La méthode d’Aristote pour apporter des éléments nouveaux à partir de quelque chose de connu est très connu, si ce n’est sous son nom de syllogisme, au moins par son exemple le plus fameux : Socrate est un homme, les hommes sont mortels, donc Socrate est mortel.
C’est dans les premiers analytiques qu’Aristote développe cette approche méthode ; les premières lignes de l’ouvrage disant :
« D’abord, nous dirons le sujet et le but de cette étude: le sujet, c’est la démonstration; le but, c’est la science de la démonstration. Puis, nous définirons les mots suivants : proposition, terme, syllogisme; et nous montrerons ce que c’est qu’un syllogisme complet et un syllogisme incomplet. »
Il y a souvent en effet de ridicules moqueries du syllogisme, en tronquant les termes et l’ordre, alors que justement Aristote a dressé une liste précise de ceux fonctionnant, ceux ne fonctionnant pas.
De plus, le syllogisme n’est en rien « gratuit », il a une fonction matérialiste. Les lignes suivent immédiatement les précédentes disent :
« Et à la suite, nous expliquerons ce qu’il faut entendre quand nous disons que telle chose est ou n’est pas dans la totalité de telle autre chose, et qu’elle est attribuée à toute une autre ou qu’elle ne lui est aucunement attribuée. »
Aristote est un matérialiste : il veut savoir comment décrire scientifiquement la réalité. Le syllogisme doit aider à appréhender mieux les choses et contribuer à exprimer de meilleure manière leur nature.
Dans l’Organon, l’œuvre est ainsi placée après De l’interprétation, car Aristote part dans les premiers analytiques du principe de la proposition précédemment expliquée. Que dit-on, au sujet de quoi ? D’un universel ou d’un particulier ? Comment dire que quelque chose est telle chose ou justement ne l’est pas ?
Aristote introduit ici un concept, celui de « terme », qu’il définit de la manière suivante, en apparence très obscure, comme cela est toujours le cas dans ses écrits connus pour leur caractère plus qu’âpre à la lecture :
« J’appelle Terme l’élément de la proposition, c’est-à-dire, l’attribut et le sujet auquel il est attribué, soit qu’on y joigne, soit qu’on en sépare l’idée d’être ou de n’être pas. »
Pourquoi Aristote introduit-il ce concept ? Il s’agit en fait d’une manœuvre intellectuelle. L’idée est la suivante : quand on dit quelque chose, soit cela suffit en soi, soit il y a besoin d’autres éléments pour que ce soit juste. La proposition est donc complète ou incomplète. Il faut donc évaluer cela. Qui plus est, toute proposition a des conséquences.
Si on dit par exemple que les cornichons relèvent tous des bocaux en verre, et qu’on trouve des cornichons vendus à l’unité, alors la proposition est incorrecte. Il y a un rapport entre l’universel et le particulier ; si l’on pose un norme, alors elle doit se vérifier. Si on dit que tous les cornichons sont verts – proposition universelle – alors tel cornichon est vert – proposition particulière.
On l’a compris, Aristote procède par des conversions : comment telle phrase peut-elle être convertie en telle autre phrase ? Comme changer quelque chose de connu en quelque chose qu’on ne savait pas encore, mais qui se déduit logiquement ?
C’est là qu’intervient le syllogisme, dont la valeur est correcte, mais formelle :
« Le syllogisme est plus général que la démonstration, qui n’est qu’une sorte de syllogisme, tandis que tout syllogisme n’est pas une démonstration. »
Un syllogisme est en effet une logique purement formelle. Il n’est pas une science du réel en soi.
Par exemple, le syllogisme suivant est juste :
Socrate est un homme
Les hommes sont mortels
Donc, Socrate est mortel
Le syllogisme suivant, bien que n’ayant aucun sens réel, est formellement correct également :
Socrate est un homme
Les hommes aiment les bananes
Donc, Socrate aime les bananes
Tout est en effet une question de liaison avec le réel. Le syllogisme est une contribution à la compréhension du réel, pas un système autonome au-dessus de la réalité. Il sera cependant compris ainsi par bon nombre de gens au moyen-âge, par l’intermédiaire du formalisme religieux.
Ce balayage du réel par Aristote profite également de plusieurs modes de syllogisme ; le précédent obéit ainsi à la démarche suivante :
A est B.
Or, B est C.
Donc A est C.
Mais on a également une démarche différente, telle :
Tout A est B.
Or, C est un A.
Donc C est B.
Cela donne par exemple :
Tous les hommes sont mortels
Or, tous les Grecs sont des hommes
Donc tous les Grecs sont mortels
Ne reste plus qu’à vérifier toutes les situations possibles et celles où le syllogisme est correct… C’est ce que fait Aristote dans les premiers analytiques.