La fusion cosmique dans une société complète

L’animisme cosmique considérant que l’énergie traverse toute chose, est toute chose, alors absolument rien n’échappe à l’énergie, absolument rien ne saurait ne pas être énergie. Cela signifie qu’on a la même lecture animiste du monde qu’à l’époque des petits regroupements d’êtres humains, de tribus, de clans, mais cette fois de manière bien plus développée, plus approfondie, et au niveau d’une dimension d’un royaume, d’un empire.

On ne saurait assez souligner que les civilisations babylonienne, égyptienne, chinoise, grecque, romaine, indienne, maya, aztèque, etc., étaient saturées de lectures cosmiques des événements, y compris dans l’ordre du quotidien.

L’exemple mésoaméricain est ici plein d’enseignements.

Deux nobles mayas jouent à la balle, vers le 8e siècle (wikipedia)

En Mésoamérique, on employait l’arbre à caoutchouc dénommé aujourd’hui castilla elastica ; on mélangeait sa sève au suc de la plante dénommée ipomée blanche afin de renforcer son élasticité. Cela permettait de former une grosse balle, bien rebondissante, dont on se servait pour un jeu de balle où l’on doit frapper celle-ci avec les hanches, les coudes ou les genoux.

Les points étaient accumulés et il existait également un anneau où l’on gagnait directement si on parvenait à y faire passer la balle. Le jeu a été pratiqué sans réelle modification pendant 2700 ans et toute la Mésoamérique accueillait des terrains pour cette activité : les archéologues en ont retrouvé 1300.

Anneau sur le terrain de jeu à Chichén Itzá (wikipedia)

Ce jeu avait une portée symbolique fondamentale. La sève tirée de l’arbre étant conçu comme parallèle au sang venant du cœur, comme la forme vivante de l’énergie du principe cosmique éternel, le Teotl.

La balle en mouvement était elle-même l’allégorie de la réalité en mouvement perpétuel des formes prises par le Teotl.

Terrain de jeu de balle à Monte Albán (wikipedia), dont la civilisation s’étale du 5e au 1er siècle avant notre ère

Pour cette raison, le terrain de jeu à Tenochtitlan, la future Mexico City, était aligné selon axe Est-Ouest, comme la ville elle-même : la balle était une allégorie du soleil, qui doit triompher de l’infra-monde et en ressortir.

Chez les Mayas, la légende de Hunahpu et Xbalanque consiste justement en l’aventure de deux frères jumeaux joueurs de balle réussissant à vaincre les dieux de la mort et de la maladie, à Xibalba, le « lieu effrayant », l’infra-monde.

Dora Panfilia López Márquez, dite l’exploratrice, avec les jumeaux Hunahpu et Xbalanque

Le jeu était une expression de la systématisation à tous les niveaux de la vision du monde animiste cosmique. C’est également le sens des sacrifices, où il s’agissait de verser le sang, la vie, afin de contribuer au maintien de l’ordre cosmique sous sa forme actuelle.

Le Teotl existe en effet indépendamment de tout choix et puisqu’il est dans l’intérêt des êtres humains que le monde existe, il faut contribuer à sa stabilisation. C’est le sens du sacrifice effectué aux dieux, chaque mois de 20 jours à raison de 5-6 à une vingtaine de sacrifiés par temple, à raison d’une centaine, de centaines ou de milliers lors des grandes ou très grandes occasions.

C’est le sens de la pratique régulière de l’écorchement afin d’habiller les prêtres, qui portent le vêtement humain pendant 2-3 semaines, sa décomposition étant l’équivalent d’une peau qui mue, du maïs sortant de sa feuille, d’un nouveau cycle.

Le dieu Xipe Totec (Notre Seigneur l’écorché) ici recouvert de peau humaine, en référence à la cérémonie où un prisonnier célébré est finalement tué et écorché pour honorer le dieu qui s’est lui-même écorché pour donner naissance au maïs

Il existait dans ce cadre grosso modo sept formes de sacrifices ou plus exactement, de sacrifiés. Ce qui compte dans le sacrifice, c’est en effet le sacrifié, qui est offert aux dieux et à l’ordre cosmique.

Les sacrifiés correspondent à différents degrés d’importance des sacrifices, qui étaient parfaitement ritualisés et considérés comme impératifs pour l’ordre du monde.

Le sacrifié est accueilli avec joie, dans les chants, la musique, la danse, avec une procession où la foule leur accorde un caractère divin, il est le « prix des dieux », un « cadeau à celui qui encercle la Terre » et chaque sacrifice répond à un aspect particulier de la puissance cosmique.

Les pepechhuan, les « fondements », ouvrent les cérémonies en étant sacrifié ; on parle ici de soldats ennemis de moindre importance et de criminels.

Les messagers des dieux sont des prisonniers sacrifiés pour envoyer des demandes aux dieux en spécifique ; les ixiptla sont des esclaves ou des captifs qui représentent pendant un certain temps des dieux, vivant dans le luxe, se promenant librement, bénissant les gens chacun dans sa maison, avant d’être sacrifiés.

Scène du film Apocalypto de 2007 qui reflète la démarche mésoaméricaine du sacrifice

Le ixtipla du dieu de la guerre Huitzilopochtli gouvernait même symboliquement l’empire aztèque pendant une journée avant sa mise à mort, l’empereur quittant la capitale de Tenochtitlan.

Les tlacatetcuhine sont quant à eux des enfants de familles importantes achetés à leur naissance pour être sacrifiés à l’âge de 3-7 ans ; les xochimicqui sont des soldats ennemis prisonniers qui vont « mourir telle une fleur ».

Les tlaaltilli, ceux qui sont « baignés », sont des esclaves achetés pour les sacrifices de manière plus générale, étant chacun « l’enfant chéri », « l’enfant du soleil ».

Les variantes de sacrifices sont très nombreuses, reflétant la volonté d’obéir à toutes les gammes, toutes les modalités de l’existence. Il s’agit de correspondre à tous les modes d’existence possible, d’honorer ces modes, de saluer l’énergie de ce mode en sacrifiant pour rendre cette énergie.

Dans un cas, un prêtre aztèque ne mange que des tortillas et ne boit que de l’eau pendant 80 jours, afin de faire basculer une femme au moyen d’une corde pour qu’elle s’écrase sur un rocher symbole d’un dieu.

Dans un autre, les victimes se voient pressées par un filet jusqu’à ce que les intestins sortent ; dans un autre encore, de jeunes enfants sont placés dans un petit canoë débouchant sur une cascade.

Il y a les victimes attachées à un mât et sur lesquels on tire des flèches ; il y a ceux attachés à une lourde pierre, munis d’une massue avec non pas des lames de verre volcanique tranchant mais des plumes et devant affronter plusieurs guerriers.

Plus communément, comme c’est bien connu, quatre prêtres tiennent un sacrifié qui se voit arracher le cœur vivant par un cinquième prêtre s’étant tranché un accès, au son des flûtes et des sifflets. L’action est si rapide que la victime a le temps de voir son propre cœur avant de mourir au bout de ces quelques rapides secondes.

Le coeur rejoint le soleil

Le cœur fumant est alors montré au soleil par le prêtre puis placé dans un récipient destiné au temple à l’intérieur de la pyramide, le corps dévalant les marches de celles-ci qui étaient à cet effet peu profondes et avec un bon dénivellement.

Sans cette offrande de sang, l’ordre cosmique connaîtrait une instabilité et pourrait changer de manière défavorable pour l’humanité. Les auto-mutilations étaient pour cette raison également une norme, avec le sang coulant du pénis, des oreilles, de la langue où l’on fait passer une ficelle avec des lames tranchantes, etc.

Le sacrifice est une obsession pour le maintien de la stabilité cosmique et il y eu même pendant plusieurs décennies une guerre fleurie entre Aztèques et leurs ennemis, avec des rendez-vous pour des batailles où chaque soldat a comme but de capturer son ennemi afin que par la suite il puisse être sacrifié.

Il y a ainsi une apparence macabre, parfaitement exprimé par le tzompantli, une structure de poteaux en bois sur lesquels sont empalés les crânes des suppliciés. L’alimentation de cette structure est, finalement, le sens même de l’idéologie mystico-militaire aztèque, car il s’agit pas moins que de porter l’énergie cosmique, de la révéler de l’exprimer, de la saluer, de la vivre.

Un tzompantli recueillant les crânes des sacrifiés

L’inauguration du temple majeur fut ainsi marqué par le sacrifice ininterrompu de 20 000 victimes pendant quatre jours, non pas comme expression de la mort, mais comme un immense tribut à la vie elle-même !

La société de l’animisme cosmique est complète, rien ne lui échappe, et à chaque moment l’être humain fusionne avec le mouvement de l’univers lui-même.

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