La sincérité nationale de Joachim du Bellay

Joachim du Bellay est parvenu à réaliser une poésie fluide en raison d’un choix très particulier. En effet, il n’a pas été un poète sur le mode des courtisans, il n’a pas fait le choix de Pierre de Ronsard.

Ce dernier fit le choix du « pindarisme », c’est-à-dire d’une tentative de s’orienter par rapport à Pindare poète grec de l’antiquité. Cela donne une orientation vers le sublime, avec une inspiration tellement assumée de manière idéaliste qu’on arrive à des discours somme toute embrouillés esthétisants. Ronsard assumait d’ailleurs entièrement la dimension élitiste de son approche.

Joachim du Bellay n’a pas cette approche. Il préfère dire ce qu’il pense, quitte à passer dans le mauvais goût. Cette sincérité fait que son propos tend à la fluidité et que son absence de prétention le rend sympathique. Il explique d’ailleurs dans les Regrets que :

Je me contenteray de simplement escrire
Ce que la passion seulement me fait dire,
Sans rechercher ailleurs plus graves argument
s.

C’est ce qui explique le succès de son sonnet le plus connu, à la fois intime et fluide, sans ornementation gratuite. Il y a quelque chose de posé, de carré, de très français.

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !

Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m’est une province, et beaucoup davantage ?

Plus me plaît le séjour qu’ont bâti mes aïeux,
Que des palais Romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l’ardoise fine :

Plus mon Loir gaulois, que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,
Et plus que l’air marin la doulceur angevine.

Ce sonnet des Regrets, le trente-neuvième, montre très bien comment du Bellay dit les choses ouvertement, soulignant qu’il n’a pas envie de faire semblant à Rome auprès du Vatican – ce qui le met en porte-à-faux tant avec le catholicisme qu’avec la monarchie de type classiquement féodale. Il met en avant une certaine individualité, une conscience personnelle.

J’ayme la liberté, et languis en service,
Je n’ayme point la Court, et me faut courtiser,
Je n’ayme la feintise, et me faut desguiser,
J’ayme simplicité, et n’apprends que malice :

Je n’adore les biens, et sers à l’avarice,
Je n’ayme les honneurs, et me les faut priser,
Je veulx garder ma foy, et me la faut briser,
Je cherche la vertu et ne trouve que vice :

Je cherche le repos, et trouver ne le puis,
J’embrasse le plaisir, et n’esprouve qu’ennuis,
Je n’ayme à discourir, en raison je me fonde :

J’ay le corps maladif, et me faut voyager,
Je suis né pour la Muse, on me fait mesnager :
Ne suis-je pas (Morel) le plus chétif de monde ?

Ce trente-deuxième sonnet des Regrets témoigne encore que la Rome du Vatican n’est nullement propice à la culture mise en avant par l’humanisme. Du Bellay est d’une franchise complète.

Je me feray savant en la philosophie,
En la mathématique, et médecine aussi :
Je me feray légiste, et d’un plus haut souci
Apprendray les secrets de la théologie :

Du luth et du pinceau j’en esbatray ma vie,
De l’escrime et du bal : je discourois ainsi,
Et me vantois en moy d’apprendre tout ceci,
Quand je changeay la France au sejour d’Italie.

Ô beaux discours humains ! je suis venu si loin,
Pour m’enrichir d’ennuy, de vieillesse, et de soin,
Et perdre en voyageant le meilleur de mon aage.

Ainsi le marinier souvent pour tout trésor
Rapporte des harans en lieu de lingots d’or,
Ayant fait, comme moy, un malheureux voyage.

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