La mise en place d’un régime est marquée par deux étapes et c’est cela qui définit le caractère pénal qui prime.
On a, tout d’abord, la période de la prise du pouvoir, avec un affrontement entre révolution et contre-révolution. On a ensuite un régime installé, toujours plus solidement structuré, mais faisant face à des éléments anti-sociaux, consistant en d’anciens irréductibles ou bien en des formes nouvelles issues de la lutte des classes dans le cadre de la construction du socialisme.
Initialement, il y eut à la suite de la révolution de Février 1917 une Direction générale des lieux de détention (GUMZ), avec des inspections pénitentiaires locales.
Cet organisme fut ensuite remplacé en 1918 par le Département pénal central (TsKO), dans le prolongement de la révolution d’Octobre 1917.
La terrible situation économique amena ces prisons à tenter de se diriger vers des activités économiques afin de parvenir à l’auto-suffisance, l’État central n’étant pas encore en mesure de fournir un soutien matériel suffisant à cette administration.
Les évasions étaient nombreuses, il y avait un manque de fonds de roulement, de distribution de ce qui était nécessaire en alimentation et d’équipement, etc.
Pour cette raison, ce fut un échec et il n’était nullement possible de faire confiance à de telles prisons. Avec la guerre civile, des camps naquirent également pour regrouper les éléments anti-sociaux liés directement ou indirectement à la contre-révolution. Il faut ajouter à cela les prisonniers de guerre, au nombre de 2,2 millions de personnes en 1918.
Tout ce système passa sous le contrôle du Commissariat au peuple à la justice, alors qu’en automne 1918, la Commission extraordinaire du gouvernement s’occupa d’un nouveau type de prisons et de camps, d’un niveau de sécurité plus élevée.
On trouve dans ce cadre une nouvelle administration spécifique se surajoutant, du nom d’OPR puis de GUPR – la section puis administration centrale pour les travaux forcés, département du NKVD (Commissariat du peuple aux Affaires intérieures).
En 1920, le Commissariat au peuple à la justice s’occupait de 47 863 détenus, la GUPR de 25 336 ; en 1921 les chiffres étaient de respectivement 55 122 et 51 158 (dont 24 400 prisonniers de guerre).
Le travail devint une norme, afin de parvenir à faire face aux besoins économiques dans une situation de crise totale. Dans les prisons dont s’occupait la GUPR, le taux de détenus travaillant fut de 2 % en 1920, 55 % en 1921, 70% en 1922 (et au même moment de 35 % pour les prisons dépendant du Commissariat au peuple à la justice).
Il y avait le choix de faire basculer l’ensemble vers l’une des deux structures, mais le Commissariat au peuple à la justice ne parvenait pas à gérer ; rien que pour l’été 1922, un dixième des détenus parvint à s’évader. Début juillet, il fut décidé de forcer les choses et de lui faire endosser l’ensemble des responsabilités pénitentiaires, mais à la fin du mois la tendance fut renversée.
La Direction principale des lieux de détention (GUMZ) en tant que département du NKVD (Commissariat du peuple aux Affaires intérieures) s’occupa alors de l’ensemble des prisons et des camps, qui rassemblaient à ce moment-là 80 000 détenus.
Dans la foulée furent démantelés en 1923 les camps de travaux forcés et les camps de concentration formés durant la guerre civile, mais l’OGPU – la Direction politique unifiée d’État – conservait ses propres lieux de détention, concernant environ 10 % des prisonniers.
Il y eut ainsi deux systèmes pénitentiaires : celui des affaires intérieures, celui de l’OGPU chargé de liquider la contre-révolution. Il y avait dans ce cadre notamment le SLON, Severnye lagueria ossobovo naznatchenia, camp du Nord à destination spéciale, dans les Îles Solovki, qui fut la première expérience réelle d’un camp organisé avec en vue l’autosuffisance et la rééducation des prisonniers.
Du côté de l’OGPU, le nombre de prisonniers était d’un peu plus de 20 000, alors que la GUMZ du NKVD, pour la Russie soviétique qui regroupe 60 % de la population, s’occupait de 77 784 personnes en 1924, 122 665 en 1926, 51 000 personnes étant libérées à l’occasion de l’amnistie pour les dix ans d’Octobre 1917.
Les lieux de détention étaient relativement de petite taille, couramment entre 100 et 600 personnes, au grand maximum 2000 personnes. Il y a également des lieux pour des petits groupes, telles les maisons de correction, des colonies pour le travail, etc.
Le travail forcé concernait alors 15 % des prisonniers, s’appuyant principalement sur la résolution Sur l’utilisation des prisonniers dans l’exploitation forestière, prise en 1926 pris par le Conseil économique suprême de la Russie soviétique.
Cela signifiait cependant qu’il y avait un double système, une séparation entre d’un côté ce qui relevait des éléments anti-sociaux propres à la société connaissant une modification radicale de ses fondements et de l’autre des activistes politiques contre-révolutionnaires au sens strict.
Or, une telle perspective n’a plus de sens une fois que le régime est mis en place. Les éléments contre-révolutionnaires sont, par définition, des éléments anti-sociaux, et inversement.
La distinction existe bien entendu, mais elle devient secondaire par rapport à la réalité principale qu’est la société soviétique. Il y a cette dernière, et un secteur tout à fait à l’écart, marginal, portant des comportements, attitudes, activités anti-sociales.
Pour cette raison, la manière de gérer les détenus se modifia et la stricte séparation tomba d’elle-même. À partir de 1928 il fut considéré que les prisons devaient aller à l’autosuffisance, avec à l’arrière-plan la question de la rééducation par le travail, et il y a une montée en puissance du travail forcé, qui concernait à partir de la fin 1929 la majorité des prisonniers, alors qu’on passa en 1930 à un nombre de 179 000 détenus.
Cette perspective fut formulée par le Conseil des commissaires du peuple dans sa résolution au milieu de l’année 1929 Sur l’utilisation du travail des détenus criminels. La GUMZ du NKVD devait s’occuper des prisonniers avec au maximum une condamnation à trois ans de prison et former des Camp de travail pénitentiaire (ITL).
Le reste des détenus passait sous la responsabilité de l’OGPU pour aider à la mise en œuvre de projets contribuant au plan quinquennal. L’organisme de l’OGPU s’occupant de ces grands projets, en 1930, ce fut la Glavnoïé oupravlénié laguéreï, Administration principale des camps, dont l’acronyme est en russe GOULag.