Le PCF en 1931-1932 : une situation de faiblesse prononcée malgré la rectification

Le Parti Communiste français a bien connu de grands changements sous l’impulsion de Maurice Thorez à partir d’août-septembre 1931 ; c’est de fait une immense campagne de rectification à tous les échelons du Parti, au niveau du style de travail.

Le Parti Communiste français est d’ailleurs extrêmement confiant tout au long des mois qui suivent, considérant qu’il est parvenu à se restructurer adéquatement, à provoquer un enthousiasme, à agir désormais de manière correcte, etc.

Seulement voilà, le Parti Communiste a beau parler de Front unique, en pratique il fait toujours Front avec lui-même. Ainsi, il n’apparaît pas comme un pôle irradiant les secteurs populaires.

Au niveau numérique, le Parti reste tout à fait minoritaire ; pire encore, l’hémorragie continue. Le nombre de lecteurs de l’Humanité est d’ailleurs tombé à 140 000, dont 27 000 à Paris.

Le Parti Communiste a qui plus est totalement décroché par rapport à la SFIO, alors qu’initialement c’est lui qui avait la majorité au congrès de Tours de 1920 lors de la grande scission.


Parti CommunisteSFIO
192753 917
192852 372109 000
192938 447
193031 500
193130 743
193230 000137 000
193328 825

Les mobilisations s’évaluent de manière très nette par rapport à cette question numérique.

Le 10 mars 1932, 120 000 personnes accompagnent à Paris le cortège funéraire de Zéphirin Camélinat, qui a été l’un des fondateurs de l’Association internationale des travailleurs, a participé à la Commune de Paris, a été l’un des fondateurs de la SFIO, rejoignant le camp communiste en 1920.

C’est une figure majeure du mouvement ouvrier et on peut donc considérer que le nombre est assez bas, et ce d’autant plus que le contraste est saisissant avec la SFIO puisque, au même moment, il y a les obsèques du républicain-socialiste Aristide Briand, qui a été onze fois président du Conseil et vingt-six fois ministre, et salué à ce titre par l’ensemble des institutions et des socialistes.

On peut dire ici que 120 000 personnes forment en région parisienne le bloc ouvrier proche ou appartenant au Parti Communiste Français, et que c’est le maximum atteint.

D’ailleurs, le 25 mars 1932, on a le même nombre de présents aux obsèques d’un ouvrier, Edmond Fritsch, secrétaire du syndicat des ébénistes et trésorier du comité de chômeurs du 11e arrondissement de Paris, exécuté par un policier à Vitry-sur-Seine lors d’une manifestation.

Là encore, on a un événement majeur pour le mouvement ouvrier, mais la limite numérique est patente. Concrètement, hors événement, le Parti Communiste Français ne rassemble qu’autour de lui-même. Il y a 60 000 personnes au mur des Fédérés pour célébrer la Commune de Paris le 29 mai 1932.

50 000 personnes sont présentes à la fête de l’Humanité à Garches en septembre 1932, qui est organisée par les Comités de défense de L’Humanité mis en place en 1930.

50 000 personnes viennent aux les funérailles de Pierre Degeyter le 2 octobre à Saint-Denis. Ce dernier nombre est terrible : on parle ici des funérailles de celui qui a composé la musique de l’hymne ouvrier l’Internationale !

Le nombre est encore plus bas à Vincennes le 11 novembre 1932 avec 40 000 manifestants contre la guerre, pour un thème pourtant absolument fondamental dans l’orientation du Parti.

Ce nombre doit ici rappeler quelque chose d’important : le Parti n’a pas réussi un ancrage national. Il n’existe que dans quelques bastions, notamment la « banlieue rouge » parisienne, où il est massivement présent et actif, mais de manière déconnectée du reste du pays.

Pire encore : le Parti Communiste est un parti passoire et il le restera jusqu’à la fin du 20e siècle. Les entrées et les sorties concernent une partie très importante du nombre de membres, ce qui fait qu’il n’y a jamais réellement de fixation idéologique.

Cela sera toujours vrai tout au long de l’histoire du Parti Communiste français, de sa fondation jusqu’au triomphe du révisionnisme et son effondrement numérique dans les années 1990-2000.

Il apparaît ainsi aux législatives de mai 1932 qu’il est une organisation repliée sur elle-même, jouant le rôle de fer de lance pour un bloc important mais numériquement limité lors des pics de confrontation, avec un impact marquant seulement lors des élections, avec un soutien disproportionné par rapport à sa réalité organisationnelle.

C’est en tout point similaire au Parti socialiste SFIO d’avant 1914.


SFIOParti Communiste
législatives de 1924Voix : 1 814 000 (20,10%)
120 sièges
Voix : 465 139 (5,15%) 26 sièges
législatives de 1928
Voix : 1 708 972 (18,05%)
102 sièges
Premier tour Voix : 1 063 943 (11,06 %) Second tour Voix : 814 036 (11,8 %)
14 sièges
législatives de 1932
Premier tour Voix : 1 964 384 Second tour

Voix : 1 836 991 (19,18%) 131 sièges
Premier tour Voix : 796 630 (8,32%) Second tour Voix : 185 000
23 sièges

Il faut évidemment à cela ajouter la répression. Elle marque la vie du Parti à tous les niveaux.

Entre le premier janvier 1928 et le premier janvier 1932, les communistes ont été condamnés à 583 années et 7 mois de prison, 213 années de travaux forcés, 28 années de travaux publics, 110 années de détention, 10 années de réclusion.

Les perquisitions sont régulièrement menées dans des campagnes de répression, comme les 27 et 28 juin 1932 avec une quinzaine de perquisitions auprès de militants et des locaux de deux structures générés par le Parti : la Ligue anti-impérialiste et l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires.

Cette dernière publie la revue Commune ; elle tiendra Salon des peintres révolutionnaires à Paris en janvier 1934 et possède notamment une section photographes (Henri Cartier-Bresson, Brassaï, Dora Maar, André Kertés, etc.), alors que de nombreux écrivains et artistes en font partie (Paul Nizan, Louis Aragon, Boris Taslitzky, André Fougeron, Francis Jourdain, Édouard Pignon, Paul Signac, etc.).

Il y a également des expulsions, voire même la déchéance de nationalité, mésaventure que connu en 1932, pour « torts à l’État français », Thomas Olszanski, devenu français en 1922 ; cela amènera deux ans de mouvement de soutien échouant finalement et celui-ci partira en URSS, puis en Pologne après 1945.

À cela s’ajoute une vaste campagne accusant l’Humanité d’espionnage pour l’URSS par l’intermédiaire de ses 2 000 « rabcors », c’est-à-dire de ses correspondants ouvriers et paysans l’informant de la vie des travailleurs, le terme venant d’un acronyme russe ( signifiant correspondant-travailleur).

Ces informations, venant au rythme d’une dizaine par jour, irriguent une page spéciale, ou bien une colonne, mais surtout de nombreux articles quotidiens concernant l’actualité du monde du travail.

Or, il est évident que certaines informations économiques – concernant par exemple des techniques de production – pouvaient être utiles à l’URSS. Le contre-espionnage français va y mettre le holà, avec ce que la presse appellera l’affaire « Fantômas ».

Toutes ces faiblesses sont cependant compensées par l’orientation anti-guerre, qui vont amener le Parti Communiste Français au centre du jeu historique grâce au fameux congrès d’Amsterdam.

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