On a ainsi la contradiction entre l’humanité et la nature, qui est explosive, la contradiction entre la superpuissance américaine et la superpuissance chinoise en devenir, qui est une source de conflit militaire toujours plus prégnant. Il y a ici toute une liste de contradictions qui, en fait, doivent précisément être analysées.

Pour cela, il faut par contre bien maîtriser le rapport entre surproduction de capital et surproduction de marchandises. Considérer l’un indépendamment de l’autre – et c’est récurrent chez ceux ne maîtrisant pas le matérialisme dialectique – aboutit à une incompréhension du mode de production capitaliste, et a fortiori de la crise générale du capitalisme.

Il faut donc se tourner vers les enseignements de Karl Marx à ce sujet, et profiter des erreurs commises par Eugen Varga et Paul Boccara, erreurs riches d’enseignements.