Les trois factions lors de l’Édit de Nantes

L’Édit de Nantes est un épisode historique d’une très grande importance dans l’histoire de notre peuple. La France a connu de multiples épisodes de guerres de religion entre catholiques et protestants, et cet édit a été un moment de vivre ensemble particulièrement notable, avant que le protestantisme ne soit ensuite pratiquement définitivement pourchassé et anéanti dans notre pays.

Toutefois, la connaissance de cet épisode historique capital pour le développement culturel de la France exige également de comprendre l’importance de la monarchie absolue, qui s’élance précisément avec François Ier, se développe à travers Henri IV et son Édit de Nantes, pour culminer avec Louis XIV.

Ces trois figures royales sont d’ailleurs et fort logiquement les personnages clefs pour l’Édit de Nantes, puisque celui-ci est un compromis établi en 1598, entre non pas deux forces, mais bien trois forces : à la faction catholique et à la faction protestante, il faut associer la faction royale.

François Quesnel  (1542–1619), Portrait dessiné du roi Henri IV, 1602

Le problème de l’Édit de Nantes est, en effet, qu’il se situe à la croisée des chemins de forces sociales connaissant des développements fondamentalement différents.

Ainsi, l’Église catholique était alors décadente, voire moribonde dans certains secteurs. La corruption généralisée de ses cadres et le manque de niveau culturel ne lui laissaient apparemment pas la possibilité de se maintenir.

À cela s’ajoute qu’un roi français ne pourrait que vouloir s’émanciper de l’influence papale et privilégier une religion s’inscrivant uniquement dans un cadre national. C’est ce qui s’est passé en Angleterre avec l’instauration de l’anglicanisme comme religion officielle.

Les protestants savaient tout cela et espéraient que, rapidement et à travers l’Édit de Nantes, ils obtiendraient d’abord l’hégémonie et ensuite la main-mise générale.

Ils n’avaient pas pensé alors, ce qui fut une grossière erreur, que le pouvoir royal pouvait tout autant asseoir son pouvoir national en procédant à la liquidation des protestants, s’émancipant paradoxalement du pouvoir papal dans la mesure où il systématise son intervention en ce domaine, prenant les commandes des mesures religieuses.

Le pouvoir du pape était forcément mis de côté pour toute une période si le pouvoir du roi prenait l’initiative religieuse, même si c’était en faveur du catholicisme. C’était là un renversement dialectique tout à fait cohérent.

Jacob Bunel  (1585–1614),
Portait d’Henri IV en Mars, vers 1605-1606

À cela s’ajoute que la monarchie absolue était justement une tendance historique d’une grande signification en France, disposant de toute une série de leviers, notamment avec la formation par la bourgeoisie d’un marché unique significatif et donc d’un cadre national, que l’administration royale s’est empressée d’encadrer à tous les niveaux. La bourgeoisie naissante profitait de cela et était liée organiquement à la monarchie absolue en développement.

Du côté protestant, la menace ne venait donc pas tant du catholicisme que du roi. Le problème ici est que l’Eglise catholique l’avait quant à elle compris, et elle a systématiquement protégé le roi d’une éventuelle emprise protestante. L’Église catholique française a associé son destin à lui.

La monarchie absolue française se développant coûte que coûte, le catholicisme accepta une mise sous tutelle qu’elle considérait comme un compromis historique et temporaire.

C’est particulièrement visible dans les polémiques et disputes qui changèrent de ton du côté catholique au moment de l’Édit de Nantes : les protestants n’étaient plus insultés, mais présentés comme étant à plaindre, le père jésuite Cotton appelant même Jean Calvin « monsieur », le tout permettant aux jésuites qui profitaient de leur décennie d’études dans des écoles de haut niveau de vaincre sans coup férir des pasteurs formés à la va-vite, notamment en les attirant sur le terrain peu connu par eux des textes des Pères de l’Église.

Jean Calvin

Puis, dès la mort de Henri IV, qui avait instauré l’Édit de Nantes, le processus de guerre de religion pouvait se réenclencher de manière toujours plus ouverte, la monarchie ayant finalement fait un choix simplement pragmatique.

Il n’y avait alors pour l’Eglise qu’à attendre la fin de ce cycle et, de fait, elle fut totalement gagnante lorsque la monarchie absolue rentra en décadence, vers la fin du régime de Louis XIV. Un historien bourgeois a ici bien résumé ce qui s’est déroulé avec l’Édit de Nantes :

« La situation, qui fut fixée désormais aux réformés français, acheva leur défaite: l’Edit de Nantes se referma sur eux comme un tombeau.

À la faveur de cet Édit s’établirent des conditions politiques et sociales, des moeurs, une politesse, une mondanité, un culte monarchique et des goûts intellectuels qui tuèrent une seconde fois, mieux que ne le feront les impuissantes dragonnades, l’âme d’Anne du Bourg, le Martyr, et l’esprit de Calvin, le Maître. »

Fortunat Strowski, Pascal et son temps

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