Le Dieu du Coran et la rétribution

Le Coran est une œuvre où les menaces et leurs rappels constituent la majorité de l’œuvre. Seulement une petite minorité touche les règles religieuses et juridiques. Concernant ces derniers domaines, ce sont les hadiths, les « dits » rapportés du prophète, et la Sunna, la « tradition », qui joueront par la suite le rôle central.

Voici ce que dit la sourate Le discernement :

10. Béni soit Celui qui, s’il le veut, t’accordera bien mieux que cela : des Jardins sous lesquels coulent les ruisseaux ; et Il t’assignera des châteaux.

11. Mais ils ont plutôt qualifié l’Heure de mensonge. Nous avons cependant préparé, pour quiconque qualifie l’Heure de mensonge, une Flamme brûlante.

12. Lorsque de loin elle les voit, ils entendront sa fureur et ses pétillements.

13. Et quand on les y aura jetés, dans un étroit réduit, les mains liées derrière le cou, ils souhaiteront alors leur destruction complète.

Mais il n’y a pas qu’en permanence des menaces d’enfer : il y a également en permanence des promesses pour la vie après la mort. On n’est ici absolument pas dans un monothéisme développé, car sinon il y n’y aurait pas cette insistance très lourde dans tout le Coran sur une rétribution en fonction de comment on a vécu.

La sourate La Nouvelle est une excellente synthèse de ce que dit le Coran :

1 Sur quoi s’interrogent-ils mutuellement ?

2 Sur la grande nouvelle,

3 à propos de laquelle ils divergent.

4 Eh bien non ! Ils sauront bientôt.

5 Encore une fois, non ! Ils sauront bientôt.

6 N’avons-Nous pas fait de la terre une couche ?

7 Et (placé) les montagnes comme des piquets ?

8 Nous vous avons créés en couples,

9 et désigné votre sommeil pour votre repos,

10 et fait de la nuit un vêtement,

11 et assigné le jour pour les affaires de la vie,

12 et construit au-dessus de vous sept (cieux) renforcés,

13 et [y] avons placé une lampe (le soleil) très ardente,

14 et fait descendre des nuées une eau abondante

15 pour faire pousser par elle grains et plantes

16 et jardins luxuriants.

17 Le Jour de la Décision [du Jugement] a son terme fixé.

18 Le jour où l’on soufflera dans la Trompe, vous viendrez par troupes,

19 et le ciel sera ouvert et [présentera] des portes,

20 et les montagnes seront mises en marche et deviendront un mirage.

21 L’Enfer demeure aux aguets,

22 refuge pour les transgresseurs.

23 Ils y demeureront pendant des siècles successifs.

24 Ils n’y goûteront ni fraîcheur ni breuvage,

25 hormis une eau bouillante et un pus

26 comme rétribution équitable.

27 Car ils ne s’attendaient pas à rendre compte,

28 et traitaient de mensonges, continuellement, Nos versets,

29 alors que Nous avons dénombré toutes choses en écrit.

30 Goûtez-donc. Nous n’augmenterons pour vous que le châtiment !

31 Pour les pieux ce sera une réussite:

32 jardins et vignes,

33 et des (belles) aux seins arrondis, d’une égale jeunesse,

34 et coupes débordantes.

35 Ils n’y entendront ni futilités ni mensonges.

36 À titre de récompense de ton Seigneur et à titre de don abondant

37 du Seigneur des cieux et de la terre et de ce qui existe entre eux, le Tout Miséricordieux; ils n’osent nullement Lui adresser la parole.

38 Le jour où l’Esprit et les Anges se dresseront en rangs, nul ne saura parler, sauf celui à qui le Tout Miséricordieux aura accordé la permission, et qui dira la vérité.

39 Ce jour-là est inéluctable. Que celui qui veut prenne donc refuge auprès de son Seigneur.

40 Nous vous avons avertis d’un châtiment bien proche, le jour où l’homme verra ce que ses deux mains ont préparé; et l’infidèle dira: « Hélas pour moi ! Comme j’aurais aimé n’être que poussière. »

C’est la rétribution. La punition vise les transgresseurs, la récompense va à ceux qui sont loyaux. On est nettement dans un « œil pour œil, dent pour dent » qui est similaire au judaïsme et le monothéisme du judaïsme est lui-même imparfait, enfermé dans la logique de l’époque de la société esclavagiste.

Le monothéisme véritable ne se focalise pas sur une rétribution future, mais sur une rétribution immédiate, car il relève d’une époque où s’affirme la conscience personnelle. Le protestantisme est à ce titre le monothéisme le plus achevé, car c’est dans la conscience de chaque personne livrée à elle-même, angoissée, que se joue ce qui, dans les monothéismes imparfaits, se joue après la mort seulement.

La sourate Les croyants est exemplaire de l’approche rétributive qu’on trouve dans tout le Coran. Ceux qui se soumettent iront au Paradis – Islam veut dire soumission, le musulman est le soumis – et ceux qui ne se soumettent pas iront en enfer.

102. Ceux dont la balance est lourde seront les bienheureux ;

103. et ceux dont la balance est légère seront ceux qui ont ruiné leurs propres âmes et ils demeureront éternellement dans l’Enfer.

104. Le feu brûlera leurs visages et ils auront les lèvres crispées.

Cette question de la rétribution est fondamentale, car elle montre comment le Coran forme un Dieu monothéiste pour un public qui relève d’un mode de production esclavagiste. Dieu, plutôt que lointain, se doit bien au contraire d’être un juge toujours aux aguets.

Un tel Dieu était inévitable de par la construction de l’Islam comme monothéisme par Mahomet, poète tentant de conjuguer les forces en présence pour effectuer un saut idéologique.

Le prologue du Coran insiste bien sur cette dimension rétributive lorsqu’il qualifie Dieu de « Maître du Jour de la rétribution » :

1. Au nom d’Allah, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux.

2. Louange à Allah, Seigneur de l’univers.

3. Le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux,

4. Maître du Jour de la rétribution.

5. C’est Toi [Seul] que nous adorons, et c’est Toi [Seul] dont nous implorons secours.

6. Guide-nous dans le droit chemin,

7. le chemin de ceux que Tu as comblés de faveurs, non pas de ceux qui ont encouru Ta colère, ni des égarés.

On a ici quelque chose d’essentiel, qui explique pourquoi dès la mort de Mahomet, les musulmans vont se diviser, l’Islam connaissant ensuite dans tout son parcours d’innombrables scissions et factionnalismes.

Contrairement aux apparences, l’Islam n’est pas une révélation aboutie, avec tout clef en main. Le Coran se situe dans une époque où Mahomet, un géant, a synthétisé quelque chose et ce quelque chose est le passage des Arabes à l’idéologie féodale.

Le Coran, écrit sur plus de vingt ans, s’adresse donc aux Arabes à un moment donné, faisant des reproches calibrés pour des situations très précises et en fait toute l’œuvre est remplie de récriminations, de rejets.

Le Coran est censé être un message de Dieu, un message éternel, mais en pratique il est toujours contextuel, avec un combat contre ceux qui ne se plient pas à l’initiative de Mahomet.

La sourate Le pèlerinage souligne le rigorisme de la sélection qu’on trouve dans tout le Coran :

8. Or, il y a des gens qui discutent au sujet d’Allah sans aucune science, ni guide, ni Livre pour les éclairer,

9. affichant une attitude orgueilleuse pour égarer les gens du sentier d’Allah. A lui l’ignominie ici-bas; et Nous Lui ferons goûter le Jour de la Résurrection, le châtiment de la fournaise.

La rétribution n’est donc pas à comprendre comme bons points et mauvais points en général, même si c’est en apparence cela, mais comme affirmation d’un drapeau, avec le mérite ou la punition selon le rapport qu’on a à celui-ci.

Cela témoigne de la nature forcée de l’Islam, de la dimension artificielle – mais géniale – de Mahomet. Et la preuve de cela, c’est que pour obtenir le monothéisme désiré, Mahomet devait inévitablement organiser les Arabes militairement afin d’établir un féodalisme par en haut, aux dépens des peuples voisins.

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