La guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan

[Sera publié dans le prochain numéro de la revue au format pdf Crise (Analyse de la seconde crise générale du mode de production capitaliste)]

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La seconde crise générale du mode de production capitalise a accéléré les processus de conflagration dont la base est la compétition des expansionnismes et des impérialismes. La Turquie, maillon faible des pays semi-féodaux semi-coloniaux, est dans ce cadre une source particulièrement agressive. C’est l’un des aspects de la crise entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan : ce dernier pays est poussé par la Turquie à aller de l’avant dans l’expansionnisme.

Dans le cataclysme de l’effondrement du social-impérialisme soviétique, l’Arménie, dévastée par le séisme de 1988, sombre dans la mobilisation chauvine, qui répond symétriquement au chauvinisme panturc dans lequel s’effondre de son côté l’Azerbaïdjan soviétique.

Jouant à fond la carte de la cohésion ethno-nationaliste, y compris en mobilisant les Arméniens de l’étranger, le régime nationaliste qui prend le pouvoir parvient à faire triompher en partie son propre expansionnisme.

S’appuyant sur les Arméniens du Nagorny Karabagh, il annexe au terme d’une guerre brutale près de 20% du territoire de l’ancienne République soviétique d’Azerbaïdjan. Le nationalisme chauvin triomphant des deux côtés avec l’appui de puissances extérieures, la situation est immédiatement bloquée, et l’impasse se transforme peu à peu en piège menaçant en permanence la paix régionale.

La situation géographique du Nagorny Karabagh

L’Arménie se retrouve ainsi un quart de siècle plus tard dans une situation dramatique. Elle fait face à l’Azerbaïdjan, pays qui s’est surarmé au moyen de ses pétro-dollars, avec un appui systématique de la Turquie pour que son agressivité soit le plus libérée possible.

C’est un exemple extrêmement significatif de l’opposition historique entre la démocratie et la guerre, entre la démocratie et l’expansionnisme, entre la démocratie et le nationalisme et finalement, entre les peuples du monde et les intérêts de minorités cherchant toujours davantage de profits, quitte à lever le drapeau noir et sanglant de la guerre.

La conception communiste de la question nationale et ses implications

Il existe deux erreurs traditionnelles concernant la conception communiste des nationalités. La première, c’est de croire que le communisme prône l’indépendance des nations, alors qu’en réalité le communisme affirme l’auto-détermination des nations.

La seconde, c’est de croire que la question nationale est l’aspect principal de toute problématique, alors qu’évidemment, c’est la révolution mondiale qui constitue l’aspect principal. Plus précisément même, la question nationale est un cadre, et ce cadre doit être posé selon une compréhension populaire de la nation et surtout dans une perspective démocratique. C’est l’ensemble de ces éléments qu’il convient d’articuler pour aller dans le sens du communisme.

Ainsi le communisme veut l’auto-détermination des nations, mais cela ne veut nullement dire qu’il faille coûte que coûte réaliser l’indépendance. Cela dépend de la situation propre à chaque peuple et de l’élan démocratique que l’affirmation nationale est en mesure de porter. Dans tous les cas, toute initiative est subordonnée aux intérêts de la révolution mondiale.

Telle a été l’approche des communistes soviétiques en ce qui concerne le Caucase et en particulier les rapports entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.

La République démocratique fédérative de Transcaucasie née à la suite de la révolution de février 1917

Lorsque le tsarisme s’effondre en février 1917, le gouvernement provisoire russe a mis en place une République démocratique fédérative de Transcaucasie composée de l’Arménie, de l’Azerbaïdjan et de la Géorgie.

Celle-ci prend son indépendance en avril, mais s’effondre dès le mois de mai 1918, avec la fondation de trois « républiques démocratiques », arménienne, azérie et géorgienne.

Celles-ci rentrent immédiatement en conflit, alors que la république turque venant de se former s’affronte également à l’Arménie avec l’intention de rallier Bakou, voire même le nord de l’Iran. Les impérialistes – principalement britannique et américain – tentent alors de procéder à un découpage régional allant dans leur sens.

La république démocratique d’Arménie tente de tirer son épingle du jeu, mais sans y parvenir, tout en s’alliant aux armées blanches pour chercher à faire vaciller l’Azerbaïdjan. Dans ce pays, la révolution bat son plein à Bakou où les Bolcheviks dirigés par l’Arménien Stepan Chahoumian ont pris le pouvoir dès 1917.

Ils doivent faire face aux milices panturques d’un côté et aux bandes arméniennes de l’autre. La Commune tente de tenir face à ces divergences chauvines exacerbées par les menées kémalistes depuis la Turquie en faveur du panturquisme. Malheureusement, ce premier élan révolutionnaire est écrasé en 1918.

L’Arménien Stepan Chahoumian, dirigeant de la commune de Bakou, la capitale de l’Azerbaïdjan

La république démocratique d’Azerbaïdjan est proclamée ensuite, elle se retrouve rapidement en guerre face à l’Arménie qui veut annexer le Karabagh.

Mais la République démocratique d’Azerbaïdjan s’effondre finalement devant la révolution et en avril 1920 elle cède la place à une république socialiste soviétique d’Azerbaïdjan. En décembre 1920, la révolution touche également l’Arménie.

La République socialiste fédérative soviétique de Transcaucasie

La révolution en Géorgie clôt la brève histoire des « républiques démocratiques » et le 12 mars 1922 est fondée une Union fédérative des républiques socialistes soviétiques de Transcaucasie avec donc l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Géorgie.

Le 13 décembre de la même année elle se transforme en République socialiste fédérative soviétique de Transcaucasie, qui participe à la fondation de l’URSS le 30 décembre 1922, avec les républiques soviétiques de Russie, de Biélorussie et d’Ukraine.

L’emblème de la République socialiste fédérative soviétique de Transcaucasie

Toute les questions relatives à l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Géorgie relèvent alors d’une seule et même problématique, ce qui demande beaucoup d’investissement, puisqu’en 1926, il y a dans cette nouvelle république de 5,8 millions de personnes pas moins de 44 nationalités différentes, dont douze de moins de 30 000 personnes.

Et, comme c’est le cas dans les Balkans, on trouve à la fois des minorités nationales et une dispersion de nationalités ; des gens d’une même nationalité peuvent vivre dans deux zones entre duquel s’intercale une zone avec une autre nationalité, etc. Il y a une grande imbrication des différentes nationalités, même si trois prédominent : les Arméniens, les Azéris, les Géorgiens.

Puis, une fois le régime bien établi et l’étape d’unité des peuples passée, la constitution soviétique de 1936 rétablit les républiques socialistes soviétiques d’Arménie, d’Azerbaïdjan et de Géorgie. C’était à la fois une avancée puisque les rapports entre les peuples étaient pacifiés, et en même temps un certain recul par rapport à une unification. Cela allait être très lourd de sens par la suite.

La question du Nagorny Karabagh et du Nakhitchevan

L’un des grands succès de la politique soviétique des années 1920 fut la résolution de la question du Nagorny (= montagneux, haut en russe) Karabagh (= en turc le jardin, le verger, du nord, le noir étend assimilée dans la langue turque à cette direction cardinale, comme l’est la Karadeniz = mer Noire, au nord de l’Anatolie).

Cette région montagneuse était peuplée en très grande majorité d’Arméniens, mais intégrée depuis environ deux cents ans à ce qui forme l’Azerbaïdjan, notamment sur le plan économique. Le Nagorny Karabagh est d’ailleurs séparé de l’Arménie proprement dit par un couloir de population azérie, plus précisément kurde.

À l’ouest de ce couloir, on a le Zanguezour (du nom du massif montagneux), qui lui fut intégrée à l’Arménie sous le nom de Syunik. La région à l’ouest de Syunik, le Nakhitchevan, une région peuplée très majoritairement d’Azéris, fut par contre rattachée à l’Azerbaïdjan, mais en tant que République Socialiste Soviétique autonome.

La situation en 1930

Le drapeau de cette république socialiste soviétique autonome du Nakhitchevan était en 1937 le même que celui de la République Socialiste Soviétique d’Azerbaïdjan, avec cependant comme ajout un espace rouge en haut à gauche avec le marteau et la faucille de couleur dorée, avec écrit à la fois en arménien et en langue azérie AzSSR et Nakhitchevan ASSR.

L’emblème, avec le traditionnel soleil levant soviétique, contenait les slogans, encore en arménien et en langue azérie, « République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan », « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! », « Nakhitchevan ASSR ».

On a donc géographiquement, d’ouest en est, le Nakhitchevan (=Azerbaïdjan en tant que république autonome), Syunik (=Arménie), un couloir de population azérie-kurde (=Azerbaïdjan), le Nagorny Karabagh (=Azerbaïdjan mais de population arménienne en grande majorité).

Il faut savoir ici que, dans les années 1920, le Zanguezour était alors relié par une route au Karabagh, mais pas à la capitale arménienne, Erevan ; la route ne sera construite que par la suite. Pour rejoindre le Zanguezour et le Nagorny Karabagh depuis Erevan, il fallait faire un détour par le Nakhitchevan.

Le Nagorny Karabagh comme région autonome

Dès le printemps 1921, l’Arménie poussa à l’intégration en son sein du Nagorny Karabagh et commença à prendre des décisions en ce sens. Cela provoqua une série de réactions en chaîne allant jusqu’à la direction de l’URSS, avec une grande remise en cause des décisions unilatérales du côté arménien.

Toutes les options étaient sur la table (rattachement à l’Arménie, référendum, etc.), mais il fut considéré que de par la situation historique du Nagorny Karabagh dans son rapport avec l’Azerbaïdjan, il faudrait qu’il reste dans son giron.

Toutefois, le Nagorny Karabagh devint une région autonome. Cela signifiait que le Parti Communiste avait sa propre organisation, qu’il y avait une administration spécifique au Nagorny Karabagh, que dans le domaine de l’éducation et de la culture il y avait l’autonomie.

L’arménien était une langue reconnue de l’administration, du gouvernement, de la justice, ainsi que des médias.

Afin de renforcer la dimension arménienne, la capitale administrative cessa d’être Shusha, la seule ville au sens strict (et à majorité azérie), pour devenir le bourg rural arménien de Khankend, qui prit par la suite le nom de Stepanakert, en l’honneur justement du révolutionnaire bolchevik de Bakou, Stepan Chahoumian.

Les conflits réapparaissent avec la décadence de l’URSS social-impérialiste

De par la construction du socialisme en URSS, le choix du statut de région autonome pour le Nagorny Karabagh valait ce qu’il valait mais passa l’épreuve du temps. La population arménienne vivait en paix au Nagorny Karabagh, préservant sa culture ; les rapports arméni-azérie étaient pacifiques et constructifs.

Le symbole de cette époque est restée celui du club de football de Bakou, le Neftyanik Bakou, les Neftyanik étant les travailleurs du pétrole en russe, fondé en 1937. Une grande partie de l’équipe, selon les années, parfois même la moitié, était composée d’Arméniens azerbaïdjanais. Il s’est imposé comme la principale équipe de la République soviétique d’Azerbaïdjan ; son premier match d’ailleurs l’a opposé au Dinamo Erevan.

L’emblème du Neftyanik Bakou

La situation se dégrada évidemment après 1953 et le triomphe du révisionnisme en URSS. D’un côté, le nationalisme arménien refit surface et commença une intense propagande, avec même des demandes d’intégration du Nagorny Karabagh à l’Arménie, ce qui fut rejeté. De l’autre côté, le nationalisme azérie, tendant au panturquisme, se développa également de manière particulièrement agressive.

Il est significatif par exemple que l’équipe de Bakou pris alors, en 1967, le nom de Neftchi, c’est-à-dire travailleur du pétrole, mais cette fois en langue turque-azérie. Le nombre d’Arméniens de l’équipe tendant alors à se réduire avant de s’effacer.

Tant que le social-impérialisme soviétique était dans son élan, il n’y avait pas de place pour l’expression de ces nationalismes ; le régime, fonctionnant par la terreur, exigeait à la fois une soumission et une participation complète à son offensive pour l’hégémonie mondiale (surarmement massif, invasion de l’Afghanistan en 1979, satellisation du Vietnam, etc.).

Dès qu’il s’affaiblit, ce fut l’explosion, meurtrière.

La crise assassine de 1988

Le schéma est au fond le même que pour la Yougoslavie : l’effondrement de l’État central amena des massacres immédiats sur la base d’un nationalisme s’étant diffusé pendant des décennies, et encore plus à la faveur de la politique libérale de Mikhail Gorbatchev, secrétaire du PCUS. Cette période voit parallèlement le développement de l’affairisme mafieux dans l’appareil d’État et la grande industrie, autant en Arménie qu’en Azerbaïdjan, comme partout en URSS.

Tout cela a lieu alors que les effets de la guerre en Afghanistan entraîne dans ces régions un essor considérable du complexe militaro-industriel. L’armée soviétique s’entraîne alors sur le terrain du monastère de David Gareji datant du VIe siècle, à la frontière entre l’Azerbaïdjan et la Géorgie. L’infernale spirale de la corruption décadente enchaîne progressivement la banalisation des brutalités et des haines ethniques.

Lorsque la crise apparaît de manière ouverte, sanglante, en 1988-1989, il y a au Nagorny Karabagh 145 500 Arméniens (soit 76,9 % de la population), 40 600 Azéris (soit 21,5%), 3 000 Russes. Les Azéris vivaient principalement dans la ville de Shusha et ses alentours.

Une carte de l’Azerbaïdjan, avec la situation géographique du Yukhari Garabagh (ou Nagorny Karabagh)

Le 20 février 1988, des manifestations eurent lieu à Stepanakert, la capitale du Nagorny Karabagh, pour demander le rattachement à l’Arménie. Des manifestations similaires avaient eu lieu dans la capitale arménienne, Erevan, la veille. Le jour même, les députés de l’administration de la région autonome demandèrent à l’URSS le rattachement à l’Arménie, ce qui fut immédiatement rejeté par la voix de Mikhail Gorbatchev.

La pression montait particulièrement depuis une dizaine d’années, la population azérie en Arménie quittant le pays même en masse (il y a plus de 160 000 Azéris en Arménie en 1979, moitié moins dix ans plus tard). Les nationalistes azéris chauffaient quant à eux à blanc en prônant une ligne dure, s’appuyant sur les réfugiés azéris afin de diffuser largement une haine chauvine ouverte ciblant les Arméniens dans leur ensemble.

La situation explosa alors dans la vile industrielle de Soumgaït. C’était la seconde ville d’Azerbaïdjan, avec 223 000 habitants, dont 17 000 Arméniens.

Les conditions de vie étaient désastreuses, avec un manque terrible de logements, une pollution massive au point d’avoir une mortalité infantile catastrophique ; 1/5 des habitants avaient un casier judiciaire et la moyenne d’âge était de 25 ans. Si on ajoute à cela que les Azéris venaient souvent des campagnes, on avait tous les ingrédients pour une vaste opération de provocation.

Une carte de l’Azerbaïdjan, avec Bakou tout à l’Est et, un peu au-dessus, la ville de Soumgaït (ici dénommé Sumqayit) ; en pointillé, le territoire du Nagorny Karabagh

Les 27, 28 et 29 février 1988, des centaines de nationalistes menèrent un véritable pogrom anti-arménien, avec une démarche systématique de torture, de viols collectifs, de meurtres, n’épargnant personne, ni enfants ni personnes âgées. L’URSS fut débordée, scellant sa fin précisément ici ; elle nia les événements, puis ne parla que de 32 morts, alors qu’il y en eut plusieurs centaines.

La boîte de Pandore était ouverte.

L’effondrement du social-impérialisme soviétique et la crise de Bakou

Dès le massacre de Soumgaït, le nationalisme arménien se mit en branle et domina le pays. La population azérie fut expulsée, l’agitation au Nagorny Karabagh redoubla.

Le 15 juin 1988 le soviet suprême d’Arménie demanda à l’URSS de reconnaître la volonté de la région du Nagorny Karabagh d’intégrer l’Arménie ; le 12 juillet le soviet suprême du Nagorny Karabagh annonça sa sécession par rapport à l’Azerbaïdjan. En réponse, l’URSS mit en place une administration directe de la région autonome, à partir de janvier 1989.

Le nationalisme azéri s’organisa également de manière systématique, multipliant les initiatives et les plans de massacre. Si le pouvoir central disparaissait, les deux protagonistes s’affrontaient immanquablement.

La situation connut donc un nouveau tournant avec l’effondrement du social-impérialisme soviétique. Parallèlement à la chute du mur de Berlin, il y eut en effet l’abandon par l’URSS, le 28 novembre 1989, de l’administration directe du Nagorny Karabagh.

Dans la foulée, le 1er décembre, les députés du soviet suprême Nagorny Karabagh annoncèrent que la région autonome rejoignait l’Arménie. La rupture était consommée.

Or, il y avait à Bakou, capitale de l’Azerbaïdjan, 200 000 Arméniens (sur les 1,7 million d’habitants de la ville). Cette population se retrouvait dans une situation intenable : le nationalisme arménien les plaçait véritablement comme un lieu de projection de haine, avec clairement l’espoir de parvenir à une rupture raciste entre les deux communautés.

Celle-ci se produisit en janvier 1990, avec un nouveau pogrom anti-arménien, organisé par les nationalistes qui cherchaient également à en profiter pour renverser le gouvernement fidèle à l’URSS. Les Arméniens de Bakou fuirent en masse et cette crise ouvrit un espace politique majeur aux nationalismes arménien et azéri, avec une logique jusqu’au-boutiste d’épuration ethnique.

Les initiatives nationalistes en Arménie et en Azerbaïdjan

Il existe une différence de qualité entre les nationalismes arménien et azéri en 1990. En effet, en Arménie, la chose est entendue : tout est mobilisé pour la conquête du Nagorny Karabagh. Le Mouvement Panarménien est le mouvement électoral le plus puissant aux élections de mai 1990.

Par contre, en Azerbaïdjan, les nationalistes étaient organisés dans un Front populaire azerbaïdjanais qui avait une dimension de masse, mais était bloqué dans son accession au pouvoir par le gouvernement pro-soviétique, c’est-à-dire pro-russe. D’ailleurs, le pogrom de Bakou – où la police n’intervint pas – fut un prétexte pour l’intervention de l’armée soviétique en Azerbaïdjan.

La répression des nationalistes azéris par le gouvernement soviétique fut très violente, faisant des centaines de morts.

C’est un aspect important, car pour toute cette phase, c’est clairement le nationalisme arménien qui est le plus agressif et à l’initiative.

Le démantèlement de l’URSS et l’indépendance arménienne du Nagorny Karabagh

En août 1991 eut lieu une tentative de putsch de la part des conservateurs soviétiques ; son échec amena le triomphe des forces centrifuges, l’URSS cessant d’exister en décembre de la même année.

L’Azerbaïdjan n’attendit cependant pas et proclama son indépendance le 31 août 1991. C’était la victoire des nationalistes sur le gouvernement pro-soviétique

Les Arméniens du Nagorny Karabagh proclamèrent leur propre indépendance le 2 septembre, après la mise en place d’un référendum organisé à la va-vite et voté uniquement par la population arménienne (avec 99 % de oui).

L’Arménie proclama elle-même son indépendance le 21 septembre et en réponse l’Azerbaïdjan enleva le statut d’autonomie régionale du Nagorny Karabagh le 27 septembre.

L’emblème du régime arménien né en 1991, fondé sur celui de 1918-1922

Le Nagorny Karabagh comme « république d’Artsakh »

Les Arméniens proclamant l’indépendance du Nagorny Karabagh donnèrent au nouveau régime le nom de république d’Artsakh. C’est là un choix tactique du nationalisme arménien.

C’est en effet une fiction, car en réalité l’Arménie contrôle totalement cette zone ; la proclamation d’une pseudo-république sert uniquement à ne pas apparaître comme expansionniste aux yeux de l’opinion publique mondiale. Inversement, le nom choisi sert à galvaniser les masses arméniennes dans leur fanatisme nationaliste, dans une perspective expansionniste.

L’emblème de la république dite d’Artsakh

Le nom d’Artsakh est en effet à la base celui d’une province de la « grande Arménie » de la géographie traditionnelle. L’espace ainsi désigné, majoritairement arménien mais non exclusivement va à la fin de l’époque médiévale être soumis à différentes puissances (ottomane, perse, russe). Cette province, grosso modo sur le territoire du Nagorny Karabagh, fut la dernière de la grande Arménie à être conquise.

En réalité, c’est plus compliqué que cela car le territoire fut à l’origine une composante de « l’Albanie du Caucase », dont les ethnies s’intégrèrent en partie à la culture arménienne. Les Arméniens qui restent en Azerbaïdjan aujourd’hui, sont d’ailleurs considérés aujourd’hui officiellement justement comme des « Albanais du Caucase » devant se dés-arméniser. Dans tous les cas cette partie du monde passa dès le 9e siècle sous domination seldjouk, puis safavide, puis ottomane, puis russe.

C’est donc un symbole mythique du nationalisme arménien, totalement à rebours de tout le parcours historique réalisé entre-temps ; ainsi au milieu du 18e siècle, il y a le khanat d’Erevan, le khanat de Nakhitchevan et celui du Karabagh. L’idée est très clairement de « purifier » l’Arménie et d’en revenir à la grande Arménie pré-médiévale, ce dont témoignent clairement également les cartes proposées par les nationalistes arméniens, qui restaurent partout où ils le peuvent la toponymie des régions, ou nahang, de la tradition classique.

Le territoire de la république dite d’Artsakh avec également les territoires revendiqués à l’Est

Il y a d’ailleurs une appropriation unilatérale du parcours des Arméniens d’Anatolie, qui connurent le génocide et qui culturellement ont leur propre évolution (leur langue arménienne étant d’ailleurs relativement différente), même s’il est en même temps important de noter qu’une part importante de la population de l’Arménie actuelle est composée de descendants de réfugiés anatoliens.

En tout cas, le génocide des Arméniens ottomans est aussi une matière à alimenter le nationalisme de l’Arménie dans la projection chauvine que réalise celui-ci en direction de l’Azerbaïdjan.

La guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan

Afin de correspondre aux objectifs de la grande Arménie, l’initiative arménienne ne se contenta pas d’exercer son expansion sur le Nagorny Karabagh. Elle occupa militairement les territoires aux alentours, expulsant les populations non-arméniennes y compris au moyen de la violence, provoquant le départ forcé de 800 000 personnes, 300 000 Arméniens se voyant obliger de leur côté de fuir l’Azerbaïdjan en catastrophe de par la nouvelle situation.

Cette situation se caractérisa par l’affrontement armé entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan en 1991-1993, l’armée azerbaïdjanaise reconquérant 40 % du Nagorny Karabagh en août 1992 avant de s’effondrer, amenant la Turquie à se mobiliser en septembre 1993 en exigeant que le Nakhitchevan ne soit pas envahi par l’Arménie, la Russie menaçant de son côté d’une intervention si la Turquie passait à l’offensive.

L’Arménie vola ainsi finalement de victoire en victoire, au moyen de massacres de civils s’il le fallait, comme dans la ville de Khodjaly, où 613 civils furent assassinés dont 83 enfants. La guerre causa la mort de 30 000 personnes, dont 7 000 Arméniens.

La fuite en avant arménienne

L’Arménie eut tellement le dessus que l’Azerbaïdjan fut dans l’obligation de signer un cessez-le-feu le 24 mai 1994. C’était une défaite totale pour l’Azerbaïdjan : aux 800 000 réfugiés s’ajoutait la perte de 20 % de son territoire. En plus du Nagorny Karabakh, il y avait également les sept districts azéris environnants (avec notamment parfois une importante présence kurde) conquis et dont la population fut expulsée également : Lachin, Kelbajar, Agdam, Fizuli, Kubatly, Jabrayil, et Zangelan.

Les nationalistes arméniens poussèrent au maximum l’humiliation. Robert Kocharian, du Nagorny Karabagh et donc de nationalité azérie, fut le premier président de la « République du Haut Karabagh », de 1994 à 1997. Puis, il fut premier ministre de l’Arménie de 1997 à 1998 et président de l’Arménie de 1998 à 2008 !

Le drapeau de la république dite d’Artsakh, consistant en un drapeau arménien divisé/réunifié

Dans l’idéologie officielle, et c’était vrai depuis 1988, il y eut une assimilation des Azéris aux « turco-tatars » et une assimilation des « turco-tatars » aux « turcs ottomans ». Les Azéris étaient assimilés à des Turcs ne pouvant, aux yeux des nationalistes arméniens, qu’être des fanatiques génocidaires.

Le prix à payer fut énorme pour l’Arménie. Le pays était ruiné, l’émigration massive au point qu’il n’y avait plus que 2,5 millions d’habitants. L’État se retrouvait aux mains de fanatiques nationalistes corrompus, avec une instabilité politique très grande, dont l’une des expressions fut en octobre 1999 une opération commando de nationalistes liquidant en pleine séance parlementaire le premier ministre arménien, le porte-parole du parlement et six autres personnalités politiques.

Les dépenses faites par les nécessités et les effets de cette politique chauvine agressive sont telles que l’Arménie mit des années à moderniser les infrastructures de sa capitale, pendant que le reste du pays était littéralement à l’abandon, y compris la ville de Gyumri, toujours dévastée depuis le séisme de 1988.

Et encore, la corruption s’affiche de manière écœurante dans la ville actuelle, où l’on ne compte plus les casinos, les bars à prostituées ou les églises construites avec l’argent détourné par les élites décadentes. La jeunesse, qui étouffe sous tous ces blocages, l’étau de la guerre et la toute puissance de l’armée, multiplie les soulèvements ou fuit massivement depuis les années 2000.

À cela s’ajoute l’influence russe, massive, avec l’installation d’une grande base militaire, prix à payer pour contrebalancer une éventuelle intervention turque.

Et, surtout, plus l’Arménie s’arrachait, lentement, à l’aveuglement nationaliste, plus l’Azerbaïdjan y sombrait de son côté.

Le groupe de Minsk

L’Arménie s’est en fait reposer sur sa victoire initiale et sur la volonté des impérialistes, alors, de geler la situation. Le début des années 1990 marque en effet un redémarrage de l’expansion capitaliste, dans le prolongement de la chute du bloc du social-impérialisme soviétique. La guerre arméno-azerbaïdjanaise ne collait pas au panorama.

Dans ce cadre fut formé le « Groupe de Minsk », composé d’une série de pays devant superviser des négociations n’ayant jamais réellement lieu en tant que telles : les États-Unis, la France, la Russie, la Biélorussie, l’Allemagne, l’Italie, la Suède, la Finlande, la Turquie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan.

Il y a bien de très nombreuses rencontres au plus haut niveau entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan qui se sont tenus, mais sans jamais aboutir, de par les positions nationalistes antagoniques. L’Arménie s’est imaginée, aveuglée par son oligarchie et les nationalistes arméniens, que la situation en resterait là.

Tous ses efforts tendaient à faire reconnaître progressivement par la communauté internationale, et notamment au Conseil de l’Europe, où siège et l’Arménie et l’Azerbaïdjan, la réalité de l’indépendance du Haut-Karabagh, voire même son rattachement à l’Arménie.

L’ultra-nationalisme azéri à la conquête de l’hégémonie

Le nationalisme azéri avait été initialement broyé par le gouvernement pro-russe, mais il réussit progressivement à prendre le dessus. La première étape fut la victoire des nationalistes azéris aux présidentielles de 1992, avec 64 % pour Aboulfaz Eltchibeï. Celui-ci dut cependant s’enfuir dès 1993 à la suite d’un coup d’État pro-russe mené par Souret Husseïnov, pavant la voie la même année à la présidence pro-russe de l’autocrate Heydar Aliyev, « père de la nation azérie ».

Son fils Ilham Aliyev prit le relais en 2003, qui dans le même esprit clanique pro-russe nomma sa femme vice-président en 2017 et reçut de l’Ordre de gloire et d’honneur, la plus haute décoration de l’Église orthodoxe russe ! Il fut également réélu avec 86 % des voix aux présidentielles de 2018.

Sa démagogie nationaliste est sans limites. Lorsqu’un officier azerbaïdjanais, Ramil Safarov, tua un officier arménien dans son sommeil dans le cadre d’un programme d’études de l’OTAN, il fit en sorte de le rapatrier pour soi-disant qu’il finisse de purger sa peine au pays. Il le libéra alors immédiatement après l’avoir accueilli en héros, le faisant monter en grade, lui payant plus de 8 ans de solde (le temps qu’il avait passé en prison), lui donnant une maison et une décoration.

Le drapeau de l’Azerbaïdjan

Profitant du développement des activités pétrolières et d’une économie (oligarchique et rentière) en expansion grâce au pétrole (formant 80-90 % des revenus), la ligne fut alors d’aller au conflit et cela convergeait avec la dynamique turque.

L’Arménie se retrouvait alors face à une situation totalement nouvelle à la fin des années 2010, avec l’Azerbaïdjan en expansion économique, se militarisant à coups d’investissements massifs bien supérieurs à ceux de l’Arménie, travaillant de concert avec la Turquie, qui reprenait pied dans la région en se rapprochant également de la Géorgie.

Géorgie dont Recep Tayyip Erdogan, le président de la Turquie, a même affirmé qu’il était originaire lors d’une visite officielle dans ce pays, manière de souligner le caractère soi-disant au-delà des ethnies de ses prétentions panturques en direction du Caucase.

L’emblème de l’Azerbaïdjan

La question iranienne et russe

La seule chose qui sauve relativement l’Arménie est la Russie, qui a une puissante présence tant en Arménie qu’en Azerbaïdjan et qui aimerait bien calmer le jeu, même si elle a initialement soutenu l’Arménie au début des années 1990. La Russie se retrouve dans les faits dans une position intenable.

Il y a également l’Iran. De ses 1254 kilomètres de frontière, les 268 km de frontière avec la Turquie, comme les 996 km avec l’Azerbaïdjan, sont fermés. Reste 165km avec la Géorgie et 35 avec l’Iran, dans une région montagneuse difficilement praticable cependant.

L’Iran pourrait être proche de l’Azerbaïdjan, tous deux ayant une population relevant en majorité de l’Islam chiite, mais le 1/3 environ de la population iranienne est azérie et le régime se méfie d’un éventuel expansionnisme azéri.

Le nationaliste azéri Gudrat Hasanguliyev prônait même en 2008 le changement du nom du pays, d’Azerbaïdjan en Azerbaïdjan du nord, sous-entendant qu’il fallait se « réunifier » avec la partie sud, en Iran.

Il faut cependant noter que c’est davantage l’Iran qui attire les Azéris, de par son importante dynamique culturelle et de par la présence de centaines de milliers de personnes relevant de minorités persanes (tels les Talysh), et que le nationalisme azéri préfère se tourner vers la Turquie, en mode « panturc ».

L’Azerbaïdjan a également besoin de l’Iran pour maintenir sa continuité avec le Nakhitchevan, puisque la seule route qui les relie passe aujourd’hui par son territoire. Ceci fait aujourd’hui de Tabriz le nœud où se croisent les échanges en direction de tous ses territoires voisins, entre lesquels la soi-disant « chute du Rideau de fer » a dressé des barrières autrement insurmontables, baignés du sang de peuples que l’élan démocratique du Socialisme avait commencé à unifier.

Comment l’Arménie peut-elle se sortir de sa dramatique situation ?

L’oligarchie arménienne a joué avec le feu et une partie de la diaspora a cédé aux illusions chauvines d’une expansion « naturelle », sans prendre en compte le tracé de l’histoire ni la perspective démocratique historiquement nécessaire.

Maintenant, l’Arménie est au pied du mur. Et sa situation reflète d’ailleurs celles des peuples d’Orient dans leur ensemble, minés par le nationalisme identitaire, qui les atomise jusqu’au génocide des plus vulnérables selon le jeu des circonstances.

Mais les Arméniens, comme leurs voisins, ont plus à partager, plus à construire, plus à élever que d’alimenter cette noire spirale des petits chauvinismes.

Ces petits manipulateurs de l’identité qui dessinent sur des cartes leurs chimères avec le sang des peuples… échoueront devant la démocratie portée par le Socialisme !

Ces petits traîtres empressés de faire des affaires une fois leur position conquise sur le dos des masses… seront punis par les peuples épris de paix et de fraternité !

L’avenir n’appartient pas à la quête de richesse de la part d’une oligarchie corrompue et décadente qui est la seule à jouir des effets de cet effondrement général de la civilisation.

L’Arménie et particulièrement sa jeunesse doivent lever le drapeau de la démocratie en direction de l’Azerbaïdjan et de ses peuples, tout comme les masses azéries doivent rejeter le panturquisme pour se tourner vers l’internationalisme prolétarien !

Tel est le mouvement même de l’histoire, telle est cette certitude qui doit guider la conscience civilisée, telle est la lumière d’une aube nouvelle vers laquelle les peuples de ces pays doivent se tourner et se rassembler. Telle est la promesse, et l’honneur, du Socialisme.