Ses victoire viennoises firent qu’au congrès de Linz, où fut mis en avant un nouveau programme, la social-démocratie était d’un optimisme inébranlable, Otto Bauer affirmant alors devant les congressistes que la prise du pouvoir serait l’affaire pour la génération d’alors de la classe ouvrière.
Le programme du Parti Ouvrier Social-Démocrate décidé au congrès de Linz le 3 novembre 1926 est la synthèse de l’approche austro-marxiste. Le Parti se définit comme s’appuyant sur le socialisme scientifique et sur l’expérience des luttes de classe, avec comme objectif « le dépassement de l’ordre social capitaliste, la construction de l’ordre social socialiste ».
La domination toujours plus grande des grandes entreprises, aboutissant aux cartels, aux trusts, à l’hégémonie du grand capital, rend intenable la vie des masses ; la fuite dans l’artisanat et le petit commerce n’est qu’un pis-aller qui, de toutes façons, renforce la concurrence et la précarité de la vie sociale.
De par la concurrence internationale, la conquête de zones à contrôler, « le capitalisme menace de détruire toute la civilisation, par des guerres toujours plus terribles ».
La social-démocratie a permis des conquêtes sociales, qu’elle doit d’ailleurs élargir en défendant également la petite-bourgeoisie, élargissant sa cause, unifiant les masses contre la bourgeoisie. Qui plus est :
« Cette lutte de classes n’est pas seulement une lutte entre des intérêts de classe s’opposant, mais en même temps une lutte entre des idéaux de classe s’opposant.
La lutte entre capital et travail, c’est la lutte entre le sort de la tradition et la quête des masses populaires pour un renversement de la vie sociale, culturelle et étatique.
C’est la lutte entre la domination de l’autorité et la quête des masses populaires pour la liberté et l’autodétermination.
C’est la lutte entre la classe qui fait reposer sa domination sur l’oppression et l’exploitation et la classe qui, en luttant contre son oppression et son exploitation, lutte contre toute oppression et toute exploitation, qu’elle soit dirigée contre une classe ou un sexe, une nation ou une race.
C’est une lutte entre un ordre social qui sacrifie sur l’autel des profits la santé populaire et le bonheur de l’être humain, et un ordre social qui transforme l’économie populaire en un moyen au service de la santé populaire et du bonheur de l’être humain.
C’est la lutte entre un ordre social qui fait se reposer la culture de peu de gens sur l’absence de culture des masses exploitées, et un ordre social qui attribue l’héritage culturel à tout le peuple, qui relie tout le peuple en une communauté culturelle.
C’est la lutte entre un ordre social qui place le travail intellectuel comme le travail intellectuel au service du capital, et un ordre social qui élève le travail manuel comme le travail intellectuel au service de l’ensemble du peuple. »
La République autrichienne est présentée comme une sorte de terrain neutre, mais la bourgeoisie profite de sa force économique, des traditions, de la presse, de l’école, de l’Église, ayant ainsi une main-mise spirituelle sur la majorité des masses. Aussi :
« Si le Parti Ouvrier Social-Démocrate parvient à dépasser cette influence, à unifier les travailleurs manuels et les travailleurs intellectuels dans la ville et dans la campagne, et de faire gagner comme camarades d’union au prolétariat les couches qui lui sont proches de la petite paysannerie, de la petite-bourgeoisie, des intellectuels, alors le Parti Ouvrier Social-Démocrate gagne la majorité du peuple.
Elle conquiert le pouvoir d’État par la décision du droit de vote général. C’est ainsi que dans la république démocratique, les luttes de classe entre la bourgeoisie et la classe ouvrière est décidée dans la bataille des deux classes pour l’esprit de la majorité du peuple.
Au cours de ces luttes de classe, il peut se produire le cas que la bourgeoisie n’est plus assez forte et la classe ouvrière pas encore assez forte pour dominer seule la république. Mais la coopération de classes ennemies l’une pour l’autre, qui sont obligées à cela par la situation, se brise après un temps relativement court en raison des contradictions de classes insurmontables dans la société capitaliste.
La classe ouvrière, après chacun d’un tel épisode, retombera sous la domination de la bourgeoisie, si elle ne parvient pas elle-même à conquérir la domination dans la république. »
La question qui se pose alors est inévitablement celle de la dictature du prolétariat. Si le Parti Ouvrier Social-Démocrate refuse le principe de l’insurrection et s’en tient aux élections, que faire de ce concept clef du marxisme qu’est la dictature du prolérariat ? Le programme de Linz affirme la chose suivante :
« La bourgeoisie ne cédera pas sa place de pouvoir de manière volontaire. Si elle se parvient à s’y retrouver avec la république démocratique que la classe ouvrière lui a imposé, du moment qu’elle était en mesure de dominer la république, elle sera tentée de renverser la république démocratique, d’instaurer une dictature monarchiste ou fasciste, dès que le suffrage universel fait passer ou a fait passer le pouvoir d’État à la classe ouvrière. »
La classe ouvrière doit donc faire en sorte que les appareils d’État – l’armée, la police – assument un légalisme républicain, elle doit être organisée au plus haut niveau, tant intellectuellement que physiquement, pour contribuer à cette pression générale qui fait capituler la bourgeoisie.
Il y a un risque, en ce cas où ce processus échoue, une guerre civile. C’est pourquoi :
« Si la bourgeoisie devait s’opposer au renversement social qui sera la tache du pouvoir d’État de la classe ouvrière, en minant de manière planifiée la vie économique, par un soulèvement violent, par un complot avec des puissances contre-révolutionnaires étrangères, alors la classe ouvrière serait obligée de briser la résistance de la bourgeoisie avec les moyens de la dictature. »
La ligne du Parti Ouvrier Social-Démocrate était ainsi une sorte d’intermédiaire entre réformisme et révolution. Par la suite, il adoptera le symbole des trois flèches.
Celui-ci fut élaboré par le social-démocrate russe Serge Tchakhotine, qui s’était opposé à la révolution russe en rejoignant l’armée blanche, et le social-démocrate allemand Carlo Mierendorff. L’idée est mettre en avant un symbole jouant sur la « psychologie des foules », l’idée étant venu à Serge Tchakhotine en voyant une croix gammée barrée.
Le symbole fut accepté par la social-démocratie allemande en 1932, et immédiatement dans la foulée par le Parti Ouvrier Social-Démocrate en Autriche, sous l’impulsion du psychologue Otto Felix Kanitz, qui joua un rôle important dans la très puissante structure social-démocrate « Les amis des enfants ».
Par contre, si pour la social-démocratie allemande il visait les nazis, les monarchistes et les communistes, pour la social-démocratie autrichienne, il visait le fascisme, la monarchie et le cléricalisme.