La grève de 1947, arme des trusts

Les socialistes et les tenants du syndicalisme libre rongeaient leur frein dans la CGT ; à l’arrière-plan, il y a également les anarchistes et les trotskistes, qui espèrent pouvoir affaiblir à la moindre occasion le PCF.

Or, le PCF se retrouve profondément coincé par sa ligne de soumission au gaullisme. Il y a en effet une ligne républicaine assumée, le PCF se présentant comme le meilleur élève du régime républicain et encourageant la reprise de la production par tous les moyens. C’est une ligne de démocratie populaire mais totalement désaxée de par le fait que la question du pouvoir est totalement oubliée.

La bataille de la production, publié en 1946

Cette conception développée par Maurice Thorez l’emporte cependant entièrement dans le PCF. Victorin Duguet, mineur devenu secrétaire fédéral CGT, puis président des Charbonnages de France, explique en mars 1947 :

« Ce que je vais vous dire vous paraîtra dur, mais il faut que vous produisiez davantage. La nationalisation des mines n’est pas un échec : il faut faire la preuve que le rendement, le prix de revient, l’ordre et la discipline sont meilleurs qu’avant guerre, sinon il en sera fini des Houillères nationales. »

Or, non seulement la ligne est incohérente, mais en plus les masses ne la comprennent pas pour une partie significative. Il s’ensuit une incompréhension fondamentale de la position du PCF et des séries de grèves.

Cela produisit un espace dans lequel va se précipiter l’ultra-gauche, qui profite du désarroi des masses alors que le marché noir est encore là, que la production n’atteint le niveau de 1938 que vers fin 1949, que les prix ont été par multiplié quatre, cinq, six par rapport à l’avant-guerre, les salaires seulement par entre trois et quatre.

Au moyen de la démagogie et du rejet de toute analyse politique de la situation, l’ultra-gauche anarchiste et trotskistes lance des initiatives de lutte, soutenues par les tenants du syndicalisme libre voyant un espace pour affirmer la nature purement « syndicale » de la CGT.

Au mois d’août 1946, les Postes et Télécommunications entrent en grève. Elle se termine rapidement par un succès après un énorme élan, mais le PCF a tout compris : il sait que la « minorité » de la CGT a été au cœur d’une véritable tentative de déstabilisation, à la fois sociale et syndicale.

Elle a d’ailleurs formé indépendamment un Comité national de grève. Les socialistes embraient d’ailleurs aussi et dans l’organe Le Populaire, on appelle en août à une CGT au-dessus des partis politiques.

L’opération est une réussite : le Comité national de grève entraîne peu après 15 000 personnes hors de la CGT, la moitié formant un Comité d’action syndicaliste (CAS) en décembre 1946 dont le dirigeant était Camille Mourguès, issu de la gauche pro-trotskiste de la SFIO qui forma en 1938 le Parti socialiste ouvrier et paysan. Son premier inscrit fut Jean Mathé, secrétaire général du Syndicat national des agents des PTT en 1927 et qui ne participa pas à la Résistance.

D’autres CAS se constituèrent, comme CAS SNCF, Métaux, Transports, Hôpitaux, Alimentation.

Ce qui s’enclenchait était une véritable vague de grèves rendant l’ambiance explosive.


Nombre
de grèves
Nombre
de grévistes
Journées perdues
1946 528 180 000 386 000
1947 2 285 Pratiquement 3 millions 22 673 000
1948 1 425 Un peu plus de 6,5 millions 13 133 000

Les trotskistes réalisent alors un coup formidable : en avril 1947, ils déclenchent une grève dans les ateliers 6 et 18 de l’usine Renault-Billancourt. La CGT tente de relativiser, mais la conscience des masses est trop faible pour faire de la politique, alors que qui plus est la grève est appuyée par les socialistes (les Jeunesses socialistes apportant même une voiture avec des hauts-parleurs), les anarchistes, ainsi que la CFTC, le syndicat lié à l’Église catholique.

La CGT, déboussolé entre sa nature syndicale et son positionnement pro-PCF, s’enlise et échoue. Elle cède et suit le mouvement, privilégiant la tournure syndicaliste, pour réussir à prendre le dessus et arracher un accord.

Mais le PCF en paie le prix fort : il est exclu du gouvernement le 4 mai 1947 par le président du conseil Paul Ramadier, ce que confirme immédiatement le conseil national de la SFIO le 6 mai par 2529 mandats contre 2125.

Les trotskistes, eux, sont galvanisés et leurs trois principaux courants possèdent désormais une dynamique pour les cinquante prochaines années.

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