L’appel antiguerre du 22 mai 1932 et le congrès d’Amsterdam

Le Parti Communiste Français se sort de sa difficile situation en 1932 grâce à une initiative qui, bien entendu, trouve sa base dans l’Internationale Communiste.

Le 22 mai 1932 en effet, les écrivains Henri Barbusse et Romain Rolland publient un appel antiguerre dans l’Humanité, mettant en avant la conception d’un congrès en ce sens. Voici cet appel :

« Pendant que la Conférence du Désarmement battait son plein à Genève le Japon s’est jeté sur le continent asiatique. Il a massacré à Chapeï une immense population innocente. Il a mis la main sur la Mandchourie.

Grossièrement camouflée en République indépendante, la Mandchourie constitue de toute évidence la base stratégique de la guerre contre l’U.R.S.S. L’U.R.S.S. qui depuis quinze ans s’efforce d’édifier un monde nouveau sur la communauté des travailleurs, la répartition logique de la production, l’intérêt général, la coopération et l’abolition de l’exploitation et de l’oppression de l’homme par l’homme : sur des principes diamétralement opposés à l’anarchisme du système capitaliste.

L’U.R.S.S. a donnée à sa grande construction socialiste et humaine, résiste héroïquement depuis des mois aux provocations japonaises.

En Europe et surtout en Roumanie, en Pologne et dans les États limitrophes, on s’arme fiévreusement sous la direction des impérialismes occidentaux, parmi lesquels, l’impérialisme français qui pèse sur la politique de ses « États vassaux », joue un rôle prépondérant.

Nous voyons, en même temps, la recrudescence des militarismes, la montée fantastique des budgets de guerre, les armements démesurés se multipliant dans tous les Etats, la fabrication intensifiée des usines de guerre et de produits chimiques en France (Schneider-Creusot, Renault, Kuhlman), de, l’Allemagne (Krupp et de la métallurgie de la Ruhr), de la Tchécoslovaquie (Skoda), de la Roumanie et de la Pologne — et avec cela la préparation de l’assassinat de continents entiers par des moyens formidables de guerre chimique aérienne.

De toute évidence, c’est une nouvelle guerre mondiale qui nous menace.

Le courant de guerre, déclenché en Chine se dirige mathématiquement contre l’U.R.S.S. avec la complaisance et la connivence des grandes puissances impérialistes. On découvre sous cette agitation mondiale l’action des grands trusts capitalistes d’Occident; l’industrie lourde universelle dont les gouvernements apparaissent comme les agents.

La guerre contre l’U.R.S.S., cela veut dire une guerre mondiale, cela veut dire la ruine et la destruction de pays entiers et d’incalculables hécatombes de foules. Au milieu de ce tragique état de choses qui rend les jours où nous vivons comparables à ceux de 1913 et du début 1914, un seul devoir pour chacun et pour tous: comprendre l’imminence du cataclysme, pousser le cri d’alarme et de protestation qui alerte les pays et surtout chercher et trouver les moyens effectifs pour arrêter l’attentat de l’impérialisme contre les hommes.

Nous sommes fermement résolus à tout tenter pour empêcher le crime international et nous disons que personne ne doit aujourd’hui se tenir à l’écart des intérêts humains en jeu. Il faut enfin organiser pratiquement et solidement la mobilisation contre la guerre, dans la voie ouverte par tous ceux qui ont déjà entrepris cette lutte réaliste.

Nous appelons tous les hommes, toutes les femmes, sans tenir compte de leur affiliation politique, et toutes les organisations ouvrières — culturelles, sociales et syndicales, — toutes les forces et toutes les organisations, en masse! Qu’elles s’unissent à nous dans un congrès international de guerre contre la guerre.

Ce congrès aura donc pour tâche de susciter une grande œuvre de ralliement, une vague de fond contre la barbarie de la guerre recommençante. Sur le plan pratique, il faudra spécifier les moyens immédiats de dresser toutes les barrières possibles contre l’attentat généralisé qui s’élabore et que le premier prétexte venu suffit à déclencher.

II faut opposer, sur toute la ligne, préparatifs à préparatifs. Pour cela, tout dépend aujourd’hui de la conscience et de l’énergie de la classe ouvrière.

Le Congrès aura donc pour tâche d’éclairer avec précision la situation historique et de mettre les masses en face des réalités qui les menacent et d’organiser les volontés des travailleurs en bloc autour de leur patrie socialiste en danger.

Ce Congrès aura lieu le 28 juillet à Genève. Il s’élargira par la force des choses en une manifestation internationale, démasquera tous les fauteurs de guerre et tous leurs auxiliaires de toute espèce.

Évitons la honte de n’avoir pas compris la gravité de l’heure ou de l’avoir comprise trop tard. Éveillez votre conscience et affermissez votre volonté. Aidez-nous à organiser la résistance des masses! Aidez-nous à entraîner dans une marée redoutable ceux qui, une fois de plus, seraient voués à être les acteurs ou les victimes de la tuerie collective!

Romain ROLLAND, Henri BARBUSSE »

Le succès de l’appel des écrivains Henri Barbusse et Romain Rolland est à la fois immense et international. Immédiatement, 210 comités d’initiative se forment en France, sous l’impulsion de la Confédération générale du travail unitaire, alors que l’appel est republié dans une partie de la presse française (Monde, le Populaire).

Il y a rapidement 15 000 adhésions, plus de 2 000 étant individuelles et les autres collectives, dont de très nombreux organismes populaires, bien au-delà des réseaux communistes. On a ainsi la Fédération CGT des instituteurs (80 000 membres), la Fédération Nationale des Combattants Républicains (100 000 membres), etc.

Parmi les figures notables adhérentes, on trouve les scientifiques Albert Einstein et Paul Langevin, les écrivains Upton Sinclair, John Dos Passos, Theodore Dreiser, Karl Kraus, Maxime Gorki, Martin Andersen Nexö et Heinrich Mann, les philosophes Bertrand Russel et Félicien Challaye, les artistes Frans Masereel et Paul Signac, les figures politiques historiques comme Michel Karolyi et la veuve de Sun ya-Tsen, l’avocat Constantin Costa-Foru.

Le Parti Communiste Français appuie notamment le mouvement avec deux initiatives en région parisienne : les 3 et 4 juillet se tient tout d’abord une assemblée populaire contre la guerre, avec 2 764 délégués, dont 1 195 sont au Parti Communiste, 4 socialistes, 32 à la CGT Unitaire, 42 syndiqués autonomes, 215 entièrement inorganisés.

Ensuite avec un rassemblement de 20 000 personnes contre la guerre au stade de l’Unité à Saint-Denis le 31 juillet 1932.

Le congrès appelé le 22 mai 1932 se tint finalement quant à lui à Amsterdam et non à Genève, les 27, 28 et 29 août 1932.

Les 2 196 délégués (dont 492 de France) provenaient de 29 pays ; 291 étaient socialistes, dont 20 membres du Parti socialiste SFIO, dont la direction avait fermement combattu l’initiative du congrès.

Les congressistes, qui représentaient 30 000 organisations et 30 millions de personnes, mirent en place un « Comité mondial contre la guerre ».

Dans cette même perspective anti-guerre, les Partis Communistes d’Allemagne et de France firent une déclaration commune le 25 octobre 1932 et le 31 octobre le secrétaire général du Parti Communiste d’Allemagne, Ernst Thälmann, est applaudi par 10 000 personnes en France (en janvier 1933, à la veille de la prise du pouvoir par les nazis, c’est Maurice Thorez qui tient un discours à Berlin sur la tombe de Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg).

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