On a chez Aristote une dialectique de l’universel et le particulier : pour définir un particulier, il faut partir d’un universel. Le particulier est la déclinaison de l’universel. Mais cet universel est lui-même particulier, puisque chaque particulier revient à un universel et qu’il existe plusieurs types de particuliers, donc plusieurs types d’universel.
La nature de l’éléphant n’est pas celle de la souris, la table pas celle de la chaise, etc.
Aristote réfute ainsi une lecture idéaliste du particulier et de l’universel, bien connu comme étant développé par Platon avec le principe d’un « monde des idées » où l’on a les modèles idéaux, de types mathématique-numérique, de ce qui existe sur Terre, alors que tout provient d’un « Un » ineffable, inatteignable, parfait, source de tout, etc.
Aristote présente de la manière suivante la question du socle par axiome de la démonstration :
« Il n’est pas nécessaire d’admettre l’existence des Idées, ou d’une Unité séparée de la Multiplicité, pour rendre possible la démonstration. Ce qui est cependant nécessaire, c’est qu’un même attribut puisse être affirmé de plusieurs sujets : sans cela, il n’y aurait pas, en effet, d’universel.
Or s’il n’y a pas d’universel, il n’y aura pas de moyen, ni, par suite, de démonstration. Il faut donc qu’il y ait quelque chose d’un et d’identique qui soit affirmé de la multiplicité des individus, d’une manière non-équivoque. »
Seulement voilà, il ne suffit pas de dire que la nature de l’éléphant n’est pas celle de la souris, la table pas celle de la chaise, etc. Il faut également saisir la différence de nature entre l’éléphant et la table. Aristote insiste particulièrement sur le fait qu’il y a des domaines scientifiques et que ceux-ci se distinguent dans leur étude.
On ne peut pas aborder universellement les sciences particulières, car celles-ci relèvent d’une dignité du réel spécifique. On retrouve ici une très fine dialectique de l’universel et du particulier. Voici un long passage où Aristote traite de la nature du socle matérialiste axiomatique de la démonstration :
« Si une interrogation syllogistique est la même chose qu’une prémisse partant sur l’un des membres d’une contradiction, et si, dans chaque science, il y a des prémisses à partir desquelles le syllogisme qui lui est propre est constitué, il y aura assurément une sorte d’interrogation scientifique, et c’est celle des prémisses qui seront le point de départ du syllogisme approprié qu’on obtient dans chaque science.
Il est, par suite, évident que toute interrogation ne sera pas géométrique ni médicale, et qu’il en sera de même dans les autres sciences : seront seulement géométriques les interrogations à partir desquelles on démontre soit l’un des problèmes qui relèvent de la Géométrie, soit les problèmes qui sont démontrés par les mêmes principes que ceux de la Géométrie, ceux de l’Optique par exemple.
Il en est encore ainsi pour les autres sciences. De ces problèmes le géomètre est fondé à rendre raison, en prenant pour bases les principes géométriques et ses propres conclusions ; par contre, en ce qui concerne les principes eux-mêmes, le géomètre, en tant que géomètre, ne doit pas en rendre raison.
Et cela est vrai aussi pour les autres sciences.
On ne doit donc pas poser à tout savant n’importe quelle interrogation, ni le savant répondre à toute interrogation, sur un sujet quelconque : il faut que les interrogations rentrent dans les limites de la science dont on s’occupe.
Si donc, dans ces limites, on argumente avec un géomètre en tant que géomètre, il est clair que la discussion se fait correctement lorsqu’on part des prémisses géométriques pour démontrer quelque problème ; dans le cas contraire, la discussion ne se fait pas correctement, et on ne peut pas évidemment non plus réfuter le géomètre, si ce n’est par accident.
Il en résulte qu’avec des gens qui ne sont pas géomètres on ne peut pas discuter géométrie, car un mauvais argument passerait inaperçu. Même remarque pour les autres sciences. »
Il est ici une erreur à éviter : celle de penser qu’Aristote découpe les sciences en zones particulières isolées. Cela serait totalement faux. Aristote parle de la confrontation à la réalité.
Mais, en matérialiste, il sait qu’il y a l’étude de la réalité en tant que réalité, dans son mouvement (qu’il étudie dans La physique) et dans sa nature (qu’il étudie dans La métaphysique).