La guerre d’Espagne fut une guerre défensive des progressistes ; il y eut bien entendu des avancées sociales et culturelles considérées comme nécessaires par tout le monde, mais les exigences étaient fort différentes et l’aspect principal était celui la dimension protectrice.
Il s’agissait de faire front, ce qui n’allait pas sans contradictions donc puisque les exigences des uns ou des autres pouvaient entrer en conflit avec le processus.
Déjà, il existait une contradiction entre le gouvernement républicain, lié à un État dont la force armée s’était effondrée, et les syndicats l’ayant protégé du coup d’État militaire. Ces syndicats avaient été reconnus par la République, parfois même armés, reste que ceux-ci avaient formé dès le coup d’État leurs propres structures.
Le président de la Généralité de la Catalogne, Lluís Companys, se voyait donc devoir entrer en collaboration avec un Comitè Central de Milícies Antifeixistes (Comité central des milices antifascistes), regroupant toute la gauche révolutionnaire et indépendantiste catalane.
Ses dirigeants se répartissaient comme suit : CNT 4 postes, UGT 3 postes, Gauche Révolutionnaire Catalane 3 postes, Parti Socialiste Unifié de Catalogne (fusion notamment du PSOE et du PCE en Catalogne) 1 poste, Parti Ouvrier d’Unification Marxiste (marxiste proche du trotskysme) 1 poste, Action Catalane Républicaine 1 poste, enfin 1 poste pour un syndicat de viticulteurs sans terre et 2 pour des responsables militaires nommés par la Généralité catalane.
La situation n’était pas propre à la Catalogne ; on trouvait aussi notamment un Comité Exécutif Populaire de Valence, un Conseil Régional de Défense de l’Aragon, un Comité de Salut Public de Malaga, un Comité de Guerre de Gijon, un Comité Populaire de Sama de Langreo, etc.
La République accorda également son autonomie au pays basque non occupé par l’armée de Francisco Franco (Viscaya et Guipúzcoa), sous le nom d’Euzkadi et dans la foulée l’armée basque, l’Euzko Gudarostea, mobilisa 100 000 personnes.
La Catalogne, cependant, présentait une grande particularité. En effet, c’était le bastion de la CNT, qui se posait comme organe d’organisation des masses pour la période post-révolutionnaire elle-même. Si donc, la CNT est en mesure de pratiquer ce qu’elle appelle le communisme libertaire, alors elle le fait immédiatement.
Ce n’est même pas un choix rationnel, c’est dans les principes même de l’organisation, qui se veut dès à présent la structure horizontale et fédéraliste conforme au « communisme libertaire ».
Par conséquent, dans les zones catalanes contrôlées par la CNT, la production était sous contrôle ouvrier à 75 %, ce qui est bien moins le cas dans les zones contrôlées par l’UGT.
Comme la production industrielle catalane représentait les 2/3 de celle de l’Espagne, cela signifie qu’une partie significative était socialisée, principalement par la CNT.
La CNT disposait donc de collectivités de pêches, de spectacles publics (Espectáculos Públicos de Barcelona Socializados avec 10 000 employés), des services de transports (3322 employés sur 3442 étant à la CNT), d’usines textiles comme La España Industrial ou métallurgiques comme Hispano Suiza et Rivière, de la production électrique (Servicios Eléctricos Unificados de Catalunya avec 11500 employés), etc.
La situation était similaire dans les campagnes, 70 % des terres catalanes étaient expropriées, mais la question agraire était tellement explosive que cela fut également vrai ailleurs : 70 % des terres furent expropriées en Aragon n’étant pas sous contrôle des putschistes, 91 % en Estrémadure républicaine, 58 % en Castille – La Manche, 53 % en Andalousie républicaine, 13 % dans la communauté de Valence.
Au total, 54 % de la superficie agricole de la République avait été expropriée.
Le communisme libertaire fut même proclamé en Aragon, avec à peu près 450 collectivités rurales, pratiquement toutes aux mains de la CNT, sauf une vingtaine liées à l’UGT. Dans la communauté de Valence, sur les 353 collectivités, 264 étaient dirigées par la CNT, 69 par l’UGT, 20 de manière mixte par les deux syndicats, alors que fut formé un Conseil d’exportation agricole régional par les deux syndicats, gérant eux-mêmes l’exportation des oranges en Europe ; la ville d’Alcoy vit son industrie et ses services passés entièrement dans les mains des syndicats.
Cette situation était bien entendu intenable, de par l’existence d’un double pouvoir, avec d’un côté principalement la CNT faisant cavalier seul, de l’autre la République, avec à sa tête Francisco Largo Caballero, le dirigeant de l’aile gauche du PSOE, en tant que premier ministre du « gouvernement de la victoire ».
La République avait pris les initiatives suivantes, dès le départ : révocation des fonctionnaires sympathisant avec le coup d’État, nationalisation des chemins de fer, jeu sur les prix des produits alimentaires et des vêtements, confiscation des grandes propriétés rurales, fermeture des institutions religieuses, instauration de tribunaux populaires, etc.
A cela s’ajoutait la nécessité de refonder une armée en tant que telle, qui prit le 28 octobre 1936 le nom d’Ejército Popular de la República (Armée Populaire de la République), avec formation immédiate de brigades mixtes, afin d’intégrer les milices populaires, et le rappel de toutes les personnes ayant fait leur service militaire depuis 1932.
Il s’agissait également d’unifier les « patrouilles de contrôle », formations mises en place par les syndicats et menant des opérations de police.
Dans ce processus fut formé, en novembre, le second « gouvernement de la victoire ». Francisco Largo Caballero en était encore le premier ministre, mais les organisations révolutionnaires autres que le PSOE, qui assumait ouvertement la nécessité de la révolution également, s’intégraient au gouvernement en tant que tel.
Outre Francisco Largo Caballero, l’aile gauche du PSOE possédait les ministères de l’intérieur et des affaires étrangères et constituait donc le principal parti, l’ossature du régime. Deux autres membres du PSOE, de l’aile modérée, étaient aux postes des finances, ainsi que de l’industrie et du commerce, de la marine et de l’air.
La Gauche Républicaine disposait du ministère des travaux publics, la Gauche Républicaine catalane celui du travail et de la santé, l’Union Républicaine celui des communications et de la marine marchande.
Le PCE, lui, était aux commandes des ministères de l’Agriculture, de l’Éducation et des Beaux-arts ; la CNT elle-même avait des ministères (Santé et assistance sociale, Justice, Commerce, alors que l’Industrie va à un des signataires du manifeste des 30).
L’armée putschiste étant aux portes de Madrid, les 510 tonnes d’or de la banque d’Espagne furent évacuée et envoyée en U.R.S.S., alors que cette dernière fournissait de l’armement autant que possible. Au total, l’U.R.S.S. aura fourni 1500 tonnes de poudre, 862 millions de cartouches, 500 000 fusils, 50 000 grenades, 3,4 millions de projectiles d’artillerie, plus de 15 000 mitrailleuses, plus de 1500 canons, plus de 700 tanks et véhicules blindés, plus de 800 avions, 110 000 bombes pour avions.
Ce soutien fut décisif alors que l’armée putschiste pénètre dans Madrid et que la bataille fait rage, au niveau de la Cité Universitaire et de son parc boisé, au nord-est de la ville. Dans le prolongement, les unités de tanks T-26 fournis par l’U.R.S.S. ainsi que les 132 avions utilisés dans la contre-offensive permettent de battre l’ennemi.
La Cité Universitaire resta alors la ligne de front, jamais l’armée putschiste n’osera plus jamais attaquer Madrid pour tout le reste de la guerre d’Espagne.
Au cours de cette défense de Madrid étaient également intervenues des unités dont la renommée fut résolument glorieuse : les Brigades Internationales.