Au moment de l’Édit de Nantes, le pouvoir royal dispose d’une base nationale permise par la naissance d’un marché mis en place par le capitalisme naissant. Il s’élance dans la monarchie absolue par la synthèse nationale, à travers l’administration et l’armée.
Toutefois, autant le catholicisme semble une force sociale toujours plus faible, autant le protestantisme a une base problématique pour la monarchie absolue, dans le cadre français.
Au moment de l’Édit de Nantes, en 1598, la population française est d’à peu près une vingtaine de millions de personnes ; c’est le pays le plus peuplé en Europe. Le français s’impose comme langue nationale : si à Paris 90% des livres étaient écrits en latin en 1501, dès 1550 le français a l’hégémonie dans les publications.
L’affirmation de la langue nationale est d’ailleurs exactement contemporaine de l’émergence du protestantisme en France.
Toutefois, le protestantisme n’a acquis à sa cause qu’un peu plus d’un million de personnes, et ce n’est pas tout : les ¾ se situent au sud de la Loire. En 1670, les bastions protestants sont les « généralités » de Montpellier (202 000 personnes) et de Bordeaux (pratiquement 100 000 personnes), ainsi que de La Rochelle (presque 90 000 personnes), de Grenoble (50 000 personnes) et de Poitiers (50 000 personnes).
Suivent ensuite celles de Montauban (près de 40 000 personnes), de Pau (30 000 personnes), de Toulouse (pratiquement 30 000 personnes), d’Aix (près de 25 000 personnes) et de Limoges (presque 20 000 personnes).
Cela ne rentre pas du tout dans la perspective monarchique, qui voit bien qu’il y a ici une localisation lui étant fort désagréable, puisqu’on a ici une zone protestante dans l’ancien « pays d’Oc » justement subjugué par le pouvoir royal basé dans le « pays d’Oil ».
Les puissances féodales locales restent fortes dans ce pays d’Oc. La petite noblesse est avide de parasiter le pouvoir royal et la bourgeoisie naissante sait se servir des opportunités pour arracher des prérogatives dans le pouvoir local marqué par une forte dynamique urbaine, alors que les masses paysannes restent le plus souvent à l’écart du mouvement.
C’est la grande différence, et d’une importance capitale, avec la révolte hussite, la tempête taborite, la guerre des paysans de Münzer, en Bohème et dans les pays allemands.
Le pouvoir urbain local de la partie sud de la France, marqué par le protestantisme, est ainsi, plus que soumis au roi, dans les mains de la noblesse locale et des magistrats, en étroite relation avec les marchands, les négociants, la noblesse dite de robe, les avocats et les notaires, les médecins et les apothicaires.
Cela explique pourquoi François Ier, puis son fils Henri II, mirent en place une sanglante répression, afin d’écraser à tout prix un mouvement allant dans un sens décentralisateur, justement au moment où la centralisation-unification était mise en place. Il est parlant que la quasi totalité des châteaux construits au XVIe siècle le soit au niveau de la Loire ou dans la partie nord de la France, évitant le sud rebelle.
La répression culmina dans l’épisode de la Saint-Barthélemy, en 1572, mais elle échoua et amena en fait les zones urbaines protestantes du sud à s’unifier en tant que « Provinces-Unies du Midi », aboutissant pratiquement à couper la jeune France en deux.
Ce processus amena, logiquement, l’implosion de l’hégémonie royale fondée sur le principe de centralisation-unification : les villes s’émancipèrent toujours plus, y compris lorsqu’elles sont catholiques. C’est le cas d’Amiens, Troyes, Rennes, Rouen, Auxerre, Lyon, Nantes, Bourges, etc.
Cette tendance désintégratrice culmina dans l’insurrection catholique de la ville de Paris qui passa sous le contrôle du comité des « seize », membres d’une « ligue » catholique s’étant formée avec l’appui de l’Espagne.
La réponse du roi Henri III fut, outre de fuir Paris, de procéder à l’assassinat de deux principaux membres de la famille aristocratique des Guise, qui étaient les chefs de la Ligue catholique en question, en étroit rapport avec l’Espagne catholique et les personnages clefs du massacre de la Saint-Barthélemy.
Henri III est alors lui-même assassiné par un catholique, Jacques Clément. L’arrivée au pouvoir du roi Henri IV va donner naissance à l’Édit de Nantes, compromis général entre les factions catholique, protestante et royale.