En 1895, le peintre Paul Chabas peint Chez Alphonse Lemerre à Ville-d’Avray. Le lieu est l’ancienne résidence du peintre Jean-Baptiste Camille Corot ; elle appartient désormais à Alphonse Lemerre, un éditeur ayant fait fortune en publiant le poèmes des auteurs qui appartiennent à ce qui sera appelé le « Parnasse ».
Le tableau – une commande d’Alphonse Lemerre – présente de nombreux poètes et peintres : Paul Arène, Paul Bourget, Jules Breton, Henri Cazalis, Jules Claretie, François Coppée, Alphonse Daudet, Léon Dierx, Auguste Dorchain, José-Maria de Heredia, Paul Hervieu, Georges Lafenestre, Alphonse Lemerre et sa femme, Jeanne Loiseau, Leconte de Lisle, Marcel Prévost, Henry Roujon, Sully-Prudhomme, André Theuriet.
C’est un moment historique, reflétant toute une phase historique où, à côté du naturalisme, le Parnasse est devenu le mouvement le plus en phase avec une République bourgeoise prônant le développement de l’économie, le progrès social, une certaine vision utilitariste de la science.
Le Parnasse est, en effet, un mouvement littéraire ayant eu une importance capitale dans l’histoire idéologique et culturelle de la France. Il est le produit direct de la victoire de la bourgeoisie en 1848 ; il est le pas significatif pour s’arracher au réalisme et passer toujours plus dans le subjectivisme.
Le Parnasse a, en effet, comme principe de revendiquer l’art pour l’art, avec en même temps un certain esprit social moralisant et une volonté de méthode technique – scientifique. Ses auteurs, des poètes témoignant parfois un très haut niveau de technique littéraire, revendiquent le refus de la participation à toute revendication politique, considérant que seules des préoccupations esthétisantes suffisaient, tout en se posant en même temps résolument dans le camp bourgeois le plus ultra.
Leur seule préoccupation est leur individualité allant dans une perspective stylistique et une méthode se voulant impersonnelle ; il ne s’agit plus d’affirmer la personnalité, de développer les facultés, mais de bien présenter sur le plan de la forme et de la technique, avec un certain ton.
Le poète cesse d’être un être sensible intervenant dans la réalité, pour devenir un individu artisan ; Leconte de Lisle théorise cela de la manière la plus stricte, devenant le chef de file intellectuel de la démarche.
En ce sens, le Parnasse a comme fonction historique d’assécher l’affirmation de la personnalité propre à la bourgeoisie d’avant 1848, pour la faire passer dans l’affirmation de l’individualité.
Cela fut tellement une réussite que si à l’époque, dans la foulée de 1848, ses participants furent portés au pinacle par la société française, ils sont aujourd’hui plus que méconnus : tombés dans les oubliettes.
En 1929, dans son ouvrage Le Parnasse, la figure littéraire André Thérive peut tranquillement assassiner Sully Prudhomme, le premier prix Nobel de littérature, figure éminente du Parnasse, sans que cela n’émeuve :
« On ne saurait lire des vers plus obstinément mauvais que ceux de ce poète. La platitude et la cacophonie, le prosaïque et le grandiloque, la vulgarité du langage, une incapacité absolue de quitter le ton journalistique ou philosophard, voilà ce qui y offense sans cesse.
Aucune « poésie » ne jure plus fort avec le goût moderne, qui nous incline à chercher pour la Muse un langage spécial, des grâces celées, une démarche allusive. »
Que le premier prix Nobel de littérature, dont la poésie était essentielle à tout écolier, se fasse liquider une poignée d’années après, appartenant à un mouvement désormais totalement méconnu, ne s’explique que par le changement profond de nature de la bourgeoisie.