La vie dans la métropole impérialiste mise à nue par la pandémie

[Crise numéro 9, février 2021]

La pandémie a mis à nu la base de la vie dans la métropole impérialiste, avec le fait que sans la consommation, les gens sont perdus car livrés à eux-mêmes. Incapables de s’orienter par eux-même pour la plupart, ils sombrent dans la dépression, au point que la France connaît en janvier 2021 une rupture de stocks d’anxiolytiques.

C’est bien en cela que la crise générale du capitalisme s’exprime ici. D’un côté, l’expansion du capitalisme dérègle le rapport de l’humanité à la nature, produisant une pandémie. De l’autre, la pandémie agit sur sa source en apportant une perturbation terrible.

Comment le capitalisme s’est insidieusement installé

Le capitalisme s’installe sans que les gens ne possèdent de recul suffisant pour comprendre le sens de cette installation ; prisonniers de la consommation capitaliste, ils participent à l’enracinement d’un mode de production à tous les niveaux de la vie, sans s’en apercevoir.

Un excellent exemple est l’extension du réseau routier en France accompagnant l’expansion de la consommation d’automobiles. Le nombre de morts et de blessés a connu une croissance vertigineuse associée au développement du capitalisme en ce domaine, sans que cela soit dénoncé ou remarqué. Il était en même temps parlé du nombre de morts du contingent en Algérie française, mais celui-ci était pourtant inférieur.

AnnéeNombre d’accidentsNombre de blessésNombre de tués
194925 24722 0002 878
1955140 232147 5518 058
1967215 470302 24512 696
1972259 954386 87418 034

Cette installation du capitalisme a d’autant plus été accepté que l’accès à l’automobile a été un progrès matériel sur le plan pratique, que les automobiles se sont améliorés, ainsi que la sécurité routière. Cela a été un long processus, s’étalant sur plusieurs décennies. Cependant, cela a largement suffi pour qu’il n’y ait aucune remise en cause par les masses tant du réseau routier que de son extension, tant des automobiles que des accidents.

AnnéeNombre d’accidentsNombre de blessésNombre de tués
1979242 975335 90412 197
1984199 454282 48511 525
2000121 223162 1177 643
201956 01970 4903 244

Le modèle américain

Ce qui est vrai pour l’installation du parc automobile et du réseau routier est vrai pour l’ensemble des marchandises. Les différents marchés capitalistes se sont non seulement développés, mais ils se sont en plus répondus les uns aux autres. Cela est vrai à l’intérieur des pays, mais également entre les pays, et encore davantage avec l’instauration de la Communauté européenne et l’intégration de la Chine devenue social-fasciste dans le marché capitaliste international.

Le problème de fond, très facile à comprendre et immédiatement remarquée par l’Internationale Communiste dès sa fondation à la suite de la révolution russe, c’est que les États-Unis d’Amérique n’ont initialement pas été touchés par la première crise générale du capitalisme. En profitant de la modernisation productive (le « fordisme »), ils ont pu s’imposer comme la principale force impérialiste et ont contribué à relancer le capitalisme alors tellement à sec qu’il se précipitait dans la guerre mondiale.

Le mode de vie américain s’est généralisé, avec une consommation présente à tous les niveaux de l’existence, avec tout choix trouvant la possibilité de se réaliser par la consommation. Exister, c’est consommer de telle ou telle manière, un nombre incroyable de marchés se proposant pour satisfaire des goûts d’autant plus multiples que la différence, la différenciation, l’isolement individualiste sont promus par le capitalisme.

Cela représente un saut qualitatif pour le capitalisme, car davantage de marchés capitalistes dans une société, c’est autant d’échos en plus dans le circulation des capitaux et des marchandises. On a alors un cercle en apparence vertueux pour le capitalisme, qui semble toujours s’en sortir, avec une capacité perpétuelle de se récupérer et de récupérer les oppositions.

Avec davantage de capitaux, il y a la capacité d’utiliser de plus en plus d’initiatives venant d’en bas, de récupérer pour le capitalisme toutes les idées, toutes les actions. La capacité du capitalisme à intégrer en son sein même des formes rebelles comme le hip hop, le punk, le grunge… est bien connue.

Le 24 heures sur 24 du capitalisme

C’est ainsi que s’est formé le 24 heures sur 24 du capitalisme, à partir des années 1960, pour se généraliser toujours davantage jusqu’au début du 21e siècle, avec de nombreux secteurs des masses des pays impérialistes se faisant corrompre.

La Fraction Armée Rouge constate en 1972 que :

« La définition du sujet révolutionnaire à partir de l’analyse du système, avec la reconnaissance que les peuples du tiers-monde sont l’avant-garde, et avec l’utilisation du concept de Lénine d’« aristocratie ouvrière » pour les masses dans les métropoles, n’est pas périmée et terminée.

Au contraire, elle ne fait même que commencer. La situation d’exploitation des masses dans les métropoles n’est plus couvert par seulement le concept de Marx de travailleur salarié, dont on tire la plus-value dans la production.

Le fait est que l’exploitation dans le domaine de la production a pris une forme jamais atteinte de charge physique, un degré jamais atteint de charge psychique, avec l’éparpillement plus avancé du travail s’est produite et développée une terrifiante augmentation de l’intensité du travail. L

e fait est qu’à partir de cela, la mise en place des huit heures de travail quotidiennes – le présupposé pour l’augmentation de l’intensité du travail – le système s’est rendu maître de l’ensemble du temps libre des gens.

À leur exploitation physique dans l’entreprise s’est ajoutée l’exploitation de leurs sentiments et de leurs pensées, de leurs souhaits et de leurs utopies – au despotisme des capitalistes dans l’entreprise s’est ajouté le despotisme des capitalistes dans tous les domaines de la vie, par la consommation de masse et les médias de masse.

Avec la mise en place de la journée de huit heures, les 24 heures journalières de la domination du système sur les travailleurs a commencé sa marche victorieuse – avec l’établissement d’une capacité d’achats de masse et la « pointe des revenus », le système a commencé sa marche victorieuse sur les plans, les besoins, les alternatives, la fantaisie, la spontanéité, bref : de tout l’être humain !

Le système a réussi à faire en sorte que dans les métropoles, les masses sont tellement plongées dans leur propre saleté, qu’elles semblent avoir dans une large mesure perdu le sentiment de leur situation comme exploitées et opprimées.

Cela, de telle manière qu’elles prennent en compte, acceptant cela tacitement, tout crime du système, pour la voiture, quelques fringues, une assurance-vie et un crédit immobilier, qu’elles ne peuvent pratiquement rien se représenter et souhaiter d’autre qu’une voiture, un voyage de vacances, une baignoire carrelée.

Il se conclut de cela cependant que le sujet révolutionnaire est quiconque se libère de ces encadrements et qui refuse de participer aux crimes du système. Que quiconque trouve son identité dans la lutte de libération des peuples du tiers-monde, quiconque refuse de participer, quiconque ne participe plus, est un sujet révolutionnaire – un camarade.

De là il s’avère que nous devons analyser la journée de 24 heures du système impérialiste.

Qu’il nous fait présenter pour chaque domaine de la vie et du travail comment la ponction de la plus-value se déroule, comment il y a un rapport avec l’exploitation dans l’entreprise, car c’est précisément la question.

Avec comme postulat : le sujet révolutionnaire de l’impérialisme dans les métropoles est l’être humain dont la journée de 24 heures est sous le diktat, sous le patronage du système.

Nous ne voulons pas élargir le cadre où doit être réalisée l’analyse de classe – nous ne prétendons pas que le postulat soit déjà l’analyse.

Le fait est que ni Marx ni Lénine ni Rosa Luxembourg ni Mao n’ont eu à faire au lecteur du [journal populiste à gros tirage] Bild, au téléspectateur, au conducteur de voiture, à l’écolier psychologiquement formaté, à la réforme universitaire, à la publicité, à la radio, à la vente par correspondance, aux plans d’épargne logement, à la « qualité de la vie », etc.

Le fait est que le système se reproduit dans les métropoles par son offensive continue sur la psyché des gens, et justement pas de manière ouvertement fasciste, mais par le marché.

Considérer pour cela que des couches entières de la population sont mortes pour la lutte anti-impérialiste, parce qu’on ne peut pas les caser dans l’analyse du capitalisme de Marx, est pour autant délirant, sectaire comme non-marxiste.

Ce n’est que si l’on arrive à amener la journée de 24 heures au concept impérialiste / anti-impérialiste que l’on peut parvenir à formuler et à présenter les problèmes concrets des gens, de telle manière qu’ils nous comprennent. »

L’ennui, la laideur, l’anxiété, l’angoisse
dans un espace urbain aliénant

Le 24 heures sur 24 du capitalisme ne permet aucun temps mort et pourtant la capacité à consommer est limitée, sans compter que les bonheurs relèvent du consommables : ils sont éphémères, il faut les renouveler constamment et ainsi avoir les moyens de les renouveler. Or, l’acquisition d’argent pour la consommation implique de participer à la production, qui est bien plus épuisante psychiquement et physiquement qu’auparavant. Le travail épuise les nerfs, la consommation est superficielle sur le plan humain, il s’ensuit une déprime exprimant une certaine conscience de vivre dans une course folle.

C’est que cela se déroule dans un environnement façonné par le capitalisme.

Les villes et les campagnes sont, au début du 21e siècle, entièrement façonnés par le capitalisme.

S’il existe des décisions au niveau des États, des régions, des communes, s’il y a bien un rôle pour les architectes, s’il y a bien une réflexion de la part des urbanistes, s’il existe même des paysagistes, c’est en dernier ressort le mode de production capitaliste qui décide de la tendance générale.

L’habitat répond, dans sa substance même, entièrement aux exigences, à la terreur de la consommation du capitalisme. Un habitat est avant tout un lieu où vit un consommateur et il doit être en mesure de consommer sur cette base. Et cet habitat est défini par lui-même par sa capacité à consommer.

Les bourgeois des centre-villes peuvent se permettre de vivre là, car ils consomment et que leur propre habitat relève de la consommation. Inversement, le prolétariat se fait placer en périphérie, puisque de toutes façons sa consommation est elle-même périphérique.

L’habitat répond cependant également entièrement aux exigences de production du capitalisme. Il faut que le personnel nécessaire à la production soit à disposition. Là encore, il y a une différence entre la Défense comme pôle de décision et les usines de Picardie, entre les périphéries lieux de production et de diffusion des marchandises et des centres focalisés sur la distribution des marchandises.

L’espace urbain maximalise les potentialités de la production et de la consommation et chaque personne doit suivre, se plier, s’adapter, quitte à être broyé. Une fuite n’est pas possible de par les exigences d’un capitalisme qui tourne et qui ne laissent personne à l’écart.

Les villes deviennent ainsi toujours plus laides, les campagnes se vident, tout se dégrade, alors que l’angoisse apparaît inéluctablement comme émotion pour quiconque cherche à se projeter dans un tel environnement.

Cette anxiété produit, tant dans les villes que les campagnes, la fuite dans les jeux d’argent, les drogues, le sado-masochisme, l’idéologie LGBT, l’émigration. Or, tout cela est également une fuite de type capitaliste : c’est simplement un changement de marché, un changement de terrain de la production et de la consommation. Et cela ne modifie pas la laideur générale que produit le capitalisme développé, où une ville comme Dubaï a plus de statut que Prague.

Et encore est-ce là raisonner en termes locaux. Si l’on se déplace dans le pays, on voit à quel point tout se dégrade sans commune mesure, avec un étalement urbain progressant en France de 165 hectares par jour (et bien moins en Belgique pour des raisons géographiques et historiques).

La laideur des réalisations capitalistes entièrement décidées par les intérêts du capital et le mauvais goût de couches dominantes décadents défigure absolument tout le pays, empêchant de trouver sa place et produisant une quête romantique anticapitaliste nihiliste, par absence de compréhension de la lutte des classes et du matérialisme dialectique.

Le piège de la petite propriété

Les villes et les campagnes subissent ainsi de plein fouet la contradiction entre la production et la consommation existante dans le capitalisme. Les intérêts de la production ne sont pas nécessairement ceux de la consommation et inversement.

On arrive alors à une géographie en générale façonnée par les échanges et des zones de vie où les gens sont soit isolés les uns des autres, soit les uns sur les autres. La pandémie se développe en raison de cette accumulation de gens dans le béton, ou bien en raison des échanges à travers un pays entièrement structuré par les échanges capitalistes.

De plus, tout se déroule dans le chaos du marché, même s’il y a des interventions des institutions, qui sont de toutes façons par la rapidité de l’évolution du marché.

Et, surtout, le capitalisme transporte des valeurs amenant à une valorisation, une généralisation de la petite propriété. Pratiquement 60 % des Français sont propriétaires de leurs logements, 72 % en Belgique.

Cela fait que si une minorité peut accuser les propriétaires de leur logement de leur situation insupportable de locataires, la majorité ne peut s’en prendre qu’à elle-même. C’est toutefois au-delà de ses forces, tellement elle est prisonnière de la course capitaliste.

La pandémie met à nu le quotidien
dans la métropole impérialiste

Le 24 heures sur 24 du capitalisme a été fortement perturbé par la pandémie et les gens se sont retrouvés désemparés. Ils ont montré qu’ils n’étaient pas capables d’autonomie, qu’ils attendaient passivement ce que le capitalisme est capable de leur proposer en termes culturels.

Il y aurait pu y avoir un grand retour à la lecture de classiques de la littérature, un vaste passage à des activités comme le dessin, la peinture, l’écriture. Rien de tout cela n’a eu lieu, car cela n’est pas possible pour des gens formatés à consommer et à vivre par la consommation.

Comment un propriétaire, qui est de ce fait impliqué lui-même dans le fonctionnement du capitalisme, dans son succès, peut-il résister à la terrible pression produite par la pandémie ? C’est tout simplement impossible.

Et si on ajoute à cela ceux qui veulent accéder à la propriété, on a une grande majorité de la population.

Bien entendu, on parle ici le plus souvent de ce qui forme une vaste petite-bourgeoisie, ou bien de couches populaires cherchant à accéder à un mode de vie ouvertement petit-bourgeois.

Derrière, il y a un besoin de sécurité, recherché individuellement par la méfiance, l’absence de confiance ou le refus d’une sortie collective aux problèmes posés par le capitalisme.

Cela ne change cependant pas le problème de fond : les gens se sont engagés dans le capitalisme et ils se retrouvent piégés. Il faudrait une classe ouvrière capable d’une mobilisation générale crédible pour être capable d’arracher la petite-bourgeoisie à ses fétiches.

La question collective

Le 24 heures sur 24 du capitalisme a toujours connu des éléments capables de critiques et le désespoir d’une vie quotidienne au ralenti n’a pas touché certains secteurs. Une minorité a compris que cette course capitaliste était insensée, qu’elle était vaine, qu’on gâche sa vie dans un tel système où l’on est subordonné à la production afin de satisfaire une consommation superficielle.

Cependant, sans orientation de classe, cela aboutit en initiatives qui immanquablement s’inscriront dans le capitalisme.

De plus, cela passe à côté du problème central. Le capitalisme défigure la nature et la pandémie a révélé que les espaces de la métropole impérialiste sont ingérables. Soit les hôpitaux sont trop loin, soit ils sont surchargés, alors que les logements s’avèrent largement inaptes pour qu’on y vive de manière prolongée.

C’est qu’en fait la dimension collective est entièrement absente du capitalisme et, lorsque la pandémie a fait que l’accès systématique à la consommation capitaliste a été affaiblie, les individus atomisés ont été livrés à eux-mêmes et c’est alors l’explosion, ou plus exactement l’implosion.

D’où les comportements individualistes, relativistes, notamment dans la petite-bourgeoisie au mot d’ordre de « fêtes » et de « libertés ». Mais la pandémie n’est pas terminée et le mode de production capitaliste apparaît alors comme incapable de faire face à une question collective.

Le mode de production capitaliste, en ayant façonné les gens à son image, n’est plus en mesure de puiser un sens du collectif qu’il pourrait utiliser de manière pragmatique pour s’en sortir.

Ce n’est pas le cas en Chine, car c’est un pays social-fasciste, sur la base d’un capitalisme monopoliste d’État conséquent à la prise du pouvoir des révisionnistes en 1976 à la mort de Mao Zedong. C’est un régime construit par en-haut et il est encore en mesure de prendre des décisions par en-haut, malgré la bureaucratisation généralisée et un capitalisme ultra-violent s’appuyant sur de très puissants monopoles.

Cela produira immanquablement une contradiction en Chine, entre la dimension collective de l’intervention dans la pandémie et sa gestion uniformisée, de type terroriste, par en haut. Inversement, dans les pays impérialistes où le capitalisme s’est développé sans entraves, la contradiction est celle entre des individus atomisés par la vie quotidienne dans le 24 heures sur 24 du capitalisme et les exigences historiques de collectivisme face à la pandémie.

Et c’est là un aspect seulement de la crise générale du capitalisme où les défis sur la table – réchauffement climatique, protection de la nature, condition animale, possibilités d’épanouissement personnel – sont innombrables.