Le jeune Parti Communiste SFIC et la question du centralisme démocratique

La victoire sur le confusionnisme de la première partie des années 1920 fut une étape essentielle ; on peut considérer que c’est à partir de 1925 que l’Internationale Communiste commence à prendre véritablement au sérieux sa section française.

Le souci, c’est que la bolchevisation ne s’appuyait pas sur un niveau idéologique suffisant dans le Parti Communiste Section Française de l’Internationale Communiste. Installer le centralisme démocratique est une chose, mais faire en sorte qu’il y ait une démocratie vivante et une interaction dialectique avec la direction en est une autre.

En clair, les militants ne savaient pas comment aborder les questions sociales, politiques, économiques, pour ne pas parler de celles idéologiques et culturelles.

Le Parti Communiste (SFIC) dispose depuis novembre 1924 d’un organe théorique, Les cahiers du bolchevisme, mais ceux-ci ne sont guère lus et encore moins compris ; en 1926, il tire à 5 000 exemplaires, alors qu’il y a autour de 55 000 membres.

Les communistes savent militer, savent pratiquer l’activisme et en parler ; ils ne savent pas poser les choses. Ce qui en découle est, fatalement, une direction s’arrogeant tous les droits et produisant au minimum une impression d’arbitraire, sans parler des véritables arbitraires d’une gestion par en haut unilatérale et sans explication aucune.

Les questions étaient réglées tendanciellement par circulaires d’ailleurs multipliées, les décisions d’en haut étaient exigées formellement et lorsqu’elles étaient appliquées, c’était mécaniquement, la direction ne répondait pas ou très tardivement aux questions ; les circulaires n’arrivent qu’au niveau sous la direction, celle des régions, ou bien en-dessous, dans les « rayons », mais ne parviennent pas forcément juste en-dessous aux cellules, etc.

Le problème de fond c’est que le bolchevisme avait été compris comme une machinerie efficace pour l’activisme. Une fois « bolchevisés », les communistes conservent cette optique mécanique et ils sont de fait désorientés.

Ne sachant pas poser les problèmes, ils s’étripent sur telle ou telle expérience, forment des fractions ou des coteries, bref se montent la tête sur telle ou telle question, formant une spirale de rancœur et de reproches.

Concrètement, la direction se cantonne dans le Bureau Politique et met de côté le reste du Comité Central, au motif qu’il le représenterait, qu’il est sa forme centralisée. Il prend des décisions toujours plus décalées d’une base qu’il ne connaît pas par l’absence d’un appareil réellement opérationnel à tous les niveaux. Cet appareil ne peut pas être formé, car la base est passive et rétive à la direction.

Un courant oppositionnel tenta de profiter du désarroi causé par la bolchevisation ; les lettres dénonçant la bolchevisation se multiplient, dont une lettre ouverte l’Internationale Communiste signée par 250 membres du Parti en octobre 1925.

On y lit dans cette lettre ce qui forme l’approche commune à tous les opposants à la bolchevisation :

« Afin de rompre complètement avec les méthodes d’organisation et d’action de la social-démocratie, le 5° Congrès mondial, voulant hâter la « bolchevisation » du Parti, a décidé sa reconstruction sur la base des cellules d’usine. Nos délégués ont accepté sans discussion le nouveau mot d’ordre.

Ils sentaient là, en effet, l’occasion de masquer leur incapacité et d’asseoir, à la faveur du désarroi qui accompagne toujours les brusques changements, leur dictature personnelle.

Dès leur retour en France, ils se mirent en devoir de « bolcheviser » le Parti. S’ils n’avaient pas méconnu les conditions politiques et sociales de ce pays, ils eussent procédé à la réorganisation par étapes.

Or, ils opérèrent avec une aveugle brutalité. Toute la vieille armature fut pulvérisée en un tournemain, sans souci de la diversité des milieux ni des possibilités de réussite.

Naturellement, nos « bolchevisateurs » proclamèrent que tout se passait pour le mieux du monde, que le seul fait de la création des cellules et des rayons avait attiré au Parti des éléments ouvriers jusqu’alors réfractaires, et que, seuls, les contempteurs intéressés du nouveau cours pouvaient nier les bienfaits de la nouvelle organisation (…).

La vérité saute aux yeux. Les cellules ne peuvent pas constituer actuellement en France la base du Parti. Affirmer le contraire, c’est méconnaître l’économie générale du pays et l’organisation des grands États capitalistes modernes, c’est se leurrer sur le rapport des forces sociales en présence, c’est entraîner le Parti vers sa liquidation rapide et totale (…).

Pour sauver le Parti, il faut renoncer délibérément aux méthodes employées depuis un an. Le Comité Central propose, outre le développement de l’appareil, la création de « cellules de rues » et de « sous-rayons ». Au diable toutes ces complications ! »

Or, il était inadmissible pour l’Internationale Communiste de remettre en cause la bolchevisation et ses cellules d’entreprise ; revenir à une logique de regroupement territorial c’était pour elle revenir à la social-démocratie et empêcher une ligne de combat.

Cela sous-entendait d’ailleurs le retour aux tendances comme dans la SFIO, avec une représentation proportionnelle. L’auteur de la lettre, Maurice Gauthier, expliquera au cinquième congrès du Parti Communiste SFIC, qui se tint à Lille en 1926, que :

« Un parti qui n’a pas d’opinions, qui n’a pas de tendances, est un parti qui meurt. Cela s’impose donc dans un parti. »

Il va de soi que c’était inacceptable ; Maurice Gauthier se fera exclure en 1929 et rejoindra en 1930 le Parti ouvrier paysan qui deviendra le Parti d’unité prolétarienne, puis avec la majorité de celui-ci le Parti socialiste SFIO en 1937.

Il apparaissait en tout cas qu’Albert Treint et Suzanne Girault avaient été de bons vecteurs pour faire passer le Parti à la bolchevisation, mais qu’ils n’étaient pas à la hauteur pour la réaliser en tant que tel. Ils avaient été un marche-pied mais leur vision par en haut ne permettait pas de modifier la réalité du Parti.

Ils furent écartés, la session du Comité Central élargi aux secrétaires de région de début décembre 1925 révélant les importants mécontentements quant à la gestion du Parti. Pierre Semard présent à la direction depuis 1924 servit alors de cheville ouvrière à partir du tout début de l’année 1926, alors qu’était nommé secrétaire à l’organisation, en février 1926, Maurice Thorez.

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et la bolchevisation du Parti Communiste
Section Française de l’Internationale Communiste