Le cézannisme comme fusion académique-impressionniste

L’impressionnisme fut moqué par une partie de la bourgeoisie au nom de l’académisme, mais très vite les impressionnistes se dispersèrent, intégrant l’art « officiel », alors que le néo-impressionnisme représenté par Paul Cézanne devenait la référence générale de la bourgeoisie. Il serait d’ailleurs plus juste de parler de cézannisme, un terme largement employé par ceux assumant par la suite de le prolonger.

Le cézannisme est littéralement la fusion de l’académisme et de l’impressionnisme. D’un côté, il y avait l’idée d’un art officiel porté par la bourgeoisie, encadré par elle, notamment par son Etat, et pas simplement par les peintres, ce qui était conforme à la démarche académique. De l’autre, il y a la reconnaissance du subjectivisme et du caractère conforme au marché des démarches artistiques.

La voie à l’art moderne, puis contemporain, était ouverte.

Claude Monet, Étretat sous la pluie, 1886
Paul Cézanne, Vue du matin de L’Estaque à la lumière du soleil, 1882-1883

Le cézannisme joue ainsi un rôle capital, très connu de la part des pseudos-avant-gardes au début du XXe siècle, mais inconnu ou presque des historiens bourgeois, des critiques d’art, etc.

Il y a eu pourtant une intense activité artistique et intellectuelle pour œuvrer à cette fusion, avec notamment le peintre Paul Signac qui tenta en 1899 de synthétiser la démarche dans son écrit d’Eugène Delacroix au Néo-Impressionnisme.

On retrouve dans cet ouvrage les principes impressionnistes de manière systématisée et approfondie, à travers tout un discours s’appuyant sur Eugène Delacroix, qui relève de la peinture académique, pour les justifier :

– « Les peintres devraient être jugés uniquement sur leurs œuvres, et non d’après leurs théories »

Ce qui signifie : il faut considérer les artistes individuellement seulement, conformément à la vision capitaliste du monde.

– « S’assurer tous les bénéfices de la luminosité, de la coloration et de l’harmonie »

Ce qui signifie que ce qui compte ce n’est pas la réalité, mais le jeu sur l’émotion individuelle.

– « Pendant un demi-siècle, Delacroix s’est donc efforcé d’obtenir plus d’éclat et plus de lumière, montrant ainsi la voie à suivre et le but à atteindre aux coloristes qui devaient lui succéder »

Ce qui signifie que le romantique Delacroix, avec sa peinture académique, n’en était pas moins déjà un individualiste et donc un précurseur.

– « Il faut cependant reconnaître que les tableaux de Delacroix, malgré ses efforts et sa science, sont moins lumineux et moins colorés que les tableaux des peintres qui ont suivi sa trace (…). Ce progrès, une autre génération, celle des impressionnistes, le devait faire.

Tout s’enchaîne et vient à son temps : on complique d’abord ; on simplifie ensuite. Si les impressionnistes ont simplifié la palette, s’ils ont obtenu plus de couleur et de luminosité, c’est aux recherches du maître romantique, à ses luttes avec la palette compliquée, qu’ils le doivent. »

C’est là un bricolage pour justifier une pseudo continuité individualiste de la peinture à travers l’académisme puis l’impressionnisme.

– « Ceux qui, succédant à Delacroix, seront les champions de la couleur et de la lumière, ce sont les peintres que plus tard on appellera les impressionnistes : Renoir, Monet, Pissarro, Guillaumin, Sisley, Cézanne et leur précurseur admirable, Jongkind »

Cézanne est ici placé comme impressionniste, pour justifier qu’il les prolonge.

– « C’est en 1886, à la dernière des expositions du groupe impressionniste — « 8e Exposition de Peinture par Mme Marie Bracquemond, Mlle Mary Cassait, MM. Degas, Forain, Gauguin, Guillaumin, Mme Berthe Morisot, MM. Camille Pissarro, Lucien Pissarro, Odilon Redon, Rouart, Schuffenecker, Seurat, Signac, Tillot, Vignon, Zandomeneghi — du 15 mai au 15 juin — 1, rue Laffitte » — que, pour la première fois, apparaissent des œuvres peintes uniquement avec des teintes pures, séparées, équilibrées, et se mélangeant optiquement, selon une méthode raisonnée.

Georges Seurat, qui fut l’instaurateur de ce progrès, montrait là le premier tableau divisé, toile décisive qui témoignait d’ailleurs des plus rares qualités de peintre, Un Dimanche à la Grande-Jatte, et, groupés autour de lui, Camille Pissarro, son fils Lucien Pissarro et Paul Signac exposaient aussi des toiles peintes selon une technique à peu près semblable. »

Ce qui signifie que l’impressionnisme s’est enlisé, mais en se tournant vers un néo-académisme il a su se redynamiser pour encore davantage porter l’individualisme et le généraliser.

– « Si ces peintres, que spécialiserait mieux l’épithète chromo-luminaristes, ont adopté ce nom de néo-impressionnistes, ce ne fut pas pour flagorner le succès (les impressionnistes étaient encore en pleine lutte), mais pour rendre hommage à l’effort des précurseurs et marquer, sous la divergence des procédés, la communauté du but : la lumière et la couleur. C’est dans ce sens que doit être entendu ce mot néo-impressionnistes, car la technique qu’emploient ces peintres na rien d’impressionniste : autant celle de leurs devanciers est d’instinct et d’instantanéité, autant la leur est de réflexion et de permanence. »

Contrairement au côté simpliste de l’impressionnisme, les néo-impressionnistes assument un discours plus profond, pseudo-scientifique, pour faire de leur individualisme la base d’un art pseudo-développé.

– « Si le néo-impressionnisme résulte immédiatement de l’impressionnisme, il doit aussi beaucoup à Delacroix, comme nous l’avons vu. Il est la fusion et le développement des doctrines de Delacroix et des impressionnistes, le retour à la tradition de l’un, avec tout le bénéfice de l’apport des autres. »

La fusion est assumée.

– « nous souscrirons à ces aphorismes de Delacroix :

« La froide exactitude n’est pas l’art. »
« Le but de l’artiste n’est pas de reproduire exactement les objets. »
« Car, quel est le but suprême de toute espèce d’art, si ce n’est l’effet ? » »

L’ennemi, c’est le réalisme.

– « On avait contre l’art néo-impressionniste ce double grief : il constituait une innovation, et les tableaux exécutés selon sa technique brillaient d’un éclat inaccoutumé.

Il est inutile qu’on dresse ici la liste de tous les peintres très novateurs qui ont été conspués en ce siècle et qui ont ensuite imposé leur vision particulière. Ces injustices, cette lutte, ces triomphes, c’est l’histoire de l’art.

On conteste d’abord toute manifestation nouvelle ; puis, lentement, on s’habitue, on admet. Cette facture qui choquait, on en perçoit la raison d’être, cette couleur qui provoquait des clameurs semble puissante et harmonieuse. L’inconsciente éducation du public et de la critique s’est faite, au point qu’ils se mettent à voir les choses de la réalité telles que s’est plu à les figurer le novateur : sa formule, hier honnie, devient leur critérium. Et, en son nom, l’effort original qui se manifestera ensuite sera bafoué, jusqu’au jour où il triomphera, lui aussi. Chaque génération s’étonne après coup de son erreur, et récidive. »

Par l’art tourné vers la pseudo-modernité, c’est-à-dire vers le marché capitaliste, il y aura un renouvellement incessant et perpétuellement des pseudos-avant-gardes renouvelant les marchandises pseudos-artistiques.

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