Le Pakistan sans le Bangladesh : la logique de la forteresse assiégée

La perte du Pakistan oriental, qui devint le Bangladesh, fut une catastrophe stratégique pour le Pakistan dans son opposition à l’Inde. L’armée américaine dut même venir à sa rescousse, en envoyant des navires de guerre pour empêcher une intervention maritime militaire indienne.

Quant aux forces aériennes, elles avaient prouvé leur efficacité, en décembre 1971, avec l’opération Gengis Khan. Furent alors visées de nombreuses bases aériennes indiennes : Amritsar, Ambala, Agra, Awantipur, Bikaner, Halwara, Jodhpur, Jaisalmer, Pathankot, Bhuj, Srinagar and Uttarlai, ainsi que les radars d’Amritsar et Faridkot.

Ce fut un échec toutefois, dans le prolongement de celui de l’opération Gibraltar de 1965, où l’armée pakistanaise pénétra au Cachemire pour tenter de lancer une insurrection anti-indienne.

Le nom de Gibraltar fait référence à la conquête de la péninsule ibérique par les forces arabes précisément depuis Gibraltar, au 8e siècle.

L’invasion de l’Afghanistan par le social-impérialisme soviétique changea cependant totalement la donne. Le Pakistan devint l’interface américaine pour former et armer les rebelles.

Les Talibans viennent de là : le terme veut dire « étudiants » et on parle des étudiants afghans ayant étudié dans les écoles coraniques pakistanaises après l’invasion soviétique.

Qui plus est, les Talibans sont des Pachtounes, et les 3/4 des Pachtounes vivent au Pakistan. Il fut facile pour les services secrets pakistanais, la Inter-Services Intelligence (ISI), d’agir en Afghanistan ; l’ISI acquiert alors un rôle éminent dans l’État pakistanais.

Les avancées des Talibans sont absolument indissociables de l’État pakistanais ; des dizaines de milliers de Pakistanais ont combattu dans les rangs des Talibans par ailleurs, au-delà de l’appui technique.

Cela conforta l’ISI dans sa démarche « profonde » et c’est lui qui joua un rôle clef dans l’appui militaire et technique au Sri Lanka afin d’écraser en 2009 les Tigres Tamouls, qui étaient appuyés par l’Inde dans leur tentative de former un État séparé.

Surtout, il y a de la part de l’ISI l’appui aux forces islamistes au Cachemire, qui luttent contre l’Inde mais également contre les indépendantistes cachemiris.

Ces forces islamistes sont multiples et d’autant plus prétextes à des actions armées pour lesquelles le Pakistan nie toute responsabilité : Jaish-e-Mohammed (l’armée de Mahomet), Lashkar-e-Taiba (l’armée des pieux), Hizbul Mujahideen (le parti des moudjahidines), etc.

Le drapeau des fanatiques religieux de la Lashkar-e-Taiba

C’est Lashkar-e-Taiba qui a revendiqué le meurtre de 25 touristes hindous et d’un guide touristique musulman au Cachemire le 22 avril 2025, déclenchant un nouvel affrontement indo-pakistanais.

De manière notable, il y avait juste avant, le 16 avril 2025, un discours du dirigeant de l’armée pakistanaise, Asim Munir, à des Pakistanais expatriés. Le Cachemire y fut présenté comme « la veine jugulaire » du Pakistan.

Il affirma de manière catégorique la théorie des deux nations :

« Vous devez raconter l’histoire du Pakistan à vos enfants afin qu’ils n’oublient pas que nos ancêtres pensaient que nous étions différents des hindous dans tous les aspects de la vie.

Nos religions sont différentes, nos coutumes sont différentes, nos traditions sont différentes, nos pensées sont différentes, nos ambitions sont différentes.

C’est le fondement de la théorie des deux nations qui a été posée. Nous sommes deux nations, nous ne sommes pas une seule nation (…).

Peu importe où vous vivez, rappelez-vous que vos racines se trouvent dans une haute civilisation, une idéologie noble et une identité fière. »

Pour comprendre l’importance de l’armée comme fer de lance de l’idéologie nationale pakistanaise, il suffit de constater que jamais aucun premier ministre n’a été en mesure de terminer son mandat. Les coups d’État pour propulser un nouveau régime sont réguliers, ceux qui ont réussi s’étant déroulés en 1958, en 1977 et en 1999.

Ce sont des généraux qui ont façonné les traits généraux du pays : Ayoub Khan dans les années 1960, Yahya Khan et Zia ul Haq dans les années 1980, Pervez Musharraf dans les années 2000.

Tout cela tient à la combinaison d’une base féodale sur laquelle vient se construire une dimension coloniale, puisque le Pakistan est historiquement un acteur au service de la superpuissance impérialiste américaine.

Mais à cela s’ajoute, comme pour Israël, une spécificité historique dans la constitution du pays lui-même, ce qui produit une logique de la forteresse assiégée devenant elle-même assiégeante.

=>Retour au dossier La division religieuse forcée :
les exemples du Pakistan et du Bangladesh