Le problème de fond du Parti Communiste, c’est sa prise de contrôle par un groupe secret s’imaginant œuvrer pour son bien. On trouve à sa tête :
– Henri Barbé, grande figure des Jeunesses Communistes de la région parisienne, activiste ayant dans la seconde partie des années 1930 récolté 18 années de prison et 100 000 francs d’amende et y échappant en devenant parlementaire puis en fuyant en URSS où il travaille au sein de l’Internationale Communiste ;
– Pierre Celor, cadre communiste très engagé contre le colonialisme puis un haut responsable des Jeunesses Communistes, devenant ensuite un des principaux dirigeants devant agir dans l’illégalité en raison de la répression.
Henri Barbé et Pierre Celor étaient de purs produits du mouvement communiste français naissant ; nés tous les deux en 1902, ils représentent une nouvelle génération façonnée par l’ultra-activisme.
Ils sont les dirigeants de fait du Parti Communiste aux côtés de Benoît Frachon (né en 1893) et de Maurice Thorez (né en 1900), ces deux derniers étant absents de la mi-1929 à la mi-1930 en raison de leur emprisonnement.
Henri Barbé et Pierre Celor pensent avoir la ligne juste et prennent toutes les décisions par en haut, établissant un appareil parallèle pour contourner les liaisons habituelles. Cela asphyxiait littéralement la vie intérieure du Parti Communiste qui devient à la fois insupportable et morte.
L’Internationale Communiste s’aperçut en 1930 qu’il y avait un véritable problème et chercha des explications ; il y eut alors une autocritique de la direction, Maurice Thorez apparaissant comme le plus en pointe à ce niveau.
Il formula cela de manière très juste dans une réunion au Comité Central de juillet 1930 :
« On doit lutter contre toutes les méthodes mécaniques et sans affaiblir la lutte contre les déviations opportunistes, réaliser une plus grande démocratie intérieure.
Dans le Parti, chaque ouvrier doit se sentir la possibilité d’émettre son opinion sans qu’immédiatement il soit traité d’opportuniste ou de social-démocrate.
Nous, Comité Central, nous devons dire cela au Parti. »
En juillet 1931, l’Internationale Communiste revint à la charge en ayant cette fois compris l’existence du groupe Barbé-Celor, qui est alors liquidé par le Parti Communiste.
Pierre Celor fut ensuite exclu en 1932, Henri Barbé en 1934 (tous deux deviendront par la suite des catholiques intégristes, fanatiques anticommunistes, Henri Barbé devenant même un activiste de la Collaboration).
Entre-temps, c’est Maurice Thorez qui redressa la barre, se faisant connaître comme le dirigeant du Parti au moyen d’une vaste campagne de rectification menée à travers différents articles dans l’Humanité publiés entre août et septembre 1931 par Maurice Thorez : « Pas de mannequins » le 14 août, « Que les bouches s’ouvrent » le 21 août, « Enfin on va discuter » le 1er septembre, « Jetons la pagaïe » le 23 septembre, alors que s’ouvre une nouvelle rubrique dans l’Humanité : « Sous les feux de la critique ».
Voici comment, le 28 octobre 1931, il caractérisa dans l’Humanité le problème que posait le groupe Barbé-Celor avec l’article « Pour un bon travail de masse – Caractéristiques politiques d’un groupe ‘‘sans principes’’ » :
« De tous les maux dont a souffert le Parti, dans ces dernières années, le moindre ne fut pas le développement dangereux d’un certain « esprit de groupe », – reflet des tendances sectaires ou réaction erronée devant les difficultés, – qui conduisit à un rétrécissement anormal des directions à tous les échelons.
Le Comité Central, dans sa session de mai, signala le danger au Parti. Il exigea formellement la liquidation de l’esprit de groupe et des tendances aux groupes plus ou moins formellement constitués.
En juillet, le Comité Central a constaté, malgré sa résolution de mai, non plus seulement le développement de l’esprit de groupe, mais bien l’existence d’un groupe fermé dont les membres, soumis à la discipline de groupe, se réunissaient en dehors des organismes réguliers du Parti, pour se concerter et déterminer leur attitude commune dans tous les problèmes de la politique du Parti.
Le Comité Central, avec juste raison, considère le groupe comme une des causes essentielles de la régression temporaire de notre mouvement.
L’activité de groupe, en tout temps néfaste au Parti, a été dans la dernière période une lutte sans principes contre les directives pressantes de l’Internationale et contre les justes résolutions du Comité Central sur le tournant.
On doit dire « groupe sans principes » parce que les membres du groupe n’ont jamais formulé ouvertement des opinions nettement opposées aux résolutions du Parti et de l’Internationale Communiste.
Au contraire, ils ont prononcé de nombreux discours les approuvant. Ils ont ainsi trompé le Parti et l’Internationale Communiste en taisant leurs divergences.
Car le groupe, sans plate-forme définie, n’en exprime pas moins un système de conceptions erronées, – que d’autres camarades du Parti partagent ou ont partagées, ce qui les fit agir sous l’impulsion du groupe, – et qu’il convient d’analyser et de réfuter.
L’idéologie de groupe, en général, c’est la méfiance érigée en principe envers les forces de la classe ouvrière et du Parti, c’est l’étroitesse politique qui produit le sectarisme.
Les membres du groupe condamné par le Comité Central nourrissaient en outre leur sectarisme de considérations sur le rôle de la jeunesse.
Ayant tous appartenu à la jeunesse communiste ils « se considéraient comme ayant le monopole de la ligne politique juste. C’était le reflet du manque de confiance dans TOUT le Parti ».
Leur « méfiance sans base politique » s’étendait uniformément à tous les membres du Parti et des directions, avant tout aux militants des syndicats.
Il est clair que se manifeste ici une grave déviation. C’est plus que « l’avant-gardisme », cette erreur de caractère gauchiste qui se croient plus révolutionnaires que leurs frères aînés, membres du Parti.
La déviation du groupe s’apparente plutôt à la conception autrefois développée par Trotsky, pour qui « la jeunesse était le baromètre du Parti ».
Le Comité Central, tout le Parti bolchévik, et aussi la jeunesse communiste de l’Union Soviétique, condamnèrent vigoureusement cette opinion de Trotsky. De même fut condamnée l’erreur analogue de Chatzskine et autres en 1928-1929 (…).
Le groupe se considérait comme prédestinée », et, dès lors, tout son objectif consistait à préparer ou assurer l’exercice de cette prérogative d’un nouveau genre. Une telle suffisance est de nature petite-bourgeoise et n’a rien de communiste.
Cette première déviation des membres du groupe fait comprendre leur activité hostile à l’égard de tous les camarades de la direction qui n’étaient pas du groupe. Elle explique la pratique de désagrégation. »
Le Parti Communiste s’est ainsi bien élancé grâce à la bolchevisation réalisée en 1927-1928, sous l’impulsion de l’Internationale Communiste. Mais le processus a été mal calibré et a produit une ligne opportuniste le gauche, le groupe Barbé-Celor menant le Parti dans le mur en étouffant la vie intérieure, en détruisant les dynamiques idéologiques et en prolongeant un style à la fois syndicaliste révolutionnaire et sectaire.
En 1931, c’est la rectification et c’est Maurice Thorez qui la mène, alors que de nouveaux défis vont s’imposer très rapidement avec la montée du fascisme en France et qui vont révéler que c’est une ligne opportuniste de droite qui succède à celle de gauche.
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