La longue considération de Léon Blum sur la catastrophe néo-socialiste

L’irruption du discours néo-socialiste en plein congrès de la SFIO fut une catastrophe et provoqua une onde de choc terrible. Personne ne pouvait nier qu’une tendance fasciste s’était exprimée historiquement au sein de la SFIO, de manière « naturelle », donnant au fascisme une sorte de validité historique.

Léon Blum ne chercha nullement à cacher les faits, bien au contraire. Il pouvait même agir d’autant plus aisément qu’il était le directeur politique du Populaire et que ses articles en première page indiquait littéralement la ligne à suivre aux lecteurs du quotidien en général et aux membres de la SFIO en général.

Le 14 juillet 1933, le premier jour du congrès, un long article en première page du Populaire consistait ainsi en une dénonciation du concept de « pouvoir total » employé par la « bataille socialiste », présentée comme une preuve d’impatience et une erreur attribuant la toute-puissance à la politique, tout comme du côté participationniste. Il reprit même ce thème le lendemain.

Le congrès, qui s’était déroulé du 14 au 17 juillet 1933, à Paris, marquait cependant une majorité pour la « bataille socialiste ». Léon Blum se vit alors coincer entre l’aile gauche désormais dominante et l’aile droite portée principalement par les néo-socialistes.

Le SFIO risquait de se déchirer, aussi prit-il le parti de présenter les néo-socialistes comme la principale menace, avec la considération qu’une dénonciation de ceux-ci permettraient de maintenir le cadre général de la SFIO.

Léon Blum en 1932

Léon Blum commença ainsi par reprendre la base de ses propos tenus au congrès dans son article Parti de classe et non pas Parti de déclassés, paru dans le Populaire du 19 juillet 1933, abordant ouvertement la question de cette naissance d’un mouvement fasciste au sein même de la SFIO.

« Au Congrès, pendant la séance de dimanche matin, j’ai interrompu de ma place le discours de notre camarade Marquet en laissant échapper cette exclamation : Je suis épouvanté.

Mon « épouvante » n’a pas diminué à la réflexion.

Elle n’a fait que croître, au contraire, à la lecture des commentaires de la presse, dont assurément nos camarades ne sont ni coupables ni comptables, mais que leurs déclarations devaient fatalement susciter.

La nouvelle est maintenant lancée, sensation est maintenant créée dans le grand public, qu’en plein Congrès de la Section Française de l’Internationale le manifeste d’un parti socialiste national – pour ne pas dire national-socialiste – vient d’être défini avec éclat.

Avant d’exprimer mon « épouvante », j’avais manifesté déjà mon inquiétude. Je l’avais fait en trois articles du Populaire, peut-être un peu trop denses, peut-être abstraits et obscurs, mais à travers lesquels il n’était cependant pas difficile de discerner la cause de mes préoccupations.

L’idée du péril fasciste occupe aujourd’hui les esprits.

Rien n’est plus naturel. J’estime pour ma part qu’en ce qui concerne la France, on en parle trop et même qu’on y pense trop. Il est un peu du fascisme comme de la guerre qu’on rend inévitable dès qu’on la considère comme fatale.

On crée ainsi une première habitude, une première accoutumance des esprits. Ceux qui redoutent le plus le fascisme contribuent ainsi à sa propagande secrète en même temps que ceux qui l’appellent. Néanmoins, je le répète, rien n’est plus naturel que cette obsession.

Mais ce que je redoutais, c’est qu’en voulant barrer la route du pouvoir au fascisme, en voulant occuper avant lui le pouvoir, on ne se jetât plus ou moins consciemment à sa suite. C’est qu’en voulant détourner du fascisme sa clientèle possible, on n’en vînt à offrir an même public, par les mêmes moyens de publicité, un produit à peu près analogue.

Je redoutais qu’on transformât ainsi le socialisme, parti de classe, en un parti de déclassés.

Je redoutais qu’en procédant, comme le fascisme, par un rassemblement de masses confuses, en faisant appel, comme lui, à toutes les catégories d’impatiences, de souffrances, d’avidités, on ne noyât l’action de classe du Parti socialiste sous ce flot d’« aventuriers » – aventuriers, bien souvent par misère et par désespérance – qui a porté tour à tour toutes les dictatures de l’histoire.

On ne détruit pas l’idéologie fasciste en la plagiant ou en l’adaptant. Bien du contraire, on la fortifie.

On ne rajeunit pas le socialisme en détruisant toutes les notions organiques et toutes les méthodes de lutte sur lesquelles il repose.

On ne sauve pas les libertés par l’autorité, ou bien on les sauve selon la manière bien connue d’Ugolin qui dévorait ses enfants pour leur conserver un père.

Mon inquiétude, on le voit, était suffisamment justifiée.

Après le discours que j’avais interrompu, j’ai, à mon tour, porté mon « épouvante » à la tribune du Congrès.

Je l’ai expliquée dans un discours trop long sans doute par sa durée et où cependant, me prononçant sur beaucoup de questions différentes, j’étais réduit à trop de concision sur chacune.

J’ai dû procéder par une suite de projections rapides et de formules condensées – formules qu’il était trop facile ensuite d’isoler et d’exploiter. La presse de réaction, venue tout entière à la rescousse, s’est chargée avec empressement de ce travail.

Je demande aux lecteurs du Populaire la permission de reprendre ma démonstration plus à l’aise et, si je puis, plus claire ment, mais sans changer en rien le fond de ma pensée. Les trois articles que j’ai publiés, la semaine dernière me serviront, s’il le faut, de témoins.

Tous nos militants le comprennent : nul problème n’est plus grave, pour le Parti. C’est sa raison d’être qui est en cause. »

C’était là le début d’une vaste campagne de rectification : il fallait éteindre le feu qui allait engloutir la SFIO.

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