La découverte protestante de la tragédie eut immédiatement une réponse de la part de la Pléiade, le groupe de poètes dont la figure tutélaire est Pierre de Ronsard et dont le choix fut de soutenir le régime.
La seconde tragédie écrite en français fut ainsi la Cléopâtre captive d’Étienne Jodelle (1532-1573), lui-même un farouche anti-protestant. Sa position, ainsi que celle de la Pléiade, était par contre davantage liée à la monarchie absolue qu’au catholicisme.
La Cléopâtre captive fut ainsi représentée en 1552 à l’hôtel de Reims puis en 1553 au Collège de Boncourt à Paris, aménagé en théâtre à l’antique devant le roi Henri II. Dans la foulée, Étienne Jodelle et les poètes de la Pléiade – que Pierre de Ronsard appelle encore la « brigade » – organisent une sorte de cérémonie païenne qu’ils appellent la « Pompe du bouc », sur un site antique à Arcueil appelé pour l’occasion Hercueil.
Vêtus de toges et de couronnes de lierres, les participants y déclamèrent des pseudo-chants religieux grecs (dithyrambes) et des pseudo-complaintes (les élégies), faisant monter sur un autel un bouc trouvé non loin qu’ils recouvrirent de diverses fleurs.
On comprend bien que la tragédie qu’on va retrouver ici est d’un esprit absolument opposé à la démarche protestante. Il s’agit ici, en quelque sorte, de faire de l’art pour l’art, en reprenant des modèles gréco-romains.
La Cléopâtre captive a ainsi un thème absolument laïc, puisqu’on retrouve la reine égyptienne (joué par le futur poète de la Pléiade Rémy Belleau), avec les chefs romains Antoine et Octave.
Étienne Jodelle a repris le thème à Plutarque, avec sa Vie d’Antoine ; dans l’esprit poétique lancé par le groupe de la brigade qui va être celui de la Pléiade, il utilise des alexandrins et des décasyllabes (respectivement douze et dix syllabes pour chaque vers), sauf pour les vers des chœurs, qui varient quant à eux.
On a une œuvre lyrique, très orchestrée avec cinq actes découpant les moments (points de vue initiaux, péripétie, retournement de situation à la fin), avec des chœurs dialoguant avec les personnages. Mais elle est bornée : on sait ce qui va se passer, on a une scène mais pas réellement de psychologie tourmentée, simplement de la souffrance.
On a ici une mise en valeur du stoïcisme, mais sans la dimension chrétienne comme dans la tragédie protestante de Théodore de Bèze et André de Rivaudeau. Pour cette raison, et avec une conception de l’humanisme largement incorrecte, les commentateurs bourgeois ont parlé de la formation d’une « tragédie humaniste ».
Il s’agit ici en fait d’une perspective correspondant à celle de la Renaissance, dans la mesure où l’on n’a pas un humanisme qui croit en l’être humain comme étant bon et rationnel, mais bien une perspective philosophique pessimiste, largement influencé par le christianisme.
Ce qui est à l’arrière-plan, c’est le stoïcisme de Sénèque (4 av. J.-C. à 65 ap. J.-C.), qui fut précepteur de Néron et écrivit des tragédies à portée philosophique, montrant des exemples affreux de vices et enthousiasmants de bonnes actions, c’est-à-dire d’actions vertueuses.
On est là pas tant dans la psychologie, malgré les tourments et les souffrances, que dans une philosophie du comportement propre à l’esprit romain ou chrétien. C’est ce qui rapproche la tragédie « protestante » de cette tragédie « humaniste ».
D’autres œuvres se situent dans la même perspective qu’Étienne Jodelle : en 1572, on a ainsi Saül le furieux de Jean de La Taille de Bondaroy (1533?-1616?), qui montre l’échec du premier roi israélite, qui va être remplacé par David. Voici comment l’auteur résume son approche (l’orthographe est en partie modernisée pour la compréhension) :
« La Tragédie donc est une espèce, et un genre de Poésie non vulgaire, mais autant élégant, beau et excellent qu’il est possible.
Son vrai sujet ne traite que de piteuses ruines des grands Seigneurs, que des inconstances de Fortune, que bannissements, guerres, pestes, famines, captivité, exécrables cruautés des Tyrans : et bref, que larmes et misères extrêmes, et non point de choses qui arrivent tous les jours naturellement et par raison commune, comme d’un qui mourrait de sa propre mort, d’un qui serait tué de son ennemi, ou d’un qui serait condamné à mourir par les lois, et pour ses démérites : car tout cela n’émouvrait pas aisément, et à peine m’arracherait il une larme de l’oeil, vue que la vraie et seule intention d’une Tragédie est d’émouvoir et de poindre merveilleusement les affections d’un chacun, car il faut que le sujet en soit si pitoyable et poignant de soi, qu’étant mêmes en bref et nument [de manière nue, simplement] dit, engendre en nous quelque passion : comme qui vous conterait d’un à qui l’on fit malheureusement manger ses propres fils, de sorte que le Père (sans le savoir) servit de sépulcre à ses enfants : et d’un autre, qui ne pouvant trouver un bourreau pour finir ses jours et ses maux, fut contraint de faire ce piteux office de sa propre main. »
En 1578, on a également César, de Jacques Grévin (1538-1570), où la femme de César fait un rêve prémonitoire et tente d’empêcher César d’aller au Sénat où Brutus l’assassinera effectivement. Le but est donner une leçon en utilisant l’émotion, et de montrer des comportements vertueux, en calquant ou reprenant les exemples sur les œuvres gréco-romaines ou la Bible.