La tendance favorable à l’adhésion immédiate à l’Internationale Communiste est représentée par Marcel Cachin et Ludovic-Oscar Frossard. Ils forment le noyau dur de la nouvelle direction qui a émergé en 1918.
Ludovic-Oscar Frossard est le nouveau secrétaire, remplaçant Louis Dubreuilh qui était à ce poste depuis la fondation du Parti en 1905. Marcel Cachin dirige le quotidien, l’Humanité, remplaçant Pierre Renaudel, en poste depuis 1914 et l’assassinat de Jean Jaurès.
Ils ont été à Moscou au second congrès de l’Internationale Communiste en juillet 1920 ; s’ils n’ont pas pu y assister en entier – ratant la question de l’organisation, avec les 21 conditions – ils ont été très impressionnés. Pour eux, l’adhésion à l’Internationale Communiste relève de l’inéluctable.
Il ne s’agit pas d’une adhésion au bolchevisme, mais d’un raisonnement implacable : le passé a montré les limites d’une ancienne forme, certains ont réussi à débloquer la situation, il faut en être.
Ludovic-Oscar Frossard résume tout à fait ce pragmatisme en disant au congrès de Tours :
« La IIe Internationale est morte, non parce qu’elle n’a pas empêché la guerre, mais parce qu’elle a oublié pendant la guerre le devoir précis qui lui incombait. (Vifs applaudissements.)
La faillite de la IIe Internationale, ce n’est pas au 2 août 1914 qu’elle commence. S’il y a eu faillite ce jour-là, c’est celle du prolétariat international. (Applaudissements.) »
Marcel Cachin, qui a été pour l’Union Sacrée en 1914, ne dit pas autre chose. S’il est d’une immense ferveur lorsqu’il parle de la Russie soviétique qu’il a visitée, son regard reste pragmatique : il faut selon lui suivre les bolcheviks, car ils ont réussi.
C’est une réduction techniciste du bolchevisme qui est absolument typique en France : au congrès de Tours, tout le monde voit les bolcheviks comme des socialistes implacables dans l’organisation et les décisions, et certains trouvent cela bien, d’autres mal.
Marcel Cachin trouve cela bien, ce qu’il dit au congrès reflète parfaitement une incompréhension complète du principe de combat idéologique, de direction idéologique, au profit d’une lecture en terme de « dureté » :
« Je sais quels sont les procédés de violente polémique des révolutionnaires de Russie. Ils ne les emploient pas spécialement contre nous ; ils les ont employés contre eux-mêmes traditionnellement, si j’ose dire.
Il serait très aisé de retrouver dans leurs journaux des outrages du même genre, peut-être pis encore, contre ceux qui jouent le rôle le plus éminent dans la Révolution présente.
J’avoue qu’à notre premier contact et à la première lecture de leur littérature, certaines expressions me choquaient aussi.
Et j’avoue qu’à l’heure actuelle – vous en penserez ce que vous voudrez – à l’habitude de cette lecture j’ai pris celle de ne pas m’attacher à quelques expressions brutales, à quelques violences verbales.
J’ai pris cette habitude parce que je sais que si ces hommes ont employé contre un grand nombre de socialistes des violences souvent injustes, ils ne l’ont fait que pour assurer un recrutement de plus en plus rigoureux, vigoureux, énergique, pour la bataille et pour l’action.
Ce n’était pas seulement pour le plaisir d’outrager ou de violenter, comme vous les savez.
Vous savez comment ils ont sélectionné leur parti, comment ils l’ont composé, de quelle façon brutale ils ont en effet chassé un certain nombre de ceux sur lesquels ils ne croyaient pas pouvoir compter d’une façon absolue pour leur action.
Mais vous avez vu aussi qu’au terme de l’histoire de ce parti ils ont accompli – confessez-le – le plus grand geste de l’histoire moderne. »
Marcel Cachin insiste d’ailleurs sur le fait que le bolchevisme a été capable de mettre les masses en mouvements pour des initiatives, malgré les terribles conditions. Il ne comprend strictement rien au fait que tout relève de décisions idéologiques – pour lui, tout est décidé sur le tas, en raison des situations, afin de simplement faire face.
Pour lui, le bolchevisme a établi une machinerie destinée à vaincre :
« Le Parti russe a su, au cours de sa longue et tragique histoire, se forger une discipline qui lui a assuré la victoire, il y a trois ans ; c’est encore sa méthode ferme et énergique, à laquelle se soumettent volontairement ses militants depuis les plus obscurs jusqu’aux plus éminents, qui lui garantit sa puissance actuelle.
Il sait utiliser les valeurs. Il peut disposer de tous ses membres pour leur commander les besognes les plus périlleuses, et nul ne peut ni ne veut se soustraire aux obligations qu’il a librement consenties.
Dans cette période de guerre civile et de guerre étrangère qui lui sont imposées depuis trois années, le nombre de victimes bénévoles du Parti bolcheviste est extrêmement élevé. Ils se sont habitués à sacrifier pour répondre à l’appel de l’organisation, non seulement leurs habitudes, leurs intérêts, leurs familles mêmes, mais leur vie elle-même lorsque les circonstances l’exigent.
Je ne dis pas que nous soyons à la veille, en notre pays, de dresser une organisation aussi parfaite ; il est temps tout de même que nous fassions un grand effort en cette voie. »
Cette lecture tout à fait erronée va de pair avec une vraie volonté de voir le socialisme triompher. Son élan est tel qu’après son discours au congrès de Tours, de nombreuses demandes arrivent au bureau du congrès pour que celui-ci soit édité en brochure, ce qui est immédiatement décidé à la fin de la prise de parole.
Cette décision sera répétée plusieurs fois par la suite dans le congrès, mais le fait est que le discours de Marcel Cachin a véritablement donné le ton du côté des partisans de la IIIe Internationale.
On a un bon aperçu de ce sentimentalisme révolutionnaire, mêlant ferveur et espoir, authenticité et idéalisme, dans ce qu’il écrit en août dans son carnet, alors qu’il avait été en Russie en avril 1917 initialement pour demander que celle-ci continue la guerre :
« Il faut agir dans le sens de Moscou, car d’abord ils ont montré le chemin et ont déjà accompli une moitié de leur tâche, celle qui est la moins aisée, la destruction du régime de l’argent. Et d’avoir agi leur confère un prestige immense et légitime. Puis, ils sont restés dans la tradition révolutionnaire des temps modernes.
Ils sont nourris de la révolution française. Et ils sont nourris de Marx, d’Engels, des enseignements de la Commune. Ils sont la vie, l’avenir : ils ont frayé une voie nouvelle à l’humanité. Sans faiblir, sans fléchir, une voie farouche, ils vont de l’avant ».