Aristote est un matérialiste ; par conséquent, pour lui, il n’y a pas de « création ». Ce qui existe correspond au mouvement de la matière elle-même. Il en va de même pour les pensées. Voilà pourquoi la première phrase des seconds analytiques est un manifeste matérialiste :
« Tout enseignement donné ou reçu par la voie du raisonnement vient d’une connaissance préexistante. Cela est manifeste, quel que soit l’enseignement considéré : les sciences mathématiques s’acquièrent de cette façon, ainsi que chacun des autres arts. »
C’est une réfutation totale de l’idéalisme ; c’est l’affirmation de la primauté de la matière.
Or, comme on le sait, Aristote considère que l’esprit doit se tourner vers l’observation de la réalité, voire en fait vers une contemplation. Il y a donc pour lui deux aspects, formant précisément la « connaissance préexistante ». Il y a d’abord la présupposition que la chose dont on parle existe, il y a ensuite le fait de la connaître.
On retrouve ici le principe matérialiste d’Aristote. Ne pouvant saisir le principe de la transformation en raison de son époque, il voit le mouvement comme impulsé de l’extérieur.
Tout mouvement ne peut pas exister, bien sûr, il faut pour cela qu’il y ait une base, que la chose ait en puissance la capacité de se mouvoir. La réalisation du mouvement possible, nécessaire à la nature de la chose, est chez Aristote l’entéléchie.
C’est la raison pour laquelle Aristote souligne qu’on est amené à connaître sans connaître au sens strict : on découvre, mais on n’a pas encore établi la base de ce qu’on a découvert. On fait l’expérience de quelque chose, mais il faut ensuite saisir la nature du phénomène. Aristote est un matérialiste empiriste ; voici comment il formule sa thèse, imparablement logique :
« Il est évident que la connaissance a lieu de la façon suivante : on connaît universellement, mais au sens absolu on ne connaît pas. Faute de cette distinction, on tombera dans la difficulté soulevée par le Ménon : ou bien on n’apprendra rien, ou bien on n’apprendra que ce qu’on connaît (…).
Le savoir porte sur ce dont on possède la démonstration ou dont on a admis la démonstration. »
Il faut ici souligner une chose essentielle. Aristote rejette résolument le fait qu’on puisse apprendre dans une certaine mesure, d’une certaine façon. Pour lui, conformément à sa lecture matérialiste, soit on a saisi le phénomène dans sa substance, soit on ne l’a pas saisi.
Il n’y a pas de zones inaccessibles ou de compréhension partielle, typique du relativisme de la lecture bourgeoise des sciences (en particulier avec le néo-kantisme, qui prétend que la « chose en soi » est inaccessible, que seule la « chose pour soi » relève du connaissable).
Aristote est ici très clair et il est dans la perspective matérialiste ; il dit ainsi :
« Nous estimons posséder la science d’une chose d’une manière absolue, et non pas, à la façon des Sophistes, d’une manière purement accidentelle, quand nous croyons que nous connaissons la cause par laquelle la chose est, que nous savons que cette cause est celle de la chose, et qu’en outre il n’est pas possible que la chose soit autre qu’elle n’est.
Il est évident que telle est la nature de la connaissance scientifique. »
Il y a donc ce qu’on connaît et ce qu’on peut connaître à partir de ce qu’on connaît. La démonstration établit la connaissance à partir d’une base saine. Aristote donne la définition suivante de la démonstration dans sa définition scientifique :
« Par démonstration j’entends le syllogisme scientifique, et j’appelle scientifique un syllogisme dont la possession même constitue pour nous la science.
Si donc la connaissance scientifique consiste bien en ce que nous avons posé, il est nécessaire aussi que la science démonstrative parte de prémisses qui soient vraies, premières, immédiates, plus connues que la conclusion, antérieures à elle, et dont elles sont les causes. »
Aristote est le premier à lever le drapeau de la science.