Lorsque diverses affaires ébranlèrent le gouvernement en 1936, notamment une affaire de roulette truquée (le Straperlo) soutenue par le ministre de l’intérieur, le président préfère dissoudre l’assemblée que nommer le dirigeant de la CEDA, José María Gil-Robles, comme premier ministre. Un tel triomphe de la CEDA aurait amené une atmosphère de guerre civile et seules des élections pouvaient vérifier quel était le rapport de force.
Or, la situation était particulièrement tranchée, tant depuis la répression massive suivant la révolution des Asturies en Espagne qu’avec l’exemple terrible du national-socialisme allemand. Par conséquent, la gauche fit en sorte de s’unir, au sein d’un Front populaire.
On retrouve ainsi, dans cette alliance, des forces républicaines plus ou moins libérales, avec Manuel Azaña et la Izquierda Republicana (Gauche Républicaine), le Partido Republicano Democrático Federal (Parti Républicain Démocrate Fédéral), la Unión Republicana (Union Républicaine).
Ce sont eux qui en sont le noyau dur, avec le PSOE ; ils déterminent le programme du pacte – programme de Front populaire, établi à la mi-janvier 1936.
On y trouve ainsi la libération des prisonniers politiques arrêtés après novembre 1933, la réintégration des fonctionnaires suspendus ou licenciés pour des raisons politiques, la révision de la loi sur l’ordre public, des enquêtes sur les violences policières.
Sur le plan économique, le programme soutenait les petites entreprises et comptait étendre les interventions de l’État dans les travaux publics, ainsi qu’instaurer un nouveau système d’impôts.
Le programme du Front populaire était, de fait, une actualité incontournable. Il s’agissait de faire avancer de nouveau la révolution bourgeoise démocratique, en s’opposant frontalement aux forces féodales.
Cela ne semblait pas « révolutionnaire » en apparence du point de vue marxiste ou anarchiste, mais c’était incontournable historiquement : les marxistes le savaient, les anarchistes le sentaient.
Pour cette raison, soutiennent de l’intérieur ce pacte, en étant seulement pour ainsi dire « présents » ou témoins, le PCE, la Fédération Nationale des Jeunesses Socialistes, l’UGT, le Parti Syndicaliste.
Appuie cette alliance un regroupement du même type, le Front d’Esquerres de Catalunya (Front des Gauches de Catalogne), avec dix organisations de la gauche catalane, la principale étant la Esquerra Republicana de Catalunya (Gauche Républicaine de Catalogne).
Appuie également cette alliance la CNT, qui pour la première fois ne mène pas campagne pour le boycott des élections. La CNT se retrouvait piégée : elle était anti-politique et anti-parlementaire, se considérait comme la seule organisation possible des masses, mais elle devait composer avec la réalité.
Les élections de février et mai 1936 montrèrent la polarisation de la société espagnole. Le Front populaire obtint 3,75 millions de voix, le Front de la gauche catalane 700 000 voix, ce qui donnait un total de 4,451 millions de voix, contre 4,375 millions de voix aux forces conservatrices.
Le centre, de son côté, s’effondrait, avec 333 000 voix.
En raison cependant du système électoral donnant une prime au gagnant – 80 % des sièges dès qu’on dépasse 50 %, le reste allant aux autres partis – le Front populaire obtint 285 sièges, les forces conservatrices 131, le centre 57.
Le PSOE avait ainsi 99 sièges, la Gauche Républicaine 87, l’Union Républicaine 37, la Gauche Républicaine de Catalogne 21, le PCE 17.
Le gouvernement, toutefois, ne fut composé que de l’Izquierda Republicana (Gauche Républicaine) et de l’Unión Republicana (Union républicaine), même le PSOE n’y participa pas. En juin, Manuel Azaña, seul candidat, fut élu président par les élus, selon le même principe : la gauche soutenait les républicains, les libéraux-progressistes, mais son programme était bien différent.
Cette dépendance du gouvernement vis-à-vis de la gauche et les grandes mobilisations de masse qui suivirent la victoire conférèrent un caractère explosif à la situation.