La crise au sein de la social-démocratie allemande fut de nature idéologique et irradia le mouvement social-démocrate dans son ensemble. La crise provoquée par les socialistes français fut d’ordre politique.
Suite à un succès socialiste aux élections municipales de mai 1896, avec 150 majorités municipales (Lille, Roubaix, Toulon, Limoges) et de nombreux élus (Marseille, Lyon, Toulouse, Montpellier, Grenoble), Alexandre Millerand se fit le chef de file d’un courant prônant un soutien aux radicaux.
Il présenta sa stratégie le soir des résultats, lors d’un banquet à Saint-Mandé, aujourd’hui en banlieue parisienne mais alors dépendant de Paris.
Dans un fameux et long discours, il dit notamment :
« En présence de tant d’élus du suffrage universel, auxquels je suis heureux de souhaiter une fraternelle bienvenue, devant le concours de ces mandataires des grandes villes et des communes rurales accourus de tous les points de la France pour porter témoignage de l’irrésistible mouvement qui entraîne la démocratie française, ma pensée se reporte naturellement aux jours de tristesse et d’épreuve, aux batailles et aux défaites qui ont précédé et préparé cette victoire.
Qu’il soit permis à un socialiste, qui, ni par son ancienneté, ni par ses services, n’est un vétéran du parti, de se retourner vers les militants de la première heure, vers les apôtres qui nous ont frayé la voie, et d’incliner l’hommage des nouveaux venus et des jeunes devant les Jules Guesde, les Vaillant, les Paul Brousse, devant la mémoire de Benoît Malon, devant tous ceux qui depuis vingt ans ont incarné et incarnent encore dans leur nom les luttes et les espérances du prolétariat organisé (…).
Citoyens, de tous les champs de bataille où la France socialiste a rencontré la réaction capitaliste, le même cri a jailli, qui nous dicte notre devoir : Union ! Trêve aux querelles d’école, oubli des dissensions intestines ! Contre l’ennemi commun, un seul cœur, un esprit, une seule action ! (…)
Recourir à la force, et pour qui, et contre qui ? Républicains avant tout, nous ne nourrissons point l’idée folle de faire appel au prestige illusoire d’un prétendant ou au sabre d’un dictateur pour faire triompher nos doctrines.
Nous ne nous adressons qu’au suffrage universel ; c’est lui que nous avons l’ambition d’affranchir économiquement et politiquement. Nous ne réclamons que le droit de persuader.
Et personne, j’imagine, ne nous prêtera l’intention bouffonne de recourir à des moyens révolutionnaires contre un Sénat que des ministres radicaux animés d’une volonté moins vacillante eussent suffi à réduire à la raison.
Non, pour réaliser les réformes immédiates susceptibles de soulager le sort de la classe ouvrière et de la rendre aussi plus apte à conquérir elle-même son émancipation, pour commencer dans les conditions déterminées par la nature des choses la socialisation des moyens de production, il est nécessaire et suffisant du parti socialiste de poursuivre par le suffrage universel la conquête des pouvoirs publics. »
Le prolongement direct de cet appel à un mouvement en quelque sorte raisonnable fut son intégration comme ministre du Commerce, de l’Industrie, des Postes et Télégraphes dans le gouvernement Waldeck-Rousseau en juin 1899.
Cette première entrée d’un socialiste dans un gouvernement de la IIIe République, née de l’écrasement de la Commune de Paris, provoqua une onde de choc, surtout que le ministre de la Guerre était pas moins que Gaston de Galliffet, le dirigeant de la répression contre la Commune de Paris.
Ce fut alors le cinquième congrès international de la social-démocratie qui devint l’arène politique quant à cette question.
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