Dans le processus révolutionnaire, on sait qu’il y a des phases dont Mao a bien éclairé les dynamiques à travers le schéma de défense stratégique, équilibre stratégique puis offensive stratégique. Dans ce schéma, il y a dialectiquement la dynamique au travers de l’offensive, puis contre-défense, contre-offensive, etc., dans un cheminement en spiral se prolongeant en continu jusqu’au Communisme.
Lorsqu’on prend du recul sur l’expérience menée dans le cadre de la Première crise générale, ouverte en 1917 puis terminée en 1989, on doit souligner un élément idéologique important pour notre époque.
À chaque intervalle historique qui s’est présenté comme « défense stratégique », un travail théorique spécifique a été fourni, non pas pour les tâches immédiates de la révolution, mais pour sa consolidation universelle. Cela formait la contre-offensive prolétarienne face à la contre-offensive bourgeoise, une sorte de contre-contre-offensive.
Lorsque Friedrich Engels publie son analyse sur la « Dialectique de la Nature » en 1883, cela prend place dans un contexte historique plutôt défavorable. On est sur les cendres de l’échec de la Commune de Paris, la première Internationale est explosée et la seconde non encore fondée, et les conditions politiques de la lutte en Allemagne sont particulièrement durcies avec les lois anti-socialistes prononcées en 1878 par Bismarck.
Avec une telle mise en avant de l’idéologie, le recul de la Révolution devient relatif, car elle continue sa lancée en consolidant ses fondations, dans un mouvement de reflet avec la pratique. En effet, la « Dialectique de la Nature » correspond à un contexte de répression, mais dans le même temps à la stabilisation d’un centre social-démocrate dont le noyau politique est affermi.
De la même manière, lorsque Lénine publie en 1908 « Matérialisme et Empiriocriticisme », la Révolution en Russie est confrontée à la « réaction stolypinienne », mais aussi à la solidification de la fraction majoritaire du parti social-démocrate de Russie. Le recul de la révolution devient là aussi relatif, car avec cet ouvrage sont battus en brèche les errements idéalistes et autres opportunismes idéologiques présents jusque dans le camp social-démocrate.
Ainsi n’y a-t-il pas de hasard au fait qu’historiquement « Matérialisme et Empiriocriticisme » soit placé en continuité avec « Dialectique de la Nature » d’Engels, dont le texte était inconnu de Lénine. Il avait en effet été récupéré par les révisionnistes de la social-démocratie allemande, qui avaient bien pris soin de le mettre de côté. Ce n’est qu’en 1925 qu’il fut republié par les communistes russes.
En réalité, il y a un processus d’enrichissement tel un escalier avec des marches qui se compilent pour atteindre toujours plus de hauteur de vue. C’est la raison pour laquelle on lit dans le fameux « Précis d’histoire du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik) », publié en 1938, que :
« Pour apprécier la portée immense de l’ouvrage [Matérialisme et Empiriocritisme] de Lénine dans l’histoire de notre Parti et comprendre quel trésor théorique Lénine a défendu contre toutes les espèces de révisionnistes et de dégénérés de la période de réaction stolypinienne, il est indispensable de prendre connaissance, ne fût-ce que sommairement, des principes du matérialisme dialectique et historique.
C’est d’autant plus nécessaire que le matérialisme dialectique et le matérialisme historique constituent le fondement théorique du communisme, les principes théoriques du Parti marxiste ; connaître ces principes, les assimiler est le devoir de tout militant actif de notre Parti.
Ainsi donc :
1° Qu’est-ce que le matérialisme dialectique ?
2° Qu’est-ce que le matérialisme historique ? »
S’en suit dans le « Précis », le grand classique « Matérialisme dialectique et matérialisme historique » rédigé par Staline spécialement pour l’occasion. C’est au même moment, en 1937, que Mao rédigea « De la contradiction », classique qui, au-delà de protéger et défendre les acquis deviendra aussi un nouveau phare éclairant et approfondissant la compréhension matérialiste dialectique du monde.
À cette période, la Révolution mondiale doit également faire face au renforcement de la contre-révolution dans le cadre des régimes fascistes, et son allié objectif présent dans le camp révolutionnaire – le trotskysme – mais aussi à la stabilisation du premier État socialiste, avec l’URSS.
À chaque moment où la Révolution est sur la défensive, il se reflète inéluctablement des conceptions idéalistes, mécaniques, régressives au cœur même du camp révolutionnaire. Cela entraîne l’apathie et la démoralisation, comme le remarque le « Précis » de 1938 :
« La défaite de la révolution de 1905 avait porté la désagrégation et la décomposition parmi les compagnons de route de la révolution.
La décomposition et l’abattement moral étaient particulièrement graves parmi les intellectuels. Les compagnons de route qui étaient venus du milieu bourgeois dans les rangs de la révolution quand celle-ci prenait un impétueux essor, abandonnèrent le Parti dans les jours de réaction. (…)
L’offensive de la contre-révolution se poursuivit aussi sur le front idéologique.
On vit apparaître toute une kyrielle d’écrivains à la mode qui « critiquaient » et « exécutaient » le marxisme, bafouaient la révolution, la traînaient dans la boue, glorifiant la trahison, la débauche sexuelle au nom du « culte de la personne ».
Dans le domaine de la philosophie se multiplièrent les tentatives de « critiquer », de réviser le marxisme ; on vit également apparaître toute sorte de courants religieux couverts de prétendus arguments « scientifiques ». »
C’est la raison pour laquelle les quatre classiques cités précédemment forment, bien qu’à des moments différents, une seule et même vérité : celle de la réaffirmation des bases idéologiques de la Révolution dans un contexte marqué par l’abattement subjectif de ses forces.
Cela permet de temporiser la défense stratégique dans le sens où est affirmé le principe universel, scientifique, qui sous-tend la Révolution, et par conséquent de sauvegarder la subjectivité révolutionnaire. Et l’on sait combien la subjectivité révolutionnaire est la base motrice à la Révolution elle-même.
Il y a un prolongement et un enrichissement de « Dialectique de la nature » (1883) à « Matérialisme dialectique et matérialisme historique » (1938), en passant par « Matérialisme et empiriocritisme » (1908) et « De la contradiction » (1937). Le dernier mot « inversé » de la contre-contre-offensive révolutionnaire tient évidemment les écrits de la Grande Révolution culturelle Prolétarienne en Chine.
Entre 1883 et 1938 (mais aussi jusqu’en 1966), on se situe au cœur des premiers mouvements en spirale de la révolution (offensive, défensive, contre-offensive, etc.) dans le cadre de la première crise générale du capitalisme : les textes cités viennent affirmer et stabiliser des éléments théoriques considérés comme acquis de par une pratique antérieure.
On a là un travail de synthèse. Si on comprend justement cela, on voit que la mise en avant du Parti matérialiste dialectique (PMD) correspond à une situation historique évidente : celle du nexus entre la première crise générale et la seconde crise générale.
Dit autrement : la Révolution est en défense stratégique par rapport à la dynamique passée, mais tendanciellement à l’offensive par rapport au futur.
Il s’agit de correspondre à cette situation au plan général, dans l’affirmation idéologique elle-même pour contrer l’abattement, la démoralisation, affirmer l’offensive générale et l’optimisme révolutionnaire.
Il y a un besoin de ré-impulser la subjectivité révolutionnaire dans un contexte d’écrasement de la Révolution, non pas simplement conjoncturel telles les répressions bismarckienne, stolypinienne, hitlérienne, etc., mais de manière générale.
On parle ici d’une situation marquée par l’écrasement général de la première vague de la Révolution mondiale et la naissance des conditions pour le déploiement de la seconde vague.
Le PMD signifie précisément cette lecture des choses et s’intercale au cœur du nexus comme gardien du temple (celui des acquis du siècle précédent) et vecteur d’avant-garde du mouvement révolutionnaire futur.
C’est le sens de l’affirmation du PMD, car il apparaît dans un tel contexte historique qu’il y a besoin d’affirmer la vision du monde non plus seulement comme « base théorique » à l’engagement révolutionnaire pratique, mais comme l’engagement révolutionnaire lui-même, sa substance subjective même. L’époque le permet désormais.
Nous n’affirmons pas simplement la continuité des textes classiques précédemment cités, dans l’idée d’un héritage cumulatif, mais bien leur synthèse universelle, ou plutôt leur universalisation de manière synthétique.
Ce n’est pas une nouvelle marche dans l’escalier comme le furent les éléments théoriques précédents, mais l’arrivée sur un palier avant l’ascension d’un nouvel escalier.
Cela se matérialise par une nouvelle connexion cérébrale, synaptique avec une subjectivité développant une vision du monde totale, celle du matérialisme dialectique.
Le PMD, c’est l’expression révolutionnaire dans le nexus lui-même, et par cela-même il se doit de protéger et systématiser la vision du monde matérialiste dialectique tout en la prolongeant, car la révolution ne peut reculer que de manière relative. Qui ne le comprend pas se place d’emblée en dehors de la Révolution mondiale qui s’annonce.