La dialectique des contraires selon Aristote

Parlant des « anciens » qui acceptent de parler de la réalité, de la physique, Aristote dit qu’ils forcent les choses au moyen d’une opposition de contraires. Il remarque qu’ils ont tous au fond la même démarche :

« Jusqu’à ce point, du moins, l’accord est à peu près unanime, comme nous le disions plus haut : tous, en effet, prennent pour éléments et, comme ils disent, pour principes les contraires, encore qu’ils les adoptent sans motif rationnel, comme si la vérité elle-même les y forçait.

Ils se distinguent les uns des autres, selon qu’ils prennent les premiers ou les derniers, les plus connaissables selon la raison ou selon la sensation; qui le chaud et le froid, qui l’humide et le sec, d’autres l’impair et le pair, alors que certains posent l’amitié et la haine comme causes de la génération; entre tout cela il y a bien les distinctions que l’on vient d’indiquer.

Ainsi, entre eux, il y a accord en quelque manière et désaccord: désaccord selon l’apparence, mais accord dans l’analogie; car ils puisent dans la même série de contraires (en effet, parmi les contraires, les uns sont positifs, les autres négatifs). »

Aristote se demande alors quels sont les principes qui sont justes, en admettant que ce sont des contraires. Il dit déjà :

« Ici doit venir la question de savoir si les principes, qui sont des contraires, sont deux ou trois ou en plus grand nombre. En effet qu’ils soient un, c’est impossible, car le contraire n’est pas un. Pas davantage infinis : en effet l’être ne serait pas intelligible. »

Aristote assume la dialectique : il rejette le fait qu’il n’y ait pas un seul principe. Mais il n’applique pas la dialectique au principe lui-même, il rejette ainsi l’infini, alors qu’en réalité il y a de l’infini dans le fini et inversement.

Il ne peut donc pas voir le saut dialectique, il ne parvient donc pas au matérialisme dialectique.

Aristote porte toutefois l’exigence matérialiste, car il reconnaît la dignité du réel. Il veut donc trouver la dialectique à l’œuvre dans le monde matériel. Et les contraires que proposent les autres philosophes ne le convainquent pas du tout, car il ne voit pas comme deux choses différentes pourraient former une unité interne.

« Mais, puisqu’ils [=les principes] sont en nombre fini on peut, avec raison, refuser de les considérer comme deux ; en effet, on serait bien embarrassé de dire par quelle disposition naturelle la densité exercerait quelque action sur la rareté ou celle-ci sur la densité.

De même pour toute autre contrariété, car l’amitié n’unit pas la haine ni ne tire rien de la haine, ni la haine de l’amitié; mais l’action de toutes les deux se produit dans un troisième terme. »

Aristote veut admettre la transformation, mais celle-ci lui apparaît comme fruit d’une opposition, pas comme l’opposition elle-même. Pour prendre un exemple que lui-même mentionne, il y a l’opposition entre un homme non lettré et un homme lettré.

L’homme est resté homme, mais la dimension « non lettrée » a pour lui disparu. Or, en réalité, pour le matérialisme dialectique, l’homme lettré est le dépassement de l’homme non lettré, pas sa négation abstraite, tout comme l’homme est encore l’enfant qu’il a été, même s’il ne l’est plus.

Aristote ne garde pas « l’opposé », il ne conserve que le « sujet ». L’homme reste, pas le côté illettré. Il en déduit par conséquent que les sujets ont des « formes » et que ces formes connaissent des négations. Un homme n’a pas la forme lettrée, il l’acquière. Un bloc de pierre a une absence de forme, la statue en a une.

La transformation est pour Aristote une opposition du sujet à une forme passée ou une absence de forme. Mais le sujet ne se transforme pas, il reste toujours uni dans sa nature. Ce sont les formes qui sont des lieux d’opposition.

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